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d'Erlangen. Il devint plus tard directeur du lycée que le grandduc de Bade institua dans sa capitale sur le type français; on lui conféra même la dignité de prélat, qui lui assurait un siège à la première chambre. Il mourut en 1826, pendant une visite qu'il était venue faire au directeur des jardins de Schwetzingen. La plupart des poésies alémanniques, les meilleures en tout cas, furent écrites dans les premières années de son séjour à Carlsruhe; elles parurent d'abord en 1803. C'étaient des souvenirs du pays natal. L'auteur écrivait déjà en 1802: « Le Pégase alémannique ne veut plus voler; il prétend n'y être pas obligé, avec <«< la nourriture d'écurie qu'on lui donne dans le plat pays; ce qui « lui manque, ce sont les collines ensoleillées où il pâturait autre«< fois. » A partir de 1803, Hebel prit part à la rédaction de l'ancien Almanach officiel du margraviat de Bade; mais il songea bientôt à le renouveler, à lui donner plus de variété et d'intérêt. En 1807, il en eut seul la direction, qu'il garda pendant trois ans. L'almanach s'appela désormais l'Ami de la maison pour le pays du Rhin. Avec un choix de ses articles, Hebel forma l'Écrin de l'Ami de la maison, qui devint rapidement une des lectures populaires les plus répandues en Allemagne1.

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Les poésies alémanniques sont des idylles, des chansons, des ballades. L'une des plus connues, et des plus caractéristiques pour le procédé habituel du poète, est celle qui ouvre le volume, celle où il chanțe la petite rivière qui, descendue des hauteurs de la Forêt-Noire, arrose le pays de son enfance.

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Salut, ô Wiese, aimable fille du Feldberg!... Née secrètement au sein silencieux des rochers, allaitée par les nuages, nourrie de la rosée du ciel, tu dors, comme un enfant au maillot, bien gardée, bien retirée, dans ta chambrette obscure. Jamais encore un œil humain — n'a pu voir comme ma petite fille est joliment couchée dans son berceau d'argent au fond de sa demeure de cristal. Jamais encore une oreille humaine n'a surpris sa respiration, chuchotement de sa voix, son petit rire ou ses pleurs. Seuls, de mystérieux esprits, sur des sentiers cachés, entrent et sortent, et t'élèvent et t'apprennent à marcher, et te donnent un cœur joyeux, et l'enseignent des choses utiles. Et rien de ce qu'ils te disent n'est perdu pour toi. Car, aussitôt que tu peux t'avancer et sautiller, tu te glisses d'un pas silencieux hors de ta chambrette de cristal, pieds nus; et, avec un doux sourire, tu regardes le ciel. —

1. Rheinländischer Hausfreund, Carlsruhe, 1808-1811.

nischen Hausfreundes, Tubingue, 1811.

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Schatzkästlein des rhei

Oh! que tu es jolie, et que ton œil est pur! N'est-ce pas que le monde est beau? Tu ne le pensais pas, j'en suis sûr. Entends-tn le bruissement des feuilles, le chant des oiseaux? Je l'entends", tu, « mais il faut que je marche, je ne puis m'arrêter.... »

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Et le poète la suit dans sa course, et il voit comme partout on lui fait fête. Il semble que les oiseaux, les papillons et les fleurs viennent de naître avec elle, et ne soient là que pour la saluer. La voilà descendue dans la plaine; la fillette est devenue grande fille. Elle fait tourner, en passant, les roues de la fonderie. Mais elle a aussi ses caprices; elle saute par-dessus ses digues; elle s'amuse à jeter des cailloux dans les prés, et elle emporte par brassées l'herbe fauchée qui sèche au soleil. Enfin elle arrive près du Rhin, qui de son côté a fait un long voyage pour la rencontrer.

Pourquoi rougis-tu? N'est-ce pas que tu l'aimes? Et ce que les esprits t'ont chanté à ton berceau va devenir une réalité. J'aurais encore bien des choses à te dire, mais je vois que tu ne m'écoutes plus. Crains-tu qu'il ne s'éloigne? Tu me cries adieu, et tu tombes dans ses bras.

Hebel n'a qu'un secret, qui est celui de la poésie même : il anime tout, il personnifie tout. Il reprend naïvement, et en partant de la simple nature, le chemin qu'a suivi la poésie primitive pour s'élever du fait matériel à l'allégorie vivante. Veut-il nous faire assister au lever du jour un dimanche, lever doublement solennel, puisqu'il amène à la fois le recueillement et le repos? Le Samedi,

1.

