Imágenes de página
PDF
ePub

article inséré dans le Journal philosophique 1. Le gouvernement saxon voulut le ménager, lui infliger une simple réprimande; lui-même demanda ou une condamnation formelle ou une justification éclatante, et il donna sa démission. Il se rendit à Berlin, et ne s'occupa pendant quelques années que de compléter son système, en l'appliquant à la morale, au droit, à la politique, à la religion. Il venait d'être attaché à l'université d'Erlangen, qui dépendait alors de la couronne de Prusse, quand la campagne d'léna, lui imposant d'autres devoirs, interrompit encore une fois son enseignement. Il suivit la famille royale à Koenigsberg, et fut l'un des plus zélés dans le groupe des patriotes qui songèrent au relèvement de leur pays. Il prononça, dans l'hiver de 1807 à 1808, à Berlin, ses Discours à la nation allemande 2, où il s'exprime sur les causes de l'abaissement de l'Allemagne et sur les moyens d'y remédier. Les causes, dit-il, sont intérieures; elles ne sont pas dans la supériorité de l'ennemi, mais dans le fléchissement du caractère national, dans l'égoïsme des classes dirigeantes, dans l'admiration aveugle et dans l'imitation inconsidérée de l'étranger3. Quant au remède, il est dans une éducation virile, qui retrempe les âmes et inspire l'esprit de sacrifice. La patrie, selon Fichte, c'est l'immortalité de l'homme sur la terre. « Est-il un noble <«< caractère qui ne désire contribuer, si peu que ce soit, par l'action << ou par la pensée, à la perfectibilité indéfinie et ininterrompue de <«<< sa race? Quel est l'homme qui ne veuille jeter dans les espaces « du temps quelque chose de neuf et d'inusité, quelque chose « qui s'y maintienne et devienne la source inépuisable de créa<«<tions nouvelles? Qui ne désire payer sa place en ce monde et <«<les courtes années qui lui sont dévolues, par quelque chose qui << durera éternellement, même ici-bas? C'est ainsi qu'un simple particulier pourra, si l'histoire ne garde pas son nom (car le désir « de la gloire est une vanité méprisable), laisser cependant, dans <«< sa conscience et dans sa croyance, des monuments qui attestent <<< son passage sur la terre. Quel noble caractère ne voudrait «< cela? Or, c'est uniquement au point de vue de ceux qui pensent

[ocr errors]
[ocr errors]

་་

1. Ueber den Grund unsers Glaubens an eine göttliche Weltregierung, 1798. 2. Reden an die deutsche Nation, Berlin, 1808; souvent réimprimé. Traduction française de L. Philippe, Paris, 1895. A consulter: M. Lehmann, Fichte's Reden and die preussische Censur (dans les Preussische Jahrbücher), Berlin, 1895.

3. Die Ausländerei.

4. Sa conscience, comme Fichte le dit ailleurs, le rattache à la conscience universelle; sa croyance fait de lui un membre du corps social

<«< ainsi que le monde doit être considéré; c'est pour leurs besoins « qu'il doit être organisé; il n'existe que pour eux. De tels carac«<tères sont ce que tous devraient être; ils sont le noyau de «< l'univers. Les autres, ceux qui pensent autrement, ne sont que « des parties du monde périssable; et, aussi longtemps qu'ils <«< pensent ainsi, ils ne sont là que pour les premiers, et ils doi<«< vent s'accommoder à leurs besoins, jusqu'à ce qu'ils soient «<devenus semblables à eux 1. »

Tandis qu'il traçait ainsi, du point de vue de sa philosophie, l'image de la patrie idéale, Fichte s'occupait de la réaliser par des mesures pratiques. Il fut pendant deux ans recteur de la nouvelle université de Berlin. Après la retraite des troupes françaises, sa femme prit le typhus en soignant les soldats malades. Lui-même fut atteint par la contagion, et il mourut, ou, comme il s'exprimait, il fut « guéri de ses maux », le 28 janvier 1814.

La philosophie de Fichte est bien celle d'un homme qui ne reconnaissait aucune borne à la pensée et à l'activité humaines. Pour Kant, notre connaissance était une combinaison entre la réalité extérieure et les lois de notre entendement; il admettait, en dehors de ce que nous pouvons percevoir, une chose en soi qui nous échappe. Notre savoir n'est, selon lui, qu'une apparence, derrière laquelle se cache l'éternel mystère. Pour Fichte, cette apparence est la réalité même; c'est le résultat de l'activité personnelle et incessante du moi. La chose en soi n'est qu'une limite qui s'oppose à l'expansion du moi, mais une limite qui recule toujours, à mesure que l'infinie virtualité du moi se réalise au dehors. Le progrès de la science, c'est l'absorption du non-moi par le moi, la conquête du monde par l'esprit.

