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douterait pas en le lisant. Il n'a ni observation ni style; mais il était au moins sincère, car on dit qu'il pleurait lui-même quand il lui arrivait de se relire. Il oubliait parfois ce qu'il avait écrit, et il se répétait, sans s'en douter. Il n'a pas rempli moins de cent cinquante volumes, qui ont eu longtemps leur public dans la bourgeoisie et dans la noblesse, à côté des drames larmoyants de Kotzebue 1.

Lafontaine, Vulpius et Ernest Wagner ont a peu près disparu de l'horizon littéraire. Deux autres romanciers, Charles-Philippe Moritz et surtout Zschokke, trouvent encore des lecteurs. Le premier, né à Hameln, en 1757, de parents pauvres, eut d'abord une jeunesse abandonnée, et il en garda toujours une certaine sauvagerie de caractère. Après avoir terminé ses études, il obtint un emploi à l'orphelinat de Potsdam, et bientôt après il devint professeur dans un gymnase de Berlin. Mais nulle fonction ne pouvait le retenir longtemps. Un jour, pendant une promenade, dit-il, l'idée lui vint de visiter l'Angleterre. Il partit aussitôt pour Londres, et il en rapporta un de ses meilleurs ouvrages. Quatre ans après, il fit un séjour en Italie, et il eut, à Rome, des rapports presque journaliers avec Goethe. Ses lettres d'Italie, sans manquer d'intérêt, se ressentent trop des négligences de la rédaction; il ne prit pas la peine d'y mettre la dernière main et de les débarrasser du détail inutile 3. Au retour, il demeura d'abord chez Goethe, puis il fut nommé, sur la recommandation du duc de Weimar, professeur à l'Académie des beaux-arts de Berlin. Il mourut, à l'âge de trente-six ans, en 1793. Si Moritz a été inhabile à se diriger lui-même, s'il a toujours éprouvé le besoin de se subordonner à quelqu'un, il savait du moins s'observer et s'analyser. Son principal ouvrage, Antoine Reiser, un roman psychologique, comme il l'appelle, est une sorte d'autobiographie morale; c'est sa propre vie qu'il raconte sous un nom d'emprunt. Il explique comment son caractère s'est formé, ou déformé, sous l'influence des événements. Mais ces événements ne sont souvent que des

1. La vie de Lafontaine a été longuement racontée par J. G. Gruber; Halle, 1833. Deux de ses nouvelles se lisent au 137 vol. de la collection: Deutsche NationalLitteratur, de Kürschner. Lafontaine a trouvé un successeur dans Gottlieb-Samuel Heun (1771-1854), qui a écrit, sous le pseudonyme de Clauren, un grand nombre de romans et de comédies.

2. Reisene ines Deutschen in England im Jahr 1782, in Briefen, Berlin, 1783, 3. Reisen eines Deutschen in Italien in den Jahren 1786 bis 1788, in Briefen, 3 vol., Berlin, 1792-1793.

hasards. S'il fallait tirer du livre une conclusion, ce serait celle-ci,
que
la nature de l'homme est le résultat des accidents de sa jeu-
nesse. Le tout est d'une philosophie un peu superficielle, mais le
détail est très souvent intéressant. Moritz a touché à bien des
choses; ce qui lui coûtait, c'était de creuser et d'approfondir. On
ne doit pas oublier, en parlant de lui, sa Prosodic allemande (1786),
qui a été utile à Goethe, sa Mythologie ancienne (1791), qui n'est
pas entièrement démodée, et ses petits écrits sur l'art, sur la langue
et le style, qui peuvent encore être consultés 2.

Henri Zschokke a été écrivain et homme d'État, fonctionnaire civil et ecclésiastique, philanthrope avant tout, libéral en politique, rationaliste en religion. Né à Magdebourg, en 1771, orphelin de bonne heure, il mena longtemps une vie errante. Il fut d'abord précepteur, au sortir du gymnase, se joignit ensuite à une troupe de comédiens, qu'il suivit pendant deux ans, et se mit enfin à étudier la théologie à Francfort-sur-l'Oder. S'étant prononcé contre l'Édit de religion de Frédéric-Guillaume II, et ne pouvant espérer un emploi en Prusse, il se rendit en Suisse, et il s'attacha désormais à ce pays comme à sa seconde patrie. Il prit la direction d'une maison d'éducation à Reichenau, dans les Grisons, mais il dut fuir devant l'invasion autrichienne. Alors il entra dans le mouvement politique de la Suisse, servant d'intermédiaire entre les autorités cantonales et les gouvernements étrangers, et cherchant à sauvegarder l'unité et l'indépendance de la Confédération. A partir de 1808, il se fixa définitivement à Aarau, où il fut membre du grand conseil et du consistoire, inspecteur des écoles et administrateur des forêts; il mourut en 1848. Son autobiographie donne une idée de son étonnante activité, et elle contient d'intéressants détails sur les affaires de la Confédération au commencement du siècle. Les fonctions mul

