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créer par la pensée, il y aura un art plus élevé, qu'il appelle la fantastique ce sera l'art de créer par un acte instantané du moi, l'art de réaliser nos rêves. Il ne faut pas demander à Novalis plus de précision que de pareilles idées n'en comportent; il faut lui laisser la joie innocente de se repaître de visions et de chimères. Sa politique est aussi ingénue que sa philosophie; elle est le contre-coup des espérances que toute la Prusse libérale attachait à l'avénement de Frédéric-Guillaume III. Le nouveau roi devient aussitôt pour lui le souverain idéal; la reine Louise lui rappelle la Nathalie de Wilhelm Meister, un idéal encore. Tous deux sont proposés à leurs sujets comme de parfaits modèles; l'exemple qu'ils donnent vaut mieux qu'une constitution; leur volonté est la meilleure des lois. C'est dans leur voisinage immédiat et sous leur influence directe que doivent se former les hauts fonctionnaires de l'État. Même l'étiquette de cour est nécessaire; c'est une école d'élégance et de bonnes mœurs. La politique de Novalis est une politique de contes de fées. Il faut dire, pour être juste, que ses théories ne nous sont connues que par ses fragments, et qu'il les aurait sans doute rectifiées, s'il avait dû leur donner une forme définitive.

La poétique de Novalis est la conséquence de sa psychologie. Il n'a, en fin de compte, qu'une seule idée, ou plutôt un seul besoin moral, qui s'exprime de diverses manières c'est le besoin de merveilleux. Sa poétique aussi découle de là. Il voit dans l'âme des dispositions profondes, innommées, insaisissables, qui n'appartiennent à aucune faculté, et qui n'en constituent pas moins notre essence intime. Ce sont ces dispositions que la poésie doit éveiller en nous. La poésie est une langue intérieure, une conversation de l'âme avec elle-même. Elle doit éviter de s'enfermer dans des formes trop précises: toute précision, toute limite est déprimante et entrave le libre essor de l'âme. Le premier des arts est la musique, et la poésie a d'autant plus de puissance qu'elle se rapproche davantage de la musique et du chant1. De même que la poésie nous révèle le secret de notre être, de même elle nous dévoile le sens caché de la nature, ce qu'on pourrait appeler son âme. Or l'âme de la nature, c'est

1. Novalis va jusqu'à dire, dans un de ses fragments, qu'on pourrait concevoir des poésies qui n'auraient aucun sens et qui ne seraient faites que de mots harmonieux, des récits qui n'auraient aucun lien et dont les parties ne seraient jointes, comme des rêves, que par des associations d'idées.

le merveilleux. Les phénomènes du monde, pour être habituels, n'en sont pas moins étranges; le poète rompt nos habitudes d'observation, et nous fait voir la création comme si elle s'offrait pour la première fois à nos regards; il nous étonne. Le poète est un enchanteur; c'est une perpétuelle féerie qu'il déploie devant nous.

Le roman de Henri d'Ofterdingen est l'application de ces théories. C'est, sous forme allégorique, un traité de l'éducation du poète; c'est en même temps une confession de l'auteur. Novalis avait retrouvé, en 1798, Sophie de Kühn dans la personne de Julie de Charpentier, fille d'un ingénieur des mines, et il avait contracté de nouvelles fiançailles. L'année suivante, dans un voyage à Iéna, il connut Tieck, et il noua aussitôt avec lui une étroite amitié. Les contes de Tieck et les Pérégrinations de Sternbald remplacèrent, dans son admiration, le Wilhelm Meister, qu'il trouvait maintenant prosaïque, « une histoire bourgeoise et domestique, <<< avec des comédiennes pour muses ». Il entra dans une nouvelle période d'activité, malgré la maladie qui commençait à le miner et dont seul il n'apercevait pas les progrès. Henri d'Ofterdingen devait être le pendant de Wilhelm Meister, mais un pendant poétique, romantique; même le format, l'impression devaient être pareils, pour qu'il n'y eût aucun doute sur l'intention de l'auteur. Malheureusement, Novalis ne vit pas la publication d'une œuvre à laquelle il attachait de si hautes espérances. Il ne put terminer que la première partie, et il reste de courts fragments de la seconde; mais le sens général du roman est assez clair, surtout si l'on veut profiter des indications que nous donne Tieck, d'après les confidences qu'il avait reçues du poète. La première partie commence par un rêve et finit par un conte; l'un et l'autre contiennent, en pressentiment, la destinée du héros. Henri d'Ofterdingen, l'auteur présumé des Nibelungen, est né poète; il grandit sous l'œil de ses parents, à Eisenach en Saxe, méditant et rêvant, sans que rien vienne contrarier l'éclosion de son génie. Il a vu en songe la fleur bleue, le but idéal de sa vie. Mais, s'il veut remplir sa mission, il faut d'abord qu'il connaisse le monde. Il se rend, avec une caravane de marchands, auprès de son grand-père à Augsbourg, et, chemin faisant, maint tableau intéressant se déroule devant ses yeux. A Augsbourg, il rencontre le poète-magicien Klingsohr, qui lui donne de sages avis sur les limites de l'art, sur les dangers de