[ocr errors]

1. Welcher Edeldenkende will nicht durch Thun oder Denken ein Samenkorn streuen zu unendlicher immerfortgehender Vervollkommnung seines « Geschlechts, etwas Neues und vorher nie Dagewesenes hineinwerfen in die « Zeit, dass es in ihr bleibe und nie versiegende Quelle werde neuer Schöpfungen; seinen Platz auf dieser Erde und die ihm verliehene kurze Spanne «Zeit bezahlen mit einem auch hienieden ewig Dauernden, so dass er, als dieser « Einzelne, wenn auch nicht genannt durch die Geschichte (denn Durst nach «Nachruhm ist eine verächtliche Eitelkeit), dennoch in seinem eignen Bewusstsein « und seinem Glauben offenbare Denkmale hinterlasse, dass auch er da gewesen « sei? Welcher Edeldenkende will das nicht? sagte ich; aber nur nach den Bedürf «nissen der also Denkenden, als der Regel, wie alle sein sollten, ist die Welt zu « betrachten und einzurichten, und um ihrer Willen allein ist die Welt da. Się « sind der Kern derselben, und die anders Denkenden sind, als selbst nur ein Theil der vergänglichen Welt, so lange sie also denken, auch nur um ihrer « Willen da, und mussen sich nach ihnen bequemen, so lange, bis sie geworden ⚫ sind wie sie. » (Achte Rede.)

Le point de départ de la philosophie de Fichte, c'est le moi qui se pose en face du monde comme sujet absolu. Descartes avait dit: Je pense, donc je suis. Mais une pensée pourrait, à la rigueur, se concevoir comme impersonnelle : telle avait déjà été l'opinion de Kant. Fichte ajoute au principe de Descartes un élément de plus, la personnalité. L'essence du moi, c'est d'avoir conscience de lui-même; donc il existe dès qu'il acquiert cette conscience; il se produit, il se crée lui-même; il devient sujet absolu.

Mais ce premier fait en amène un second. Le moi ne peut se reconnaître qu'à la condition de poser en face de lui quelque chose qui n'est pas lui. Par cela même que je dis moi, j'affirme qu'il y a un non-moi. Ce non-moi est formé de toutes les impressions que je reçois du dehors. Le moi, une fois qu'il a pris conscience de lui-même, éprouve le besoin de se déployer et de s'étendre. Il rencontre alors une résistance au dehors de lui; il se sent limité, déterminé; il suppose une cause à cette détermination, et il la réalise dans la notion des objets. Pour le sens commun, la détermination du moi vient des objets mêmes; pour le philosophe, elle n'est que le résultat d'une impulsion que le moi se donne pour étendre son empire sur les objets, pour réaliser la somme des idées qu'il porte virtuellement en lui. La vie du sujet pensant consiste ainsi dans un mouvement tour à tour centrifuge et centripète. Le moi sort de lui et revient à lui, mais il y revient toujours plus riche, plus puissant. Chaque opposition qu'il rencontre augmente son énergie. A chaque partie de luimême qu'il réalise, il sent en lui de nouveaux germes d'activité qui tendent à éclore. Le terme de son développement serait l'empire incontesté de l'esprit sur la matière, de la raison sur la nature, ou, pour parler le langage de Fichte, l'identité du moi et du non-moi. Cette identité, cette synthèse absolue, Fichte la pose comme un idéal, Hegel la donnera comme une réalité.

Le moi idéal est personnifié en Dieu. Le moi divin est l'infini réalisé. Le moi humain n'est que virtuellement ce que Dieu est réellement; il est limité par le temps, il est donc fini. Mais son activité consiste à réaliser indéfiniment son contenu idéal, et à se rendre ainsi de plus en plus semblable à Dieu. Le moi humain est, pour ainsi dire, le moi divin à l'état de devenir, mais sans que nous puissions assigner à ce devenir aucun terme précis.

La distinction entre le moi fini et le moi infini est le fonde

ment de la philosophie morale et religieuse de Fichte. Le moi fini, la personnalité humaine, trouve à côté d'elle d'autres personnalités, ayant les mêmes droits et les mêmes devoirs; et la liberté, c'est-à-dire la vie selon la raison, ne peut se concevoir que comme l'union de tous les êtres raisonnables dans une même conscience c'est l'ordre moral. La liberté ne peut être qu'universelle, et, en ce sens, sa dernière expression est l'esprit de sacrifice, l'intérêt particulier trouvant sa plus haute satisfaction dans l'intérêt général. L'ordre moral personnifié, c'est Dieu. Mais nous n'avons, selon Fichte, nul besoin de le personnifier ni de le démontrer. Le personnifier, c'est le limiter, le former à notre image finie, en faire une idole. Le démontrer, c'est le faire dépendre d'une certitude en dehors de lui; or il est lui-même le principe de toute certitude; il est l'absolu.

