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chant du cygne, disent ses biographes; mais quelle différence entre les strophes cahotantes d'Immermann et les doux vers de Gotfrit de Strasbourg, son modèle 1!

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Le baron Joseph d'Eichendorff a été appelé avec raison le dernier des romantiques; il marque réellement la fin de l'école et même déjà un commencement de réaction. Il reste romantique par ses tendances catholiques, mais son catholicisme n'est pas une fantaisie d'artiste ni un besoin d'exaltation mystique; c'est le fond primitif et héréditaire de sa nature morale et religieuse. Il est encore romantique par la composition relâchée de ses grands ouvrages; un roman n'est guère, pour lui, qu'une suite d'épisodes, et il ne voit aucun inconvénient à commencer un livre sans savoir comment il le finira. La partie du romantisme qu'il rejette, c'est la théorie de l'art abstrait, la séparation absolue de l'idéal et du réel, surtout l'isolement orgueilleux du poète et son dérèglement moral. Enfin, ce qui est à lui, c'est son lyrisme, directement puisé à la nature, frais, délicat, peu varié cependant, simple expression d'une âme restée longtemps jeune.

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Il est né en 1788, au château de Lubowitz, dans la HauteSilésie, d'une famille originaire de la Bavière. C'est dans ses souvenirs d'enfance qu'il reconnaissait lui-même la vraie source de sa poésie. « C'est une merveilleuse chanson que le murmure « des forêts dans les montagnes du pays natal; elle nous suit partout; elle entre par la fenêtre ouverte; elle résonne dans <«< nos rêves; jamais le lieu natal n'a lâché un poète 3. » Eichendorff 1. Éditions. Karl Immermann's Schriften, 14 vol., Dusseldorf, 1835-1843. Memorabilien, 3 vol., Hambourg, 1840-1843. Theater-Briefe, Berlin, 1851. Nouvelle édition: Gesammelte Schriften, avec une biographie et des introductions, par Boxberger, 20 vol., Berlin, 1883. Choix, par Muncker (6 vol., Stuttgart, 1897), et par Max Koch (2 vol., Stuttgart, collection Kürschner).

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A consulter. Putlitz, K. Immermann, sein Leben und seine Werke, 2 vol., Berlin, 1870.-K. Fellner, Geschichte einer deutschen Musterbühne, K. Immermanns Leitung des Stadttheaters zu Düsseldorf, Stuttgart, 1888. K. Immermann, eine Gedächtnisschrift zum 100. Geburtstag des Dichters, mit Beiträgen von Fellner, Geffken, R. M. Meyer, Schulthess; Hambourg et Leipzig, 1896. Voir aussi un article de David-Frédéric Strauss, dans ses Kleine Schriften.

2. Das Waldesrauschen, un des mots les plus fréquents dans le vocabulaire poétique d'Eichendorff.

3.

Keinen Dichter noch lie seine Heimat los, » dans la nouvelle Dichter dun ihre Gesellen (1834).

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n'a jamais cessé de revoir en imagination le manoir paternel, la large terrasse qui en faisait le tour, le parc avec ses jets d'eau, les prairies en pente qui descendaient jusqu'à l'Oder. Ses premières lectures, à part celles que ses précepteurs lui imposaient, furent les vieux romans populaires, Geneviève de Brabant, la belle Maguelone, les Quatre fils Aymon, et le lieu où il les lisait était parfois singulièrement choisi. Ma place favorite était dans les « plus hautes branches d'un poirier qui s'élevait au bord du « jardin; la vue s'étendait de là sur une mer de verdure, et, « dans les soirées orageuses, je voyais les sombres nuées venir «vers moi depuis la lisière de la forêt. Je ne sais si c'était le «< printemps qui enchantait de sa lumière les histoires que je « lisais, ou si c'était le reflet de leurs merveilles qui rehaussait le <«<< printemps; mais les fleurs, les bois et les prés étaient autres à « mes yeux. Il me semblait que ces livres étaient la clef d'or «< qui m'ouvrait les trésors de la nature. Jamais tant de douceur « et de joie n'a passé sur mon âme 1. » Tout le contenu des poésies lyriques d'Eichendorff, du moins des meilleures, est donné dans cette confession. Il reçut toute l'éducation aristocratique du temps, devint bon cavalier, chasseur adroit, galant danseur. Il aimait, comme les personnages de ses romans, les promenades aux manoirs voisins, les longues courses à travers bois. Il parle surtout d'un voyage qu'il fit, en compagnie de ses parents, à travers la Saxe et la Bohême jusqu'à Prague, avec tout l'attirail qu'un seigneur allemand de la fin du XVIIIe siècle menait encore derrière lui. Pendant la campagne d'léna, il se trouvait à l'université de Halle les cours ayant été suspendus, il se rendit à Heidelberg, où il entra en relations avec le groupe de Brentano et d'Arnim. Ensuite il visita Paris, et, au retour, il séjourna deux ans à Vienne (1810-1812), où il connut Frédéric Schlegel. En 1813, il s'engagea dans un bataillon de chasseurs. Il fit toute la campagne, et rentra à Paris, en 1815, avec les troupes alliées. Après la paix, il fut chargé de diverses fonctions administratives, que l'indépendance de son caractère lui rendait parfois difficiles. Il fut attaché, pendant près de treize ans (1831-1844), au ministère des cultes à Berlin: c'est l'époque de sa liaison avec Chamisso, avec Hitzig, avec Thistorien Raumer, avec le jurisconsulte Savigny. Il restait, vers le milieu du siècle, avec

