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germaniques. Il aurait voulu entrer dans le haut enseignement, pour s'en faire un moyen d'action sur la jeunesse revenu à Berlin en 1809, il ne trouva qu'un modeste emploi de maître auxiliaire. Il publia, l'année suivante, son principal ouvrage, Nationalité allemande 1, où il affirmait que le salut de l'Allemagne résidait dans la Prusse, et que l'instrument de ce salut était la dynastie des Hohenzollern. Sa haine de l'étranger ne connaissait pas de bornes; il voulait bannir jusqu'aux langues étrangères. Il protestait aussi, au nom de la vertu germanique, contre la nudité des statues, et il demandait que les célibataires fussent privés des droits civiques, ceux du moins qui ne pouvaient pas prouver que leur célibat était involontaire. Tout cela était dit dans un style baroque et ampoulé. Mais l'œuvre durable et vraiment patriotique de Jahn fut l'organisation des exercices de gymnastique. Ces exercices n'étaient pas nouveaux; certaines maisons d'éducation, surtout celles qui étaient instituées sur le modèle du Philanthropinum de Dessau, les connaissaient déjà. Jahn les introduisit dans le programme scolaire et leur donna une méthode. Il y attacha un intérêt public; il les recommanda comme un moyen de tremper les caractères et de rapprocher les classes. Les jeunes seigneurs et les enfants du peuple, séparés par leurs habitudes Journalières et par leurs études, se retrouvaient à de certaines heures et se coudoyaient sur le champ d'exercices. Le premier gymnase fut installé, en 1810, sur la Hasenhaide, un grand pré aux environs de Berlin, à l'endroit même où se trouve aujourd'hui le monument du fondateur, élevé sur un tertre auquel chaque société de gymnastique apporta sa pierre 2.

Mais la réforme la plus profonde et la plus hardie, si l'on considère toutes les difficultés qu'elle rencontrait, fut la fondation de l'université de Berlin, poursuivie avec persévérance au milieu de l'occupation française. Dès l'année 1800, il avait été question de créer dans la capitale une école de haut enseignement. On

1. Deutsches Volksthum, Lubeck, 1810.

2. Jahn s'engagea, en 1813, dans le corps franc de Lutzow. Après avoir fait encore les campagnes de 1814 et 1815, il fut victime de la réaction qui suivit la victoire des souverains alliés. Accusé de démagogie, il fut retenu en prison pendant six ans (1819-1825). On lui interdit le séjour de toute ville ayant une université ou un gymnase, et il se retira à Fribourg-sur-l'Unstrut, en Saxe. C'est là qu'il mourut en 1852, âgé de soixante-quatorze ans, après avoir siégé encore à l'Assemblée nationale de Francfort. — Les meilleures biographies de Jahn sont celles d'Euler (Stuttgart, 1881) et de Franz Schultheiss (Berlin, 1894). Euler a donné aussi une édition de ses œuvres (2 vol., Hof, 1884-1887).

pensa d'abord transférer simplement à Berlin l'université de Francfort-sur-l'Oder ou celle de Halle. Guillaume Schlegel et Fichte, sans attendre qu'aucune décision fût prise, avaient déjà ouvert des conférences libres, littéraires et philosophiques. A partir de 1806, et après que le territoire de Halle eût été détaché du royaume, la réforme parut plus urgente, et les divers projets qui avaient été mis en avant se groupèrent. Les uns demandaient une université sur l'ancien modèle, les autres, comme le philologue Wolf et Schleiermacher, une académie, où chaque membre enseignant serait libre de choisir le sujet de son cours et même de fixer la rétribution due par les auditeurs. Ce fut la première idée qui l'emporta. Quant à FrédéricGuillaume III, il s'était borné à répondre à une députation qui lui demandait le transfert de l'université de Halle : « Il faut « que l'État supplée par des forces morales à ce qu'il a perdu «<en forces physiques. >> Et il n'intervint en aucune façon dans les délibérations qui avaient lieu entre les hommes compétents. L'université de Berlin fut solennellement inaugurée le 10 octobre 1810; elle comptait cinquante-huit professeurs, ordinaires ou extraordinaires, et six étudiants inscrits; mais le nombre de ceux-ci s'éleva, avant la fin de l'année, à deux cent quarante-sept. Lorsqu'on célébra, le 3 août suivant, l'anniversaire de la naissance du roi, le professeur chargé du discours fit, au nom de ses collègues, la déclaration suivante : « Ce que nous devons <«< chercher, ce n'est pas ce qu'un sens borné peut considérer <«< comme utile, mais ce qui est utile en esprit et en vérité. Nous << devons tendre à ce qui est juste et droit, donner aux jeunes << hommes qui entourent nos chaires le pur esprit scientifique, leur << enseigner, par la parole et par l'exemple, à vouer leur âme à la «< science et à consacrer leur cœur à la patrie. » L'université de Berlin devint ainsi un foyer de recherche libre et indépendante, à une époque où les écoles grandes et petites n'étaient, entre les mains de Napoléon, qu'un moyen de gouvernement 1.

