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byzantin, dont le nom est resté inconnu, recueillit, au e siècle de notre ère, la tradition légendaire sur Alexandre, dans une sorte de roman qu'il mit sous le nom de Callisthène, un historien grec qui avait pris part à la grande expédition contre les Perses; et le Pseudo-Callisthène, traduit en latin, devint la source des nombreuses Gestes d'Alexandre, rédigées plus tard en langue vulgaire. L'auteur français qui a servi de modèle au curé Lamprecht est appelé par lui Albéric de Besançon; on ne sait rien de la vie de ce poète, et nous ne possédons de lui qu'une centaine de vers, qui formaient le commencement de son ouvrage, et qui, s'ils ne peuvent pas nous donner une idée de l'ensemble, montrent du moins que l'imitation allemande était très fidèle 1.

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Le poème de Lamprecht tout entier a un caractère sentencieux, qu'il tenait sans doute de l'origine orientale de la légende. Quand Albéric écrivit sa chanson, il le fit avec des pensées « semblables à celles qui remplissaient l'âme du roi Salomon, << prononçant cette grande parole: Vanitas vanitatum et omnia « vanitas, ce qui veut dire que le soleil ne se lève et ne se couche « que sur des choses périssables. Salomon avait éprouvé cette « vérité; elle était la cause de sa tristesse; elle fut l'inspiratrice << de ses écrits: car, sachant qu'il est salutaire à l'homme d'oc«cuper son âme et son corps, il résolut de mettre par écrit sa (( grande sagesse. Maître Albéric se rappelait la pensée de Salomon, <«<et c'est avec cette pensée que moi-même je commence mon «< récit 2. » Après ce préambule, Lamprecht promène son héros

1. La plus ancienne traduction connue du Pseudo-Callisthène, celle de Jules Valère, semble remonter au commencement du ive siècle : voir J. Zacher, Pseudocallisthenes, Juli Valerii Epitome, Halle, 1867. Les 105 premiers vers du poème d'Albéric ont été retrouvés à Florence et publiés par P. Heyse (Romanische Inedita, Berlin, 1856); ils ont été reproduits dans la Chrestomathie de l'ancien français de K. Bartsch. - Le poème de Lamprecht ne nous est connu que par trois remaniements postérieurs et indépendants l'un de l'autre; l'un de ces remaniements était contenu dans un manuscrit qui se trouvait à la Bibliothèque de Strasbourg et qui a été détruit par l'incendie de 1871. Éditions de H. Weismann (avec un grand nombre de documents relatifs à la légende d'Alexandre; 2 vol., Francfort, 1850) et de K. Kinzel (Halle, 1881).

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d'Occident en Orient; il lui fait conquérir non seulement l'Asie, mais l'Italie, la Sieile et l'Afrique. Il le mène jusqu'aux extrémités

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de la terre, «< là où est l'abîme du monde, et où l'on voit tourner le ciel, comme une roue tourne autour de son axe ». Enfin Alexandre frappe aux portes du paradis; un vieillard lui dit qu'elles s'ouvriront devant lui quand il aura renoncé à une vaine gloire et songé au salut de son âme. Alexandre se convertit à la sagesse chrétienne, et il règne en paix encore douze ans. Le récit a parfois une heureuse concision, dont le mérite revient en partie à l'original français.

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Les deux ecclésiastiques qui chantèrent les exploits de Roland et d'Alexandre ne furent, en réalité, que des précurseurs. Entre eux et les compilateurs du temps de la décadence se place un groupe d'écrivains qui étaient considérés au moyen âge comme les vrais représentants de la poésie chevaleresque en Allemagne. Ils expriment parfaitement l'idéal d'une société qui, après avoir fait les premières croisades, aspirait maintenant au repos d'une vie aristocratique. L'élan guerrier, même le zèle religieux, commençaient à se ralentir; les jeux brillants du tournoi étaient préférés aux hasards de la lutte sanglante; la valeur n'avait tout son prix que lorsqu'elle s'alliait à la courtoisie. Les poètes, se réglant sur le mouvement de l'esprit public, s'efforcèrent d'adoucir les rudes accents d'autrefois. Leur vraie muse fut la Minne, ou le Penser amoureux. Ils s'appelèrent eux-mêmes Minnesinger, ou Chantres d'amour, et c'est le nom qu'ils ont gardé dans l'histoire.

