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comme la Malédiction du chanteur, semblent une page détachée des Nibelungen; d'autres, comme la Faucheuse, contiennent un drame en raccourci. Parfois il se borne à noter une impression fugitive, comme on tiendrait à jour un carnet de voyage :

Verdure des prés, parfum des violettes, trilles de l'alouette, roulades du merle, pluie d'or du soleil, suavité de l'air : - quand je chante ces mots, que faut-il donc encore pour te célébrer, jour de printemps 1?

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Le poète a l'air de nous dire : « J'ai senti cela; rappelez vos <«< souvenirs, et vous le sentirez comme moi. » C'est le procédé du chant populaire, qui indique les choses plutôt qu'il ne les décrit, qui ne dit rien à qui n'a rien éprouvé par soi-même, qui peut paraître trop sommaire, mais qui du moins ne pèche pas par superfluité c'est de la poésie condensée.

Mais le même procédé ne saurait s'appliquer à la poésie dramatique, où tout doit ressortir en pleine lumière. Il est étrange qu'Uhland, l'homme le moins fait pour le théâtre, ait toujours eu l'esprit hanté par des projets dramatiques. Il en exécuta deux. Sa tragédie d'Ernest, duc de Souabe 2, a du moins une belle exposition, qui occupe le premier acte. Le duc Ernest aime mieux encourir le bannissement et l'excommunication que d'abandonner son ami le comte de Kyburg, qui lui a prêté main-forte autrefois, et qui est en état de rébellion contre l'Empire. Mais, à partir de ce moment, son sort est décidé, et il ne peut plus que trouver une mort chevaleresque, avec la petite troupe qui lui est restée fidèle. De longs épisodes remplissent les scènes suivantes, sans combler les vides de l'action. En 1817, le roi Maximilien proposa un prix pour une pièce dont le sujet serait emprunté à l'histoire de la Bavière. Uhland concourut, avec son drame intitulé Louis le Bavarois 3, mais le prix fut donné à un ouvrage très inférieur au sien, qui cependant n'était pas un chef-d'œuvre. Il avait choisi ce singulier épisode de la rivalité entre les mai

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2. Ernst, Herzog von Schwaben, Trauerspiel in fünf Aufzügen, Heidelberg, 1818. 3. Ludwig der Baier, Schauspiel in fünf Aufzügen, Berlin, 1819.

sons de Bavière et d'Autriche, où l'on voit deux compétiteurs à l'Empire, après s'être longtemps combattus, se réconcilier soudain et s'associer dans le gouvernement. Louis de Bavière a battu Frédéric le Beau et l'a fait prisonnier; mais les partisans de Frédéric n'ont pas désarmé, et la guerre se prolonge. Enfin Louis, pour rendre la paix à l'Allemagne, et pour tenir tête aux ennemis du dehors, rend la liberté à son captif, et le fait asseoir à côté de lui sur le trône. La conclusion n'est point amenée par les événements; elle est le résultat d'une lumière subite qui s'est faite dans l'âme de Louis :

-

Oui, Frédéric, quand tu es entré dans cette salle, mes yeux se sont dessillés, et maintenant ma vue est claire comme le jour. Dans quel aveuglement nous marchions, dans quelle triste illusion! Nous, issus d'un même aïeul, amis de jeunesse, nous nous persécutions. Et, avec nous, nos peuples apprenaient à se méconnaitre, à se haïr, à se combattre, eux qui sont, comme nous, sortis d'une même souche, et qui sont tous des frères de sang allemand 1.

L'allusion est transparente. L'intention est noble, comme le style. Les deux ouvrages dramatiques d'Uhland se lisent avec intérêt; ce sont deux belles ballades dialoguées.