1. A consulter. - R. Koepke, Die Gründung der Königlichen Friedrich-WilhelmsUniversität, Berlin, 1860. - Lavisse, La fondation de l'université de Berlin, Paris, 1876.

CHAPITRE II

LE MOUVEMENT PHILOSOPHIQUE DE KANT A HEGEL

1. Fichte; ses rapports avec Kant; son caractère. Son enseignement à Iéna et à Berlin; les Discours à la nation allemande. La Doctrine de la science; opposition du moi et du non-moi. L'accusation d'athéisme; l'Appel au public. Caractère religieux de la philosophie de Fichte 2. Schelling et la Doctrine de l'identité; essai de compléter le. système de Fichte. - 3. Hegel; ses rapports avec Schelling et avec Spinosa. La Phénoménologie de l'esprit. La langue de Hegel, Symėtrie de son système; l'idée du devenir. Principes contradictoires; commencement de scission dans l'école. Résultat général du mouvement philosophique depuis Kant jusqu'à Hegel.

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Kant règne sur la philosophie allemande, comme Descartes a régné sur la philosophie française; il semble que l'un et l'autre aient trouvé la formule la mieux appropriée à la pensée de leur nation.

Le système de Kant se distinguait par la pénétration des vues, par la rigueur des démonstrations, par la franchise des conclusions et surtout par l'austérité morale. C'est ce dernier caractère, le plus saillant de tous, que ses continuateurs mirent d'abord en lumière. Kant avait établi la supériorité de la raison pratique sur la raison théorique, tout en les laissant indépendantes l'une de l'autre et en les maintenant chacune dans son domaine propre. Fichte absorbe la raison théorique dans la raison pratique, et prétend constituer ainsi l'unité de la science. La pensée n'est, pour lui, que la plus haute expression de la volonté; et comme la volonté, lorsqu'elle ne rencontre pas d'obstacle ou qu'elle triomphe des résistances, se traduit par un acte, comme

l'acte à son tour se réalise au dehors, la pensée devient créatrice. Penser, agir, créer, ne sont que des manifestations diverses d'une même faculté, d'une même énergie. Fichte, en faisant de la pensée créatrice le principe de toute réalité, en plaçant le moi humain au centre du monde, son œuvre, donnait une forme idéale aux aspirations d'une société que travaillait un besoin profond de renouvellement. Il obéissait en même temps à l'élan de sa propre nature; il exprimait le contenu de sa propre vie, toute de labeur et d'effort. Le courant des idées philosophiques, l'influence de l'époque, le caractère du philosophe, s'unissaient ainsi pour constituer l'originalité du système 1.

Jean-Gottlieb Fichte appartient par son origine, comme Kant, à l'extrême Nord; il descendait d'un sergent de l'armée de Gustave-Adolphe, qu'une blessure avait forcé de quitter le service et qui s'était fixé dans la Haute-Lusace. Il naquit, en 1762, au village de Rammenau, où son père tenait un petit commerce de mercerie. Un ami du seigneur de Rammenau se chargea de son éducation, et le mit au collège de Schulpforta, où Klopstock avait été élevé un demi-siècle auparavant. De là, il se rendit à l'université d'Iéna, pour étudier la théologie; mais la mort de son protecteur le laissa sans ressource. On lui offrit alors d'entrer comme précepteur dans la maison d'un maître d'hôtel de Zurich; il se rendit à pied dans cette ville, et y resta deux ans. Revenu en Allemagne, il devait occuper un emploi pareil auprès d'un comte polonais; mais il déplut, dit-on, dans le monde aristocratique de Varsovie, à cause de son accent français, peut-être aussi à cause de l'indépendance de son caractère. Avant de quitter la Pologne, il voulut voir le philosophe qu'il reconnaissait comme son maître; il s'arrêta à Konigsberg, et Kant lui procura un troisième préceptorat à Dantzig. Fichte venait d'écrire son premier ouvrage, l'Essai d'une critique de toute révélation 2, qu'un éditeur consentit à publier sans nom d'auteur, et que la Gazette