Les Minnesinger se partagent en deux classes, les lyriques et les épiques, ou, comme dit l'un d'eux, les rossignols et les

durh daz swar ime sin mût;

er ne wolde niwit langer ledich sitzen,

«er screib von grôzen witzen,

wande des mannis mûzicheit

«zô dem libe noh zô der sêle nith ne versteit.
dar ane gedachte meister Elberich.

« den selben gedanc haben ouch ih. »>

(Alexander, v. 19-34, éd. de Kinzel.)

:

peintres1. Leur originalité, dans les longs poèmes, est toute dans le style. Pour le fond des sujets, ils ont un procédé uniforme ils font choix d'un poète français, qu'ils suivent pas à pas, dont ils invoquent même l'autorité pour donner plus de créance à leurs récits. Ils se permettent rarement d'ajouter ou de retrancher; c'est à peine s'ils osent intervertir l'ordre des aventures. La popularité des sujets chevaleresques, l'intérêt presque historique qui s'y attachait, leur faisaient un devoir d'être avant tout exacts et complets; et il faut avouer qu'ils acceptent ce devoir avec une résignation qui fait souvent douter de leur génie. Ils semblent ignorer qu'il y a un art de grouper les parties d'un tout en vue d'une impression générale. Leur faculté d'invention s'exerce uniquement sur le détail. Ils veulent parler avec grâce, sentir avec délicatesse. Ils font profession de n'admettre que les expressions consacrées par l'usage des cours. La courtoisie, ce mot qui revient souvent dans leurs écrits, exprime pour eux la perfection littéraire. La courtoisie était alors la vertu suprême, dans l'art comme dans la vie.

Le fondateur de l'école nouvelle fut Henri de Veldeke. Son langage trahit une origine bas-allemande. Il passa une grande partie de sa vie à la cour de Clèves, et c'est là qu'il commença son Énéide, où il prit Benoît de Sainte-More pour modèle 2. Il termina son ouvrage, selon les calculs probables, avant l'année 1189. Henri de Veldeke ne faisait que suivre l'usage de son temps en faisant d'Énée un chevalier parfait, de Didon et de Lavinie des châte

1. Die nahtegalen und die värwære; voir le Tristan de Gotfrit de Strasbourg, vers 4619 et suivants.

2. Benoit de Sainte-More paraît avoir eu sous les yeux le texte même de Virgile. Voir Alexandre Pey, Essai sur li romans d'Eneas (Paris, 1856), et un article du même dans le Jahrbuch für romanische und englische Litteratur (année 1860). L'Eneide de Henri de Veldeke a été publiée avec ses poésies lyriques par Ettmüller; Leipzig, 1852. Le texte que nous possédons est en haut-allemand, avec un mélange d'expressions bas-allemandes. « Ou Henri de Veldeke, » dit J. Grimm, « a écrit en bas-allemand et ses œuvres ont été transcrites après lui en «haut-allemand, ou lui-même a adopté le haut-allemand, tout en gardant certaines particularités de son dialecte natal. » (Deutsche Grammatik, I, 453.) La dernière explication est la plus probable. Cependant un éditeur, se rangeant à la première hypothèse, a cru pouvoir restituer le texte primitif de l'Eneide en dialecte basrhénan (Otto Behaghel, Heinrichs von Veldeke Eneide, Heilbronn, 1882). Carl Kraus, Heinrich von Veldeke und die mittelhochdeutsche Dichtersprache, Hallo, 1899.- Henri de Veldeke est aussi l'auteur d'ane Légende de saint Servais, probablement antérieure à l'Enéide, et écrite dans une langue moins mélangée : éd. de Bormans (Maestricht, 1858) et de P. Piper (Hofische Epik, I dans la collection Deutsche National-Litteratur, de Kürschner).

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Voir

laines accomplies. Pour les hommes de ce temps, la féodalité, avec toutes ses conséquences, était d'institution divine; le monde ancien et moderne ne se reflétait dans leur imagination que comme une longue chevalerie. Lavinie a été promise en mariage à Turnus; sa mère l'instruit dans la courtoisie : « Si tu veux bien « faire et te rendre heureuse, tu aimeras Turnus. Comment l'aimerai-je? —De ton cœur et de tes sens. Comment puis-je « donner mon cœur? comment vivrai-je, après cela? Ce n'est << pas ainsi que tu dois le donner. Et comment donc? La «Minne te l'apprendra. La Minne est, depuis l'origine des choses, toute-puissante sur le monde, et elle le sera de plus en plus jusqu'au dernier jour. Personne ne lui résiste; on est vaincu par « elle, avant qu'on la voie, avant qu'on l'entende 1. » Ce marivaudage se répétera sous toutes les formes pendant un siècle; c'était la grande nouveauté du jour.

