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qu'il touche le sommet, dans ce grand silence qui l'environne, il ne trouve plus en lui que le fond pur et inaltérable de son être, ce qui est vraiment lui. En littérature, Feuchtersleben est classique; il hait «< l'extravagance teuto-mystico-romantique ». Il a un culte pour Garthe et pour Lessing, et il remonterait même volontiers jusqu'aux anacréontiques du XVIe siècle. Dans une épigramme, il fait dire à un moderne : « Gleim, Hagedorn, le bon temps! Nous << avons bien dépassé cela. » Et lui-même répond : « Hélas! oui, ces << pauvres gens n'avaient que du sentiment, de l'intelligence et de «< la santé. » Un seul principe domine à la fois sa morale et sa poétique être vrai. Dans la vie, que chacun soit le plus complètement possible ce que lui seul peut être, d'après les facultés que la nature lui a départies. Dans l'art, que celui qui a quelque chose à dire s'impose comme premier devoir de ne mentir ni à lui-mème ni à son public, qu'il se rende un compte exact de sa pensée, et qu'il s'applique à la traduire simplement et loyalement, sans contorsion et sans surcharge. Feuchtersleben n'est certes pas un écrivain de premier ordre; mais sa morale, sa poésie, sa correspondance, prises dans leur ensemble, lui constituent une originalité qui mérite de survivre 1.

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Robert Hamerling est un des derniers représentants de l'école autrichienne; un assez long intervalle le sépare des écrivains qui viennent d'être nommés. Né en 1830, au village de Kirchberg, dans la Basse-Autriche, il avait dix-huit ans lorsque éclata la révolution de mars, et son éducation s'acheva au milieu de la réaction qui suivit. Sa poésie a un caractère encore plus philosophique que politique. La patrie qu'il invoque n'est ni la patrie autrichienne pour laquelle combattait Anastasius Grün, ni la patrie restreinte des Tchèques et des Magyars, ni même la grande Allemagne des patriotes de 1813; c'est une sorte de cité idéale, asile de la justice et du droit, ennemie de la violence et de l'esprit de conquête, n'ayant rien de commun ni avec l'Allemagne d'hier ni avec celle d'aujourd'hui.

1. Ses œuvres complètes ont été publiées par Hebbel, en sept volumes; Vienne, 851-1853.

Le château de Kirchberg servit longtemps de reft.ge à la famille du roi de France Charles X, et l'enfance du poète, dont les parents étaient fort pauvres, fut protégée par la princesse Louise, plus tard duchesse de Parme1. Robert faisait des vers tout jeune, et à seize ans il avait déjà composé deux pièces de théâtre, l'une en deux actes sur Christophe Colomb, l'autre en cinq actes intitulée les Martyrs. Ayant terminé ses études à Vienne, en 1855, il fut nommé professeur au gymnase de Trieste. L'année suivante, il alla passer ses vacances à Venise, et il en rapporta son poème lyrique, Vénus en exil 2. La Vénus qu'il chantait, c'était la beauté céleste, l'harmonie qui régit l'univers et dont la contemplation élève l'esprit de l'homme. La même idée, celle de la contemplation d'un idéal, de l'insuffisance du bonheur matériel, s'exprime dans deux autres poèmes, le Chant du cygne du romantisme et la Migration des Germains 3. Le romantisme est, pour Hamerling, d'une manière toute générale, la jeunesse de l'humanité, opposée à une maturité qui est déjà une décadence; c'est l'âge héroïque, enthousiaste et fécond, qui crée la poésie, les arts, les sciences désintéressées, mais qui aboutit par lassitude à une période d'activité inférieure et de jouissance égoïste. Il prévoit le jour où « la terre, aride et décolorée, roulera dans l'éther «< comme une scorie éteinte »; mais c'est aux poètes et aux artistes à faire brûler le plus longtemps possible le feu qui l'éclaire et la réchauffe. La Migration des Germains, une suite de stances, repose sur une froide allégorie. Au moment où les hordes germaniques se mettent en marche pour envahir l'Europe, l'Asie personnifiée apparaît à leur chef légendaire, Teut, ui révèle l'avenir réservé à sa race, et lui rappelle en même temps le côté civilisateur de sa mission. Ces trois poèmes, et les poèmes lyriques qui les accompagnaient, procèdent d'une même inspiration, très élevée et très pure. Ils témoignent d'une imagination fertile et d'un vrai talent de versificateur, mais aussi

1. Hamerling a raconté son enfance et sa première jeunesse dans une autobiographic qui est restée inachevée : Stationen meiner Lebenspilgerschaft, Hambourg, 1889. Voir aussi : Rabenlechner, Hamerling, sein Leben und seine Werke: I. Hamerlings Jugend, Hambourg, 1896. A consulter: P. Rosegger, Persönliche Erinnerungen an R. Hamerling, Vienne, 1891.