1. Erlebtes. dans les œuvres posthumes; Paderborn, 1866.

Bettina Brentano, le seul représentant de l'école romantique; il mourut à Neisse, en Silésie, en 1857.

Le premier roman d'Eichendorff et le plus considérable de ses ouvrages, intitulé le Pressentiment et l'Heure actuelle 1, parut, avec une préface de Fouqué, en 1815. Il avait été écrit de 1806 à 1813, c'est-à-dire dans l'intervalle qui sépare les campagnes d'léna et de Leipzig, et il devait montrer les anxiétés d'un cœur patriotique dans ces années qui pouvaient amener une ruine complète aussi bien qu'un relèvement. Par malheur, la trame décousue du livre marque trop bien les déchirements intérieurs de l'auteur. Lui-même a donné un bel exemple de résolution, mais ses personnages sont plus découragés que lui. Le comte Frédéric, dans lequel il a mis le plus de lui-même, se retire dans un couvent; son frère se console par la magie. Une châtelaine émancipée, après avoir prêché à satiété la doctrine de l'amour libre, met le feu à son manoir et se donne la mort. L'idée du livre, quoiqu'elle ne se dégage pas nettement, semble être contenue dans les tirades sur le faux romantisme, qui a mis un abîme entre la poésie et la vie, créant ainsi une poésie sans vie et une vie sans poésie. « Comment voulez-vous, » dit un jour Frédéric, « qu'on <«<estime vos œuvres, qu'on les aime, qu'on en soit édifié, si vous « n'avez pas foi en vous-même? Rien n'est grand que ce qui part « d'un cœur simple. Je hais plus que la mort cette éternelle lamentation, qui s'épanche en sonnets pleurards, et qui gémit «piteusement sur le bon vieux temps. C'est un feu de paille, qui «ne brûle pas les méchants, et qui n'éclaire pas les bons. « Combien êtes-vous qui souffrez réellement de nos misères? « Cessez donc de vous plaindre, si vous n'êtes pas meilleurs que « votre époque, car aucune époque n'est foncièrement mauvaise. « Les saints martyrs, qui se jetaient dans les flammes en invoquant le nom de leur Sauveur, voilà les vrais frères des « poètes... Vous êtes amoureux, mais à votre façon. Quant à «aimer sérieusement une jeune fille, et surtout à l'épouser, « vous tenez cela pour ridicule, car vous êtes nés, dites-vous, << pour la poésie. Et quand la guerre sévit, vous célébrez avec un « enthousiasme sans bornes, et toutefois avec l'air distingué de « l'homme qui est arrivé à un point de vue supérieur, ces natures « de fer, ces cœurs de bronze, boulevard de la société. Mais

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1. Ahnung und Gegenwart, Nuremberg, 1815.

« quant à vous jeter dans la mêlée, vous en êtes incapables, car vous êtes nés pour la poésie. »