« Feldbergs liebligi Tochter, o Wiese, bis mer Gottwilche!...
« Im verschwiegene Schoos der Felse heimli gibohre,
Vo de Wulke gsäugt, mit Duft und himmlischem Rege,

« Schlofsche Bütscheli-Chind in di'm verborgene Stübli
« Heimli, wohlverwahrt. No ni hen menschligi Auge
« Güggelet und gseh, wie schön mi Meiddeli do lit

<< Im christalene Ghalt und in der silberne Wagle;

« Und kei menschlig Ohr het no si Othmen erlustert,

« Oder si Stimmli ghört, si heimli Lächlen und Briegge.

« Numme stilli Geister göhn uf verborgene Pfade

« Us und i, und ziehn di uf, und lehre di laufe,
«Gen der e freudige Sinn, und lehre di nützligi Sache,
Und es isch kei Wort verlohre, was si der sage.

« Denn so bald de chasch uf eigene Füesslene furtcho,

• Schliefsch mit stillem Tritt us di'm christalene Stübli

« Barfis usen, und luegsch mit stillem Lachlen an Himmel.

« O, wie bisch so nett, wie hesch so heiteri Eugli!

« Gell, do ussen isch's hübsch, und gell, so hesch ders nit vorgstellt?

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Hörsch, wie's Laubeli ruuscht, und hörsch, wie d' Vögeli pfife?

Jo, de seisch: « I hörs, doch gangi witers und blib nit... »

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après avoir mis au lit tous les gens du village, fatigué lui-même « et ne pouvant presque plus se tenir sur ses jambes, tombe au sein de la Nuit. » Le Dimanche, «< encore à moitié endormi, appa« raît derrrière les étoiles; » il se présente devant la chambre du Soleil, frappe quelques petits coups sur le volet, et crie: « Il est temps!» Puis, tout rayonnant, il traverse les buissons en fleurs, entre dans le village, et, du dehors, regarde dans les fenêtres, mais sans faire de bruit; « car il veut du bien à tous, et il ne se « fâche pas contre ceux qui continuent de dormir, s'imaginant « que c'est encore la nuit noire. » Ainsi les poètes d'autrefois mettaient des nymphes au creux des fontaines et des dryades sous l'écorce des arbres. Hebel a créé toute une mythologie à son usage, et qui est sortie toute fraîche de son imagination; il a fait de la nature une grande paysannerie 1.

Les poésies de Hebel ne restèrent pas longtemps confinées dans les étroites limites du parler alémannique. Elles furent bientôt lues de toute l'Allemagne, soit dans leur forme originale, soit en traduction. Elles devinrent classiques: rare fortune pour un livre écrit dans un dialecte local, à une époque de plein développement littéraire. Le succès de Hebel profita même à toute la littérature dialectique, et il est probable que, sans lui, l'écrivain zurichois Usteri, auquel on l'a quelquefois comparé, aurait eu moins de lecteurs. Jean-Martin Usteri était né en 1763; c'était un personnage considérable dans sa ville; il était membre du gouvernement. Il avait voyagé dans sa jeunesse; il avait vu Berlin, Bruxelles, Amsterdam, Paris; il avait été reçu par Gothe. Il s'était nourri des vieilles chroniques suisses, et il leur avait emprunté ce style simple, parfois vigoureux, qui distingue ses récits en prose et en vers, même ceux qui sont écrits en haut-allemand. Il était en même temps dessinateur et peintre. Son poème intitulé le Vicaire (De Vikari), le plus célèbre de ses ouvrages, est une sorte d'idylle prolongée, où il peint la vie d'un presbytère de campagne. Le sujet a de l'analogie avec celui de la Louise de Voss, mais Usteri a moins d'apprêt et plus de bonhomie que Voss. Il mourut en 1827, et ses

1. Éditions.

Euvres complètes, 3 vol., Carlsruhe, 1853. Édition des poésies et du Schatzkästlein, par Behaghel, dans la collection: Deutsche NationalLitteratur, de Kürschner. A consulter Långin, Johann Peter Hebel, ein Lebensbild, Carlsruhe, 1875; Aus Hebels ungedruckten Papieren, Tauberbischofsheim, 1882; Behaghel, Briefe von Hebel, Carlsruhe, 1883; B. Auerbach. Schrift und Volk, Leipzig, 1846. Traduction des poésies alémanniques en haut-allemand, par R. Reinick, Leipzig, 1851.

amis se chargèrent de recueillir ses œuvres, disséminées dans les revues, ou encore inédites 1.

Dans le grand nombre d'écrivains qui ont illustré les dialectes de la Haute et de la Basse-Allemagne, il faut se borner à ceux qui ont quelque originalité, et, à ce titre, une mention est encore due à George-Daniel Arnold, professeur d'histoire et ensuite de droit romain à l'université de Strasbourg, auteur d'une comédie en cinq actes, le Lundi de la Pentecôte (1816). Arnold a su, dans une intrigue simple et habilement menée, faire paraître toutes les classes de la société, prêter à chacune le langage qui lui est propre, et donner ainsi une image de la vieille cité municipale, qui, malgré ses liens avec la France, avait gardé l'originalité de ses mœurs germaniques. L'effet comique est produit par deux personnages qui, chacun à sa manière, tranchent sur le ton général un licencié alsacien, qui entremêle prétentieusement son discours de mots français mal prononcés, et un docteur d'outre-Rhin, qui ne parle que le bon allemand et qui comprend tout de travers 2.