Une biographie de

1. Documents biographiques, œuvres et correspondance. Jean-Gottlieb Fichto avec un choix de sa correspondance (J. G. Fichte's Leben und litterarischer Briefwechsel, 2 vol., Sulzbach, 1830-1831) et une édition complète de ses œuvres (8 vol., Berlin, 1845-18-16) ont été publiées par son fils EmmanuelHermann Fichte, qui fut professeur à l'université de Bonn et à celle de Tubingue. Euvres posthumes, par le même; 3 vol., Bonn, 1834-1835. Des lettres de Fichte à Goethe et à Schiller ont paru dans le Goethe-Jahrbuch, XV. — A consulter: Kuno Fischer, Geschichte der neueren Philosophie, 5 volume; Xavier Léon, La Philosophie de Fichte, ses rapports avec la conscience contemporaine, Paris, 1902. 2. Versuch einer Kritik aller Offenbarung, Halle, 1792.

littéraire d'Iéna crut pouvoir attribuer à Kant. Il fit paraître bientôt après une Rectification des jugements du public sur la Révolution française et un Appel aux princes de l'Europe pour leur redemander la liberté de penser 1. Ces trois ouvrages le classèrent parmi les partisans de la philosophie critique et de la Révolution. Il retourna à Zurich, où il épousa une nièce de Klopstock, et il fit, devant un public choisi, le premier exposé de sa philosophie, qui s'appela plus tard la Doctrine de la science 2, et qui avait pour but de ramener toute science à un principe unique.

L'attention commençait à se porter sur lui. Appelé, en 1794, à une chaire de philosophie à léna, il marqua les grandes lignes de son système dans son premier programme de cours, intitulé Idée de la Doctrine de la science, et il en donna ensuite un aperçu plus complet dans les Fondements de la Doctrine de la science et dans le Précis de la Doctrine de la science 3. Dans l'intervalle, il publia ses Leçons sur la destination du savant . Fichte veut que le savant intervienne dans les affaires de son pays; et le savant, pour lui, n'est pas précisément l'érudit, l'homme d'étude qui a su approfondir une matière spéciale; c'est tout esprit libre, en possession de la culture générale de son époque, et élevé audessus des préoccupations de la vie journalière. Il veut que la direction de la société appartienne aux plus éclairés, et il pense qu'elle leur appartiendra sûrement, le jour où ils seront décidés à la prendre. Agir, telle est, selon lui, la vraie fonction de l'homme; c'est son droit à l'existence et sa dette envers ses semblables; et son action sera d'autant plus féconde qu'elle sera moins asservie aux passions et aux préjugés et plus conforme aux principes d'une saine raison.

Fichte enseignait depuis quatre ans à léna, et il avait pris, par la fermeté et la chaleur de ses convictions, un grand empire sur la jeunesse universitaire, lorsqu'il fut accusé d'athéisme pour un

1. Beiträge zur Berichtigung der Urtheile des Publikums über die französische Revolution, 2 vol., Zurich, 1793. — Zurückforderung der Denkfreiheit von den Fürsten Europa's, die sie bisher unterdrückten. Héliopolis (Zurich), im letzten Jahr der alten Finsterniss (1793).

2. Die Wissenschaftslehre.

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3. Ueber den Begriff der Wissenschaftslehre, Weimar, 1794; - Grundlage der gesammten Wissenschaftslehre, Iéna et Leipzig, 1794; Grundriss des Eigenthümlichen der Wissenschaftslehre, Iéna, 1795. Les deux derniers ouvrages ont été traduits par P. Grimblot, sous le titre commun de Doctrine de la science; Paris, 1813. 4. Vorlesungen über die Bestimmung des Gelehrten, Iéna et Leipzig, 1794. - Traduction française de Nicolas, Paris, 1838

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