2. Venus im Eril, Prague, 1858.

3. Ein Schwanenlied der Romantik, Hambourg, 1862. Vienne, 1864.

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4. Sinnen und Minnen, ein Jugendleben in Liedern, Prague, 1868. Le recucil s'augmenta dans les éditions suivantes.

d'un certain vague dans la conception générale et d'une tendance au symbolisme à laquelle l'auteur cédera de plus en plus. Hamerling a une aptitude spéciale pour exprimer une idée abstraite au moyen d'une image ou d'une série d'images. Parfois aussi, il peint pour peindre, sans se demander si l'image rehaussera l'idée ou la rabaissera. Quand, par exemple, à la vue du golfe de Naples, par une nuit d'automne, il compare le ciel étoilé à un immense arbre de Noël, et les étoiles aux petites noix argentées qui le garnissent, et le vent qui gronde sur la mer à un Minnesinger en furie faisant vibrer les cordes de sa harpe, de telles images sont-elles faites pour grandir le spectacle? Hamerling prodigue la couleur, sans trop se préoccuper de la valeur des tons, et le contour est presque toujours flottant. Son style a une certaine fluidité scintillante et uniforme, qui séduit un instant, mais qui, à la longue, éblouit et fatigue.

Le poème d'Ahasver à Rome 1, en six chants, l'ouvrage le plus important de Hamerling, et qui fonda définitivement sa renommée, est une sorte de démonstration historique de sa doctrine. C'est une peinture de l'orgie romaine au temps de Néron, mais une peinture symbolique, qui vise l'époque présente. Néron est la personnification de la jouissance. « La pensée est un rêve, l'ac<«<tion un perpétuel avortement; la jouissance est l'acte véritable. « Tout périt, seul le désir est immortel; c'est l'abeille d'or qui, <<< noyée mille fois dans l'enivrante boisson, se retrouve toujours « vivante au fond de la coupe. »

Néron prétend rajeunir le monde par la jouissance; il s'aperçoit à la fin qu'il n'est lui-même que le représentant d'un monde qui a déjà trop joui. On peut bien admettre que la lassitude lui inspire ce sentiment, mais on est étonné de le voir annoncer, au moment de sa mort, la foi nouvelle qui brille comme une aube à l'horizon. « J'ai cherché le bonheur divin dans la jouissance: peut-être ne commence-t-il que dans le renoncement. J'ai <«< cherché l'infini dans la satisfaction du moi : peut-être n'entrons<«<<nous dans l'infini qu'en nous détachant de notre moi. » Fichte n'aurait pas mieux dit. En face de Néron se place une autre personnification, Ahasver, l'éternel pèlerin, toujours ployé sous le fardeau de sa destinée, mais toujours en marche, l'humanité qui

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1. Ahasver in Rom, Hambourg, 1866. Le poème est en vers ïambiques non rimés.

pense et qui souffre, mais qu'une main inconnue relève sans cesse et mène à son but. C'est Ahasver qui a défié le Christ sur le chemin du Calvaire; mais, à ce moment-là, il avait déjà vécu de longs siècles. Il est « le premier né du premier couple »; c'est par lui que la mort est entrée dans le monde, et, par reconnaissance, elle l'épargne; ce sera désormais son châtiment de la chercher toujours et de ne jamais la trouver, de la désirer perpétuellement sans pouvoir l'atteindre. En un mot, Ahasver c'est Caïn devenu le Juif-errant, sans qu'on se rende bien compte des éléments divers que le poète a voulu fondre dans ce personnage complexe. Tout dépérissement, toute décadence l'attire; il est l'inspirateur de Néron; il jette la première torche dans les palais de Rome voués à l'incendie, et il se complaît dans les débauches où s'anéantit l'empire des Césars.