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Il faut mettre à part, dans l'histoire du roman allemand au XVIIIe siècle, l'école de Wieland, dont il a été question plus haut. Les écrivains de cette école, lors même qu'ils affadissaient la grâce du maître, gardaient toujours une certaine élégance de tenue, et ils possédaient l'art du récit. Mais, à côté de Wieland, d'autres influences, en partie étrangères, régnaient sur la littérature, surtout sur cette littérature courante qui sacrifie au goût du jour l'influence de Richardson, par exemple, qu'on reconnaît déjà dans certaines productions de l'école de Gættingue ou de l'entourage de Wieland lui-même; celle de Sterne et de Swift, que nous trouverons tout à l'heure chez les humoristes. Il restait aussi des souvenirs persistants de la période Sturm-und-Drang, qui se rattachaient aux premières œuvres de Goethe et de Schiller.

1. Dichtungen in Versen und Prosa, avec une biographic par D. Hess, 3 vol. Berlin, 1831; 3° éd., Leipzig, 1877.

2. Der Pfingstmontag, Lustspiel in Strassburger Mundart in fünf Aufzügen und in Versen, 2o éd., illustrée par Th. Schuler, avec un choix de poésies inédites et un vocabulaire, Strasbourg, 1850. Voir un article de Goethe, dans Kunst und Alter

thum.

Ainsi s'expliquent les principales variétés de la littérature romanesque de ce temps : le roman sentimental, directement ou indirectement dérivé de la Clarisse; le roman autobiographique ou psychologique, écho lointain de Werther; enfin les histoires de chevaliers et de brigands, calquées sur le Gætz de Berlichingen de Goethe et sur les Brigands de Schiller: œuvres éphémères pour la plupart, et intéressantes seulement en ce qu'elles permettent de suivre le mouvement des idées et les variations du goût.

Ernest Wagner, Christian Vulpius et Auguste Lafontaine sont des imitateurs qui ne diffèrent que par le choix de leurs modèles. Ernest Wagner, secrétaire particulier du duc de Meiningen, auteur des Opinions de Wilibald 1, déclare de bonne grâce ce qu'il doit aux Années d'apprentissage de Wilhelm Meister: « Lorsqu'un « virtuose se fait entendre, » dit-il dans sa préface, « il se trouve « aussitôt des amateurs qui jouent du même instrument que lui. » Ernest Wagner a de l'esprit et de l'observation, mais il manque d'art. Ses récits de voyage, où il n'a ni à inventer ni à composer, contiennent des tableaux intéressants 2.

Christian Vulpius, le beau-frère de Goethe, est plus varié, sans être plus original. Il a écrit, outre ses romans, une grande quantité de pièces de théâtre. Il était passé maître dans l'art de deviner le goût du public, surtout quand ce goût était mauvais. Il a su prendre tour à tour et avec une égale facilité le ton galant, le ton sentimental, le ton romantique, le ton révolutionnaire, et il a fini par célébrer le carbonarisme et l'affranchissement de la Grèce. Mais son grand succès a été Rinaldo Rinaldini, le chef de brigands, qui a été traduit dans toutes les langues 3.

Auguste Lafontaine n'a pas eu moins de vogue que Vulpius. Il représente tout spécialement le roman sentimental, parfois sensuel, avec des prétentions morales. Né à Brunswick, en 1758, Lafontaine fut d'abord professeur dans sa ville natale. Il fit ensuite, comme aumônier, la campagne de 1792 en France. Au retour, il fut nommé chanoine à Halle, où il mourut en 1831. Shakespeare avait été longtemps son auteur favori; on ne s'en

Reisen aus der Fremde in Œuvres complètes, 12 vol.,

1. Wilibalds Ansichten vom Leben, 2 vol., Meinigen et Hildburghausen, 1804. 2. Die reisenden Maler, 2 vol., Leipzig, 1806. die Heimath, 2 parties, Hildburghausen, 1801-1809. Leipzig, 1824-1828. E. Wagner mourut à Meiningen en 1812; il était né en 1769. 3. Rinaldo Rinaldini, der Räuberhauptmann, eine romantische Geschichte unseres Jahrhunderts, 4 vol., Leipzig, 1798-1801.- Vulpius, né à Weimar en 1762, nommé bibliothécaire en 1805, mourut en 1827; Goethe l'employa au théâtre.

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