L'année même où paraissait le drame de Louis le Bavarois, Uhland fut élu député de la ville de Tubingue aux États de Wurtemberg. C'était le moment où les Allemands du Nord et du Sud réclamaient impérieusement les libertés qu'ils croyaient avoir conquises dans leur lutte contre Napoléon. Les vieilles franchises du Wurtemberg avaient été supprimées, en 1805, par le fait même de la transformation du duché en royaume et de son entrée dans la Confédération du Rhin. Le roi Frédéric octroya, en 1815, en échange de ces franchises, une constitution nouvelle; les États la repoussèrent, ou du moins en demandèrent la modification, conformément à l'ancien droit, et ils finirent par obtenir gain de

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cause. Uhland fut chargé à deux reprises, en 1819 et en 1820, de rédiger une adresse au roi Guillaume, qui avait succédé à Frédéric. Dans les loisirs que lui laissa ensuite la vie parlementaire, il revint à ses travaux sur la poésie populaire. En 1821 parut son étude sur Walther de la Vogelweide, une des premières et des plus heureuses tentatives qui aient été faites pour dégager la physionomie précise et les relations historiques d'un poète du moyen âge 1. En 1829, après que le ministère se fut longtemps opposé à sa nomination, il prit possession de la chaire de langue et littérature allemandes à l'université de Tubingue, pour laquelle le désignait l'opinion unanime du monde savant. Les agitations qui suivirent la révolution de 1830 le ramenèrent dans l'arène politique, comme député de la ville de Stuttgart; il fut même obligé de renoncer à sa chaire, le gouvernement ayant refusé de lui accorder un congé régulier. Son attitude resta la même; son programme était le développement normal des libertés constitutionnelles. Il déclina le renouvellement de son mandat en 1838, et revint à ses études, dont le résultat fut son recueil de chants populaires, le plus scientifique qui ait été fait, accompagné de notes explicatives très étendues 2. En 1848, il fit partie de l'Assemblée nationale de Francfort; c'est là qu'il prononça ces paroles auxquelles les événements ont donné un cruel démenti: Croyez-moi, aucune tête souveraine ne luira sur l'Allemagne, « qui n'ait reçu l'onction d'une bonne goutte d'huile démocra<«<tique. » Il mourut en 1862; sa réputation grandit après sa mort; il ne fut pas seulement lu, mais chanté, et il entra dans le groupe des classiques, sinon les plus grands, du moins les plus populaires.

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1. Walther von der Vogelweide, ein altdeutscher Dichter, Stuttgart, 1821.

2. Alte hoch- und niederdeutsche Volkslieder, mit Abhandlungen und Anmerkungen, 2 parties, Stuttgart, 1841-1815; 2° éd., 2 vol., 1881.

3. « Glauben Sie, es wird kein Haupt über Deutschland leuchten, das nicht mit << einem Tropfen demokratischen Els gesalbt ist. »

4. Éditions des œuvres. Les poésies et les drames d'Uhland ont été réunis en 3 vol. (Stuttgart, 1863); les ouvrages d'histoire littéraire ont été recueillis en huit volumes Schriften zur Geschichte der Dichtung und Sage, Stuttgart, 1865-1873. Choix par H. Fischer, 6 vol., Stuttgart, 1892. A consulter, outre l'ouvrage cité de K. Mayer: Ludwig Uhlands Leben, aus dessen Nachlass und aus eigener Erfahrung zusammengestellt von seiner Wittwe, Stuttgart, 1874; et Uhlands Tagebuch, 1810-1830, aus des Inchters Nachlass herausgegeben von J. Hartmann, Stuttgart, 1896.

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Justinus Kerner, l'ami d’Uhland et son condisciple à l'université de Tubingue, est une nature complexe, dont il est difficile de saisir l'unité. Il était fils d'un instituteur, et né à Ludwigsbourg en 1786. Il y avait eu, dans son ascendance maternelle, plusieurs cas de mélancolie, plus ou moins voisins de la folie. Sa grand'mère paternelle, qui devint aveugle en vieillissant, avait des songes prophétiques. Le jeune Kerner reçut une éducation fort irrégulière, et, entouré comme il l'était, rêveur et impressionnable lui-même, il n'est pas étonnant qu'il ait cru de bonne heure aux pressentiments, aux apparitions, aux faits de seconde vue, à tout ce qui sort de l'ordre naturel. A son penchant mystique il joignait cependant une verve humoristique qui semble avoir été, dans l'ensemble de son caractère, la part de sa propre originalité. A l'âge de treize ans, il perdit son père, et, sa mère étant trop pauvre pour lui faire donner de l'instruction, il devint apprenti menuisier; puis il entra dans une fabrique de toile, qui était une annexe d'une maison de correction et d'un asile d'aliénés. Au milieu des tristes spectacles qu'il avait sous les yeux, il s'amusait à écrire des scènes comiques et des tirades satiriques. Certains faits de son histoire semblent empruntés à un conte d'Hoffmann. Un diacre de Ludwigsbourg, qui lui avait autrefois donné des leçons, lui procura les moyens de réaliser un rêve qu'il caressait depuis longtemps: c'était de faire sa médecine. Il se rendit à Tubingue, où il connut Uhland et un peu plus tard Schwab, sans parler des autres écrivains, assez nombreux, entre lesquels se forma l'école souabe. Le premier malade qu'il eut à soigner fut le poète Holderlin. Ses études terminées, il fit un voyage à Hambourg, et, au retour, après avoir passé par Berlin, il visita Vienne. Il fut ensuite médecin des eaux à Wildbad, dans la Forêt-Noire, qu'il a illustré par un petit écrit 1; c'est là aussi qu'il composa les Silhouettes de voyage, une galerie de portraits humoristiques, dont ses amis connaissaient les originaux 2. En 1818, il s'établit à Weinsberg, où il bâtit, sur un terrain que lui donna la ville, « sa maison hospitalière sous de verts ombrages ».

