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Ici, ce n'est plus Hypérion, c'est Hælderlin qui parle, et qui dévoile le secret de son infortune.

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La critique allemande est indulgente aux œuvres médiocres; elle recueille tout; elle ne laisse rien perdre. Il n'est si petit poète qui ne trouve son biographe et, par lui, quelques admirateurs. Le baron François de Sonnenberg en est un exemple. Il fut un des derniers disciples de Klopstock, dont il prolonge l'influence jusqu'au sein du romantisme. A quinze ans, il conçut l'idée d'un poème sur la fin du monde, qu'il fondit ensuite dans un autre poème, traitant le même sujet sur un plan plus vaste. L'épopée de Donatoa, publiée en 1806, a douze chants, et est écrite en vers hexamètres. C'est un flot bourbeux qui charrie quelques perles. Ce travail, hâtivement mené, usa le pauvre poète, qu'un amour malheureux acheva de rendre fou. Il se donna la mort en se précipitant par une fenêtre, en 1805; il avait vingt-six ans. Ses odes ne sont pas sans beauté, mais elles ont des duretés qui contrastent désagréablement avec la forme antique1.

Charles-Louis de Knebel est, au contraire, un poète très sage. Après avoir servi huit ans (1765-1773) dans le régiment du prince royal de Prusse, il vint à Weimar, où la duchesse Amélie lui confia l'éducation de son second fils Constantin. Il mourut à léna, en 1834, âgé de quatre-vingt-dix ans. Sa correspondance avec Goethe suffirait pour lui assurer une place dans la littérature. Mais ses traductions de Properce (1798) et de Lucrèce (1821) ont gardé de la valeur. Formé à l'école de Ramler, il assouplit l'hexamètre et le pentamètre allemands. Son élégie intitulée les Heures

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«nenden Barbaren, wie man so ein Handwerk treibt... Es ist auch herzzerreissend, wenn man eure Dichter, eure Künstler sieht, und alle, die den Genius « noch achten, die das Schöne lieben und es pflegen. Die Guten, sie leben in « der Welt wie Fremdlinge im eigenen Hause, sie sind so recht wie der Dulder Ulyss, da er in Bettlersgestalt an seiner Thüre sass, indess die unverschämten « Freier im Saale lärmten und fragten: wer hat uns den Landläufer gebracht? Voll « Lieb' und Geist und Hoffnung wachsen seine Musenjünglinge dem deutschen « Volk heran; Du siehst sie sieben Jahre später, und sie wandeln, wie die Schatten, << still und kalt... Wehe dem Fremdling, der aus Liebe wandert, und zu solchem « Volke kömmt, und dreifach wehe dem, der, so wie ich, von grossem Schmerz « getrieben, ein Bettler meiner Art, zu solchem Volke kommt! »

1. Gedichte Sonnenbergs, nach dessen Tode herausgegeben von J. G. Gruber, Fudolstadt, 1808.

rappelle tout à fait, et sans trop de désavantage, la manière de Goethe 1.

Un autre fonctionnaire de la cour de Weimar, Jean-Daniel Falk, a repris un genre qui avait été fort cultivé par les poètes silésiens et prussiens, la satire. Il était né à Dantzig, en 1770. Son grand-père maternel, qui était Genevois, lui apprit le français. Falk fut nommé conseiller de légation, à la suite des services qu'il rendit pendant la campagne d'léna, et il vécut dans l'intimité des grands écrivains groupés autour de Charles-Auguste. Il mourut à léna, en 1826. Son petit volume sur Goethe, plein d'observations directes et de souvenirs personnels, n'est pas le moins intéressant de ses écrits 2. Il débuta par une traduction de la huitième satire de Boileau, de cette satire qui, d'après une note de Boileau lui-même, « marque un philosophe chagrin, qui ne peut plus supporter les vices des hommes ». Falk resta toute sa vie ce philosophe chagrin. Sa première satire originale a pour titre les Héros; il y déplore les malheurs de la guerre, dont il avait été témoin. Dans les Prières, il montre les désirs contradictoires des hommes, que Dieu lui-même ne pourrait satisfaire sans se donner de perpétuels démentis. Le moraliste, chez Falk, est supérieur à l'écrivain; il s'appesantit trop, se perd dans les longueurs; il n'a pas la brièveté incisive qui convient au genre 3.

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L'épigrammatiste Frédéric Haug a