1. Anton Reiser, ein psychologischer Roman, quatre parties, Berlin, 1785-1790. Une cinquième partie, publiée par Klischnig (Berlin, 1794), d'un intérêt moindre, est accompagnée d'un appendice sur les dernières années de la vie de Moritz. Édition de L. Geiger, dans les Deutsche Litteratur-Denkmale, Heilbronn, 1886.

2. Voir, dans le Voyage en Italie de Goethe: Rome, 10 janvier et 18 août 1787. Le traité Ueber die bildende Nachahmung des Schönen (Brunswick, 1788; nouv. éd. dans les Deutsche Litteratur-Denckmale, Leipzig, 1888) a été écrit à Rome, sous l'inspiration de Goethe, qui en a cité un long passage à la fin de son récit A consulter: Max Dessoir, K. Ph. Moritz als Esthetiker, Naum (mars 1788). bourg, 1889; H. Prohle, Abhandlungen über Gathe, Schiller, Bürger und einige ihrer Freunde, Potsdam, 1889; et la notice de L. Geiger, dans la Allgemeine Deutsche Biographie, t. XXII.

3. Eine Selbstschau, 2 vol., Aarau, 1842; 7° éd., 1877.

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tiples de Zschokke ne l'empêchèrent pas d'écrire sur l'histoire, sur la morale, sur la religion, sur la politique, même sur l'exploitation des forêts, sans compter ses drames et ses romans. On ne parle plus guère aujourd'hui d'Abellino, le grand bandit (1794), qu'il adapta lui-même au théâtre, et les plaintes du galérien innocent Alamontade (1802) ne font plus répandre de larmes. Mais on lit encore le Village des faiseurs d'or, qui est comme un traité d'économie rurale en action, et certaines nouvelles humoristiques, comme l'Hôte mort, qui emprunte un élément mystérieux à une superstition populaire, ou les Aventures guerrières d'un homme paisible, histoire plaisante d'un candidat en théologie entraîné dans la déroute de l'armée prussienne à léna 1. Par ces récits aimables et spirituels, Zschokke a été l'un des prédécesseurs de Tieck et des nouvellistes contemporains 2.

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1. Das Goldmacherdorf, eine anmuthige und wahrhafte Geschichte für gute Landschulen und verständige Leute, Aarau, 1817. Der todte Gast, dans le premier recueil des œuvres (40 vol., Aarau, 1824-1828). Kriegerische Abenteuer eines Friedfertigen, dans la revue: Erheiterungen, Aarau, 1811.

2. Œuvres. Gesammelte Schriften, 35 vol., Aarau, 1851-1854. Ausgewählte Novellen und Dichtungen, 10 vol., Aarau, 1847. — Ausgewählte historische Schriften, 16 vol., Aarau, 1830. L'ouvrage de Zschokke qui a été le plus souvent réédité est un livre d'édification, Die Stunden der Andacht; il a paru d'abord à Aarau, de 1809 à 1816. Traductions.

Les nouvelles ont été traduites en plusieurs séries par LoèveWeimars (Paris, 1828-1832); un choix, par X. Marmier (Nouvelles allemandes, Paris, 1847); les Nouvelles Soirées d'Aarau, avec l'autobiographie, par Cherbulicz (5 vol., Paris, 1835).

CHAPITRE IX

LES HUMORISTES

2. Hippel; ses bizarreries; 3. Jean-Paul Richter. L'idylle

L'humour et le genre humoristique; ce qui manque à tous les humo. ristes. 1. Lichtenberg; sa nature disparate; ses opinions littéraires; sa polémique contre Lavater. son manque de vraie originalité. de sa jeunesse. Son début dans la satire. Ses premiers romans humoristiques. Ses héros favoris; Marie Wuz, Quintus Fixlein, l'avocat Siebenkæs. Tentative dans le roman philosophique; Titan. Jean-Paul pédagogue. Ses procédés de style; ce qu'il y a d'artificiel dans sa manière.