1. Das Wildbad im Königreich Würtemberg, Tubingue, 1813.

2. Reiseschatten, von dem Schattenspieler Luchs, Heidelberg, 1811.

Un corps de logis spécial y était destiné aux étrangers; là demeu rèrent successivement le poète Lenau, le théologien Strauss, le comte Alexandre de Wurtemberg, le roi de Suède Gustave IV, et surtout la fameuse voyante de Prevorst, Frédérique Hauffe, une jeune fille cataleptique que Kerner soigna pendant trois ans, et qui lui apportait régulièrement des nouvelles de l'autre monde '. Les observations qu'il fit sur elle ont de l'intérêt au point de vue physiologique, et les conclusions qu'il en tire sont un trait de plus dans la peinture de son propre caractère. Kerner, sans être un extatique, conversait avec les esprits; il les voyait moins bien que Frédérique Hauffe; il ne les distinguait que comme des formes grises et incertaines; mais il avait fini cependant par leur donner des noms, et ils étaient comptés parmi les hôtes de la maison. Kerner croit à une vie surnaturelle dans l'homme, une sorte de germination inconsciente de la vie future. Notre existence terrestre n'a qu'un but véritable: la mort, qui est l'épanouissement définitif de la fleur de notre âme. Pour nous y préparer, la Providence nous donne pour compagne la douleur; aussi «< pas un cœur qui n'ait sa blessure. » La nature est notre consolatrice, mais elle aussi nous rappelle par toutes ses voix le terme inévitable, le terme désiré vers lequel nous marchons. Kerner fait l'Éloge du sapin, parce qu'avec six planches taillées dans son sein on fera notre cercueil; l'Éloge du lin 2, parce qu'il servira à tisser notre suaire. Ce qui est remarquable, c'est que l'inspiration funèbre de certaines poésies de Kerner n'ôte rien à la limpidité de leur forme; et, à côté de ces poésies, on trouve des chansons à boire et des refrains d'étudiants, de la plus franche gaieté. Kerner est peut-être encore plus près qu'Thland du chant populaire; Arnim et Brentano ont inséré de bonne foi un de ses lieds dans leur Cor merveilleux, le prenant pour une œuvre anonyme. Le pauvre poète fut enfin réduit à la seconde vue; il devint aveugle, comme sa grand'mère, et, tandis que les esprits le mettaient en rapport avec le ciel, il fallait que ses filles lui servissent d'intermédiaires avec le monde des vivants; il mourut quelques mois avant Uhland, en 1862 3.

1. Die Seherin von Prevorst, Eröffnungen über das innere Leben des Menschen und über das Hereinragen einer Geisterwelt in die unsere, Stuttgart, 1829.

2. Lob der Tanne, Lob des Flachses. — La première édition des poésies de Kerner (Gedichte) est de 1826; 2, 3 et 4° éd. augmentées, 1834, 1841 et 1848. Il publia encore, en 1852: Der letzte Blüthenstrauss, et, en 1859, Winterblüthen.

3. A consulter. Das Bilderbuch aus meiner Knabenzeit (commencement d'une

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