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Le vrai romantisme, pour Eichendorff, c'était, au fond, le classicisme, avec une teinte catholique. Lui-même n'a pu être classique que dans les petits genres. Ses deux tragédies, Ezzelin de Romano (1828), inspiré par l'Histoire des Hohenstaufen de Raumer, et le Dernier Héros de Marienbourg (1830), emprunté à l'histoire des chevaliers teutons, contiennent quelques belles scènes; la seconde a été seule représentée, et sans succès, à Konigsberg. La comédie des Prétendants 1, rappelle, pour le sujet et quelquefois pour le style, les Jeux de l'Amour et du Hasard de Marivaux. Mais Eichendorff n'a jamais sérieusement étudié les conditions du théâtre. Ses nouvelles, écrites dans une langue vive et alerte, ont gardé plus de lecteurs que son grand roman. La plus populaire est celle qui a pour titre Episodes de la vie d'un petit vaurien 2. Ce petit vaurien, fils d'un meunier, que son père renvoie du logis pour qu'il aille gagner son pain, est pourtant bon à quelque chose: il sait jouer du violon et il chante à merveille. Aussi, partout ailleurs que dans le moulin paternel, on lui fait accueil. Il arrive dans un château, aperçoit une jeune fille qui le charme, la prend pour une comtesse, et s'en va, désespérant de se faire aimer d'elle. Il continue ses aventures, va jusqu'à Rome, revient au château, apprend que son idole est la nièce du portier, et se trouve trop heureux de l'épouser. Cette nouvelle est, comme les autres, émaillée de gracieuses chansons. Partout, chez Eichendorff, c'est le poète lyrique qui reparaît, et c'est comme poète lyrique qu'il vivra 3.

1. Die Freier, 1833.

2. Aus dem Leben eines Taugenichts (avec une autre nouvelle, Das Marmorbild, et un choix de poésies), Berlin, 1826.

3. Éditions. Sämmtliche Werke, 6 vol., Leipzig, 1864. Cette édition comprend la traduction de onze pièces de Calderon et celle du Comte Lucanor de don Juan Manuel. Vers la fin de sa vie, Eichendorff publia plusieurs ouvrages de critique et d'histoire, dont le but était de montrer l'influence du catholicisme sur le développement de la littérature allemande; ces ouvrages ont été réunis par son fils sous le titre de Vermischte Schriften (6 vol., Paderborn, 1866). Gedichte aus dem Nachlass, par H. Meisner, Leipzig, 1888. Jugenddichtungen, par E. Hæber, Berlin, 1891. Choix (Erlebtes et Gedichte), avec La Motte Fouqué, par Max Koch, dans la collection Kürschner.

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Le romantisme, par ses tendances idéales, et même par le vague de ses conceptions, répondait trop à certains côtés du caractère allemand pour pouvoir disparaître tout d'un coup. Son influence, tour à tour combattue et renaissante, se prolongea jusque vers le milieu du siècle; il prit même une force nouvelle lorsque, après le retour de la paix, il entra dans la politique réactionnaire de la Sainte-Alliance. Mais il fut violemment tiré de son rêve par le grand appel aux armes de 1813. Les défaites d'léna et de Wagram avaient été suivies d'abord d'un profond découragement. Les plus fermes renonçaient à la lutte; les plus clairvoyants doutaient de l'avenir. Même après la retraite de Russie, Napoléon paraissait encore assez redoutable pour que les gouvernements hésitassent à se déclarer contre lui. Goethe disait encore, en 1813, à Dresde, devant un groupe de patriotes dont faisait partie le père du poète Kærner : « Cet homme est trop grand! Vous avez beau secouer vos chaînes, vous ne les briserez «pas, vous ne ferez que les entrer plus profondément dans votre <«< chair. » Et c'est ce que pensaient la plupart des hommes d'État qui dirigeaient les affaires de l'Autriche et de la Prusse. Il fallut l'intervention d'un facteur nouveau pour tromper les prévisions, en apparence les mieux fondées, de la diplomatie. Ce facteur, ce furent les masses populaires, qui, une fois déchaînées, agissent comme une force de la nature, aveugle et irrésistible. Certes les réformes de Stein et de Scharnhorst ont puissamment contribué au succès des armes prussiennes, mais l'Allemagne, en fin de compte, a dû sa délivrance à l'élan patriotique et noblement irréfléchi de la jeunesse allemande.

L'Allemagne, luttant pour son indépendance, put invoquer à son tour, et contre nous, les sentiments qui avaient enflammé les soldats de la Révolution et qui avaient préparé leurs victoires. « Ce n'est point une guerre qui intéresse les couronnes, c'est une <«< guerre sainte, une croisade. Le droit, l'honneur, la vertu, la foi << et la conscience, que le tyran arracha de nos cœurs, il faut les « regagner en faisant triompher la liberté. » Le poète qui disait ces mots, Théodore Kærner, né à Dresde en 1791, avait été élevé dans l'admiration de Schiller, l'ami de son père. C'était un caractère impétueux; il fut obligé de quitter l'université de Leipzig, à

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