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C'est Voltaire qui a introduit le mot humour dans notre langue. « Les Anglais, » dit-il dans une lettre à l'abbé d'Olivet, «< ont un <«< terme pour signifier cette plaisanterie, ce vrai comique, cette gaieté, cette urbanité, ces saillies qui échappent à un homme « sans qu'il s'en doute; et ils rendent cette idée par le mot humeur, «<< humour, qu'ils prononcent yumor; et ils croient qu'ils ont seuls <«< cette humeur; que les autres nations n'ont point de terme pour exprimer ce caractère d'esprit. Cependant c'est un ancien mot <«< de notre langue, employé en ce sens dans plusieurs comédies « de Corneille 1. »>

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L'humour est donc une sorte de plaisanterie. Mais sur quoi et 1. Lettre du 20 août 1761. - Voltaire pensait sans doute à certains passages de Corneille comme le suivant :

CLITON.... Aux traits de ce visage,

« Mille dames m'ont pris pour homme de courage,
« Et sitôt que je parle, on devine à demi

« Que le sexe jamais ne fut mon ennemi.
CLEANDRE. « Cet homme a de l'humeur. »

(Suite du Menteur, acte III, scène re).

Il a de l'humeur, c'est-à-dire : il aime à plaisanter, c'est un original.

Diderot dit, dans un sens un peu différent, à propos d'un tableau: « Toute la << scène voulait être mieux dessinée: cela demandait plus d'humeur, plus de force.»>

comment l'humour plaisante-t-il? S'il ne plaisantait que sur les choses plaisantes, et s'il ne les montrait que par leurs côtés risibles, il ne se distinguerait en rien de la plaisanterie ordinaire, et il n'y aurait pas lieu d'en faire une manière spéciale de penser et de sentir, un genre littéraire. Mais l'humour s'étend à toutes les choses qui excitent notre curiosité, plaisantes ou sérieuses. Il touche aux questions les plus graves; mais il y touche légèrement; il les effleure ou les suscite seulement, sans avoir la prétention de les résoudre; et souvent cette légèreté de touche, à laquelle se mêle une nuance d'ironie, frappe plus que ne le ferait un air d'autorité ou de conviction.

L'humour est moins dans les choses que dans la manière de les présenter. Il n'y a pas de sujet humoristique, mais il y a une tournure d'esprit humoristique, où il entre beaucoup de fantaisie et parfois un peu de scepticisme. Il y a aussi un style humoristique, dont le trait caractéristique est de peindre, et surtout de peindre par le menu. L'humour est ennemi de l'abstraction; il vit dans le concret; il accumule les détails; il ne craint même pas la minutie, et il trouve la poésie dans l'infiniment petit. Au reste, comme il n'a rien d'exclusif par lui-même, il s'allie volontiers à d'autres qualités ou à d'autres défauts. Il n'a même tout son charme que comme simple assaisonnement; là où il règne seul, il engendre la monotonie ou l'incohérence, et sa légèreté devient de l'affectation. Ainsi s'explique l'immense variété du genre humoristique, qui s'accommode également bien de l'enjouement d'Addison et de la bonhomie de Goldsmith, de la sensibilité de Sterne et de la causticité tranchante de Tackeray, de la gravité philosophique de Carlyle et de la gaieté épanouie de Steele. Les Anglais ne prétendent plus, comme au temps de Voltaire, avoir le monopole de l'humour; ils aiment, au contraire, à en chercher la trace dans les autres littératures, à y voir un don de l'esprit humain, semblable à la poésie même. Il n'en est pas moins vrai qu'ils y ont toujours montré une aptitude spéciale. Parmi les grands écrivains français, les seuls qui puissent être rangés dans la classe des humoristes sont Rabelais et La Fontaine; mais il faut ajouter tout de suite qu'ils ont d'autres qualités. Lorsqu'on parle de l'humour de Molière ou de Voltaire lui-même, c'est l'esprit qu'il faudrait dire.

L'humour vit de la contradiction inhérente aux choses humaines. Il traite gravement les petites choses et légèrement les grandes,

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