De toutes les objections qui ont été faites à la philosophie de Fichte, une seule lui a été sensible: l'accusation d'athéisme. Il pensait que tous ses écrits étaient animés d'un profond sentiment religieux, et, en cela, il ne faisait que se rendre justice. Nulle part la croyance à un ordre supérieur n'est affirmée avec plus d'autorité et de conviction. L'appel au public, qu'il joignit à sa défense, peut être comparé à l'Anti-Gaze de Lessing; on y trouve la même dialectique serrée, avec plus d'abondance et de chaleur. L'idée dominante est que l'homme religieux est celui qui contribue à réaliser le règne de Dieu sur la terre, en mettant sa vie entière en harmonie avec la loi morale. « Que de fois, quand un «homme n'est pas tout à fait dépourvu de noblesse, que de fois, au <«< milieu des occupations et des jouissances de la vie, un soupir « s'élève du fond de sa poitrine! Il est impossible, se dit-il, qu'une << telle vie soit ma vraie destination. Il faut qu'un état différent me «< soit réservé, il le faut! Un écrivain sacré exprime cette idée <«< avec une force particulière. Les créatures elles-mêmes partagent, <«< selon lui, notre ardent désir; elles gémissent d'être assujetties à <«< la vanité malgré elles, et elles aspirent à leur délivrance. Cette aspiration vers ce qui est plus haut, vers ce qui est meilleur, vers «< ce qui est impérissable, cette satiété de ce qui est vain et fugitif, <«<est un sentiment qu'on ne saurait étouffer dans le cœur de « l'homme. Ce qu'on ne peut pas étouffer davantage, c'est une «< voix qui s'élève en lui et qui lui rappelle qu'il y a un devoir, qu'il

((

1. Saint Paul, dans l'Épitre aux Romains.

1

« y a quelque chose qu'il faut faire, uniquement parce que c'est le << devoir. Et l'homme, qui n'a plus d'autre refuge que lui-même, se «<< dit alors : Quoi qu'il m'arrive, je veux faire mon devoir, pour « n'avoir rien à me reprocher. Et cette seule résolution lui rend supportable le va-et-vient de la vie humaine, qu'il avait pris en dégoût. Je dois continuer cette vie, se dit-il, le devoir me le com« mande, je dois accomplir sans murmurer ce qu'elle réclame de << moi, et, quelque peu qu'elle vaille par elle-même, elle me sera «< sacrée pour l'amour du devoir1. »

[ocr errors]
[ocr errors]

Il établit ensuite que la moralité et la religion sont identiques. La religion sans moralité n'est que superstition; elle nourrit l'homme de chimères, sans le rendre meilleur. La moralité sans religion nous fait éviter le mal par crainte des conséquences, elle ne nous enseigne pas à pratiquer le bien pour lui-même. Vouloir ce qu'on doit, par cela seul qu'on le doit, c'est affranchir sa volonté des sollicitations de ce monde, et, par contre-coup, affranchir tout son être; c'est entrer dans un monde supérieur; c'est participer, dès ici-bas, à la vie bienheureuse. « D'après ma « doctrine, le caractère de l'homme vraiment religieux est celui«< ci : un seul désir soulève sa poitrine, une seule pensée anime sa « vie, c'est que tous les êtres raisonnables puissent jouir de la «< félicité. Que ton règne vienne! telle est sa prière. Hors de là, << rien n'a de charme pour lui; toute autre envie est morte en lui. « Et il ne connaît qu'un moyen d'approcher de son but, c'est

[ocr errors]

1. Es drängt sich öfters unter den Geschäften und Freuden des Lebens aus der Brust eines jeden nur nicht ganz unedlen Menschen der Seufzer: unmöglich kann ein solches Leben meine wahre Bestimmung sein, es muss, o es muss « noch einen ganz andern Zustand für mich geben! Ein heiliger Mann sagt dies • mit besonderer Stärke: sogar die Creatur möchte sich sehnen mit uns und seufzen « immerdar, dass sie frei werde vom Dienste der Eitelkeit, dem sie unterworfen «ist wider ihren Willen. Sage man es, wie man wolle, dieser Ueberdruss an dem Vergänglichen, dieses Schnen nach einem Höheren, Besseren und Unvergånglichen liegt unaustilgbar im Gemüthe des Menschen. Ebenso unaustilgbar . ertönt in ihm die Stimme, dass etwas Pflicht sei und Schuldigkeit, und lediglich darum, weil es Schuldigkeit ist, gethan werden müsse. Ergehe es mir auch wie es immer wolle, sagt dann der in sich zurückgetriebene Mensch, ich will meine Pflicht thun, um mir nichts vorzuwerfen zu haben. Durch diese Ansicht allein wird ihm das an sich zum Ekel gewordene menschliche Thun und Treiben wieder erträglich. Die Pflicht gebeut nun einmal, sagt er sich, dass ich dieses Leben fortfülre, und in ihm frisch und fröhlich vollbringe, was mir vor die Hand kommt; und so wenig Werth auch dieses Leben um sein selbst willen für mich hat, so soll es mir doch um der Pflicht willen heilig sein.» (Fichte's Appellation an das Publicum über die durch ein Churf. Sachs. Confiscationsrescript ihm beigemessenen atheistischen Ausserungen. Avec l'épigraphe: « Eine Schrift, die man erst zu lesen bittet, ehe man sie confiscirt. » Iéna et Leipzig, 1799.)

« AnteriorContinuar »