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Les premiers successeurs de Veldeke furent Hartmann d'Aue et Gotfrit de Strasbourg. Hartmann était un chevalier au service des seigneurs d'Aue, en Souabe. Il prit part à une croisade, probablement celle de 1195, conduite par l'empereur Henri VI. Il était instruit; il lisait beaucoup, et il s'en vante. Il reprit l'Érec et l'Ivain de Chrestien de Troyes, et, d'après un autre original français, la légende du pape Grégoire ou du Bon Pécheur; enfin il raconta, d'après une tradition locale, ou peut-être d'après un texte latin, l'histoire du Pauvre Henri. Hartmann, le premier, ou l'un des premiers, rendit populaires en Allemagne les aventures de la Table ronde. L'Ivain débute au milieu des enchantements de la forêt de Brocéliande. Le héros, après avoir triomphé d'un géant, gardien d'une fontaine merveilleuse, et avoir subi encore d'autres épreuves, devient l'époux de la Dame de la Fontaine, Laudine, et possesseur d'un riche domaine. Ayant reçu la visite d'Arthur et de ses compagnons, il part avec eux, en promettant à sa dame de revenir dans un an. Mais le délai passe, sans

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« daz mans ne hôret noch ensiht. » (Eneide v. 9633-9642).

qu'il ait songé au retour. Alors Laudine lui fait redemander l'anneau qu'elle lui a donné au départ. Il éprouve un tel remords d'avoir manqué à sa parole, qu'il perd la raison. Ses derniers exploits, qui lui font obtenir le pardon de sa dame, ne sont pas les moins extraordinaires; il y est assisté par un lion, qu'il a délivré de l'étreinte d'un serpent, et qui le suit dès lors comme un lévrier. Les scènes où est peint le désespoir d'Ivain pourraient figurer dans le Roland furieux de l'Arioste. Érec a, lui aussi, une faute à racheter. Il «amollit son corps, par amour pour sa dame, « Énite »; en d'autres termes, il cède à la tentation du repos. Les chevaliers, ses compagnons, en conçoivent de l'humeur. Énite elle-même lui en fait un reproche. Alors, soit pour la punir, soit pour trouver un encouragement dans sa présence, il la force à l'accompagner dans de nouvelles aventures, faisant fonction d'écuyer, et sans proférer une parole. La patience d'Enite est plus intéressante que les coups d'épée de son farouche seigneur. Dans tout cet ensemble de récits, Hartmann ne montre pas la vivacité de Chrestien de Troyes; mais il est plus soigneux, plus réfléchi. Il cherche davantage à enchaîner les faits, à les expliquer, à les motiver. Il a des scrupules qui sont presque déplacés en pareille matière. On dirait qu'il veut mettre de la logique dans l'extravagance et faire rentrer le merveilleux dans les limites du naturel.

Dans ses deux autres poèmes, Hartmann vise moins à intéresser qu'à instruire et à édifier. Le pape Grégoire le Grand, avant d'être élevé au trône pontifical, passe dix-sept ans sur un rocher solitaire au bord de la mer, pour expier ses péchés et ceux de ses parents; car il est le fruit d'un inceste, et il a lui-même, comme OEdipe, épousé sa mère sans la connaître. Il se fait mettre au pied une lourde chaîne; une source jaillissant du rocher le nourrit. Enfin une voix du ciel le désigne comme pape, et une ambassade venue de Rome lui annonce son élection. Hartmann recommande à ses lecteurs de ne pas suivre en tout l'exemple de son héros, et surtout de ne pas croire qu'il suffise d'avoir péché pour être pardonné; et cette seule recommandation montre combien le sujet était faux.

Le Pauvre Henri est le plus original et en même temps le mieux écrit des ouvrages de Hartmann. Le seigneur Henri d'Aue était riche, puissant, honoré. Au milieu de sa fortune, il apprend tout à coup, dit le poète, à connaître la fragilité des biens de la terre.

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