L'année même où parut Ahasver, Hamerling, affligé d'une maladie chronique, avait été relevé de ses fonctions de professeur; le gouvernement autrichien avait même doublé sa pension, et une admiratrice inconnue y avait ajouté une rente annuelle. Il se fixa à Gratz, où il mourut en 1889. Son dernier poème, le Roi de Sion, roule sur un sujet analogue à celui d'Ahasver. Jean de Leyde, roi des anabaptistes, a conçu le chimérique projet d'allier le plaisir à la vertu et de gouverner les hommes sous ce double symbole; il se donne la mort, contrairement à l'histoire, lorsqu'il s'aperçoit de son erreur 1. Hamerling s'est essayé sans succès au théâtre. Dans une comédie aristophanesque, il a fait reparaître le légendaire Teut, l'ancêtre de la race germanique. Teut, allant s'établir en Europe, a perdu un paquet, qu'un vautour a pris dans ses serres et porté à Varzin, où Bismarck l'a ramassé; ce paquet contenait l'esprit politique. Le sel de la pièce est dans ses anachronismes; les anciens Romains et les Allemands de nos jours se rencontrent dans la forêt de Teutobourg et échangent des propos plus ou moins spirituels. La tragédie en cinq actes, Danton et Robespierre (1871), a la prétention d'être à la fois conforme à l'histoire et faite pour la scène; elle n'est ni l'un ni l'autre. « Les événements, » dit l'auteur, « sont « trop près de nous pour qu'il soit permis de les changer, même

1. Der König von Sion, Hambourg, 1868. Dix chants en vers hexamètres. Le poème a gardé des négligences, malgré les corrections faites dans les éditions suivantes.

2. Teut, ein Scherzspiel in zwei Acten, Hambourg, 1872.

« dans le détail. » La pièce contient, en effet, beaucoup de détails exactement rapportés d'après les documents contemporains; mais les personnages rentrent dans la catégorie de ces symboles trop chers à Hamerling. Or un symbole est tout ce qu'on veut, excepté un être vivant. Robespierre est la proie d'une idée qui le domine et l'emporte malgré lui. C'est un « cœur sensible »>, nourri de la lecture de Rousseau. On le voit, dans une scène, décharger une pauvre femme de son fardeau et le porter jusqu'à une cabane voisine. Puis il s'assied sur un tronc d'arbre et se livre à ses rêveries politiques. « Le tribunal révolutionnaire «<est une juridiction trop lente, trop encombrée de formalités. « Qu'est-ce que quelques centaines de têtes en plus ou en moins? « Qu'on les abatte! » Au même moment, il aperçoit un gamin qui déniche des oiseaux; il le chasse à coups de pierres et s'apitoie sur les pauvres bêtes. Il prend soin de se définir lui-même : « On me <«< nomme l'Incorruptible, ou encore l'Inexorable; mais ce n'est <«< pas moi, c'est l'Idée en moi qui est inexorable. On dit que j'ai « de la haine, de l'envie, de l'hypocrisie; mais c'est l'Idée en moi qui est haineuse et envieuse, et si je pouvais avoir de l'hypo«< crisie, c'est l'Idée qui serait hypocrite. » A l'idéaliste Robespierre est opposé le réaliste Danton. Ce sont deux éléments contraires; il faut que l'un supprime l'autre. Le spectre de Danton apparaît dans une scène, et Robespierre l'abat d'un coup de pistolet; dès lors seulement son triomphe dans le domaine des idées est complet. Il est pénible de voir un vrai talent d'écrivain dépensé pour des inventions de ce genre 1.

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1. Auteurs divers. Chacune des principales régions de la monarchie autrichienne a fourni son contingent à la littérature.

A la Bohème appartiennent encore le chevalier Egon Ebert, Alfred Meissner, et le chevalier Louis-Auguste Frankl. Egon Ebert (1801-1882), bibliothécaire du prince de Fürstenberg, est remonté, dans son poème de Wlasta (1829), jusqu'aux origines légendaires de la Bohême. Goethe lui reproche d'avoir peint ses amazones « avec des généralités que les jeunes gens croient poétiques ou romantiques ». (Conversations d'Eckermann, 10 avril 1829). Son vrai maître est Uhland. Alfred Meissner (1822-1885) flotte entre Lenau et Heine. Ses premières poésies (1845) sont pessimistes. Son principal ouvrage est un poème sur Ziska et la guerre des Hussites (1846). Il a vécu, à Paris, dans l'intimité de Heine; il l'a imité dans le Fils d'Atta Troll (1850); il a laissé sur lui un volume de Souvenirs, Après avoir échoué au théâtre, il a publié de longs romans politiques et sociaux. Il a quelquefois de l'éclat, plus souvent de l'emphase, rarement de l'originalité. - Frankl (1810-1894) a exercé pendant quelques années la médecine à Vienne; il a fait, en 1856, un voyage en Orient, qu'il a raconté en trois volumes (Nach Jerusalem, 2 vol., Leipzig, 1858; Aus Egypten, Vienne, 1860). Il a beaucoup écrit. Ses premières poésies datent de 1832; son dernier recueil complet est de 1881. Sa renommée se fonde surtout sur deux poèmes, Christophe Colomb (1836) et Don Juan d'Autriche (1846), que la négli

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