l'enthousiasme, sur la nécessité de s'observer, de se contenir, de se contrôler sans cesse 1. La fille de Klingsohr, Mathilde, lui apparaît comme la fleur bleue qu'il a rêvée; mais elle meurt comme Sophie de Kühn, et le jeune poète reprend ses voyages. La suite du roman devait le mener en Italie, en Grèce, dans l'Orient, et le remettre en présence de Klingsohr, dans une lutte poétique comme celle qui eut lieu, d'après la légende, au château de la Wartbourg. Henri d'Ofterdingen aime une seconde fois, comme Novalis, et cette fois la fleur bleue s'appelle Cyane : c'est Julie de Charpentier. Quand l'apprentissage du poète est terminé, il entre dans une existence supérieure, où tout ce qu'il a vu et éprouvé se spiritualise et se transfigure, un au-delà, mais qui est encore de ce monde, un ciel sur la terre. Il y retrouve Mathilde et Cyane, confondues dans une même figure idéale. Ainsi, le développement du poète s'achève dans la vie mystique et contemplative. Ayant parcouru tout le cercle de l'existence terrestre, ayant recueilli en lui les images de toutes choses, il n'a plus qu'à se replier sur lui-même, à « rentrer dans <«< son âme comme on rentre dans sa patrie ». « Tout me ramène <«< en moi-même, » dit Novalis dans un de ses fragments, et ce mot peut être pris pour la conclusion de son roman.

Novalis mourut le 25 mars 1801, n'ayant pas accompli sa vingtneuvième année. Il n'avait publié, outre ses Hymnes et quelques articles dans l'Athénée, que des cantiques religieux, qui sont la plus pure effusion de son mysticisme. Ce sont des élans du cœur, que ne trouble aucune arrière-pensée dogmatique, et quelques-uns sont d'une forme achevée. Frédéric Schlegel dit de Novalis, dans une lettre : « Il n'admet pas qu'il y ait rien de << mauvais en ce monde, et il croit que tout se prépare pour un << nouvel âge d'or je n'ai jamais vu une telle sérénité dans la jeunesse. » Lui-même dit dans une de ses poésies : « La nature « m'a fait ce don de pouvoir toujours lever un regard joyeux <«< vers le ciel. » Ces mots indiquent la vraie nature et en même temps la limite de son génie. L'école qui l'a adopté, pauvre de chefs-d'œuvre, a fait trop de bruit autour de son nom. On l'a

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1. Ein echter, ganzer Dichter scheint da dem romantischen wohlgemeinte « Warnungen zu ertheilen; wir glauben etwa Goethe reden zu hören, wenn Klingsohr << dem jungen Heinrich einschärft, er müsse vor allem seinen Verstand, seinen << natürlichen Trieb zu wissen wie alles sich begiebt und untereinander nach Gesetzen der Folge zusammenhängt, sorgfältig ausbilden. » (Haym, Die romantische Schule, p. 374).

appelé le prophète du romantisme. Il faudrait, pour justifier ce titre, qu'il eût annoncé quelque chose au monde. Or sa philosophie, sa politique, même son esthétique, sont des rêves d'enfant. Novalis est, en somme, un aimable caractère, et par moments un gracieux écrivain; mais c'est le méconnaître et lui faire tort que de le mettre au premier rang et de le tirer en pleine lumière. Il faut le laisser dans le demi-jour où il a vécu, où le grand public n'ira jamais le chercher, mais où de temps en temps quelques délicats aimeront à converser avec lui 1.

1. Éditions des œuvres et correspondance. Les écrits de Novalis ont été publiés par Frédéric Schlegel et Tieck; 2 vol., Berlín, 1802; 5o éd., 1837; 3° volume, par Tieck et Ed. von Bülow, Berlin, 1816. - Nouvelle édition, par E. Heilborn, 3 vol., Berlin, 1901. Gedichte, par W. Beyschlag, 3e éd., Leipzig, 1886. Raich, Novalis Briefwechsel mit Friedrich und August Wilhelm, Charlotte und Caroline Schlegel, Mayence, 1880.

A consulter.

Friedrich von Hardenberg genannt Novalis, Eine Nachlese aus den

Quellen des Familienarchivs, Gotha, 1873. sische Jahrbücher, XV), Berlin, 1865. Berlin, 1901.

W. Dilthey, Novalis (dans les PreusE. Heilborn, Novalis der Romantiker,

CHAPITRE VII

SCHLEIERMACHER

Éducation de Schleiermacher. Sa crise religieuse. Les Discours sur la religion et les Monologues. La religion individuelle. Caractère de Schleiermacher.

Schleiermacher est le théologien de l'école; il lui appartient par les raffinements de son idéalisme et par l'élégance légèrement apprêtée de son style. La religion a été son domaine propre, le seul dans lequel il fût réellement compétent. Son jugement littéraire a toujours été très incertain, souvent déterminé par des considérations personnelles1; le sentiment artistique lui manque tout à fait.

Né à Breslau, en 1768, Frédéric Schleiermacher était fils et petit-fils de pasteur. « La religion, » dit-il, « est le sein materne<«< qui a nourri mon enfance. » Deux traits qui semblent s'exclure s'unissent en lui et lui constituent de bonne heure une original lité : d'un côté, un sentiment profond et délicat, et, de l'autre, un esprit inquisiteur et presque sceptique, un besoin de se rendre un compte absolument exact des choses. A douze ans, sur les bancs du collège, il se plaint de devoir s'escrimer contre un auteur latin, qu'il peut bien traduire, dit-il, mais non comprendre, et il se demande si toute l'histoire ancienne, telle qu'on la lui enseigne, n'est pas apocryphe. Il ne s'agit, pour le moment, que de l'histoire profane; mais l'histoire sacrée, avec le dogme dont elle est le support, lui inspirera bientôt les mêmes scrupules.

Il fut envoyé, en 1785, au séminaire des frères moraves à Barby, où régnait une discipline étroite, systématiquement hostile à

1. C'est ce qui explique les Lettres intimes sur Lucinde, une sorte d'appendice ou de prolongement justificatif du roman de Frédéric Schlegel, ou, comme on l'a dit, << un beau commentaire sur un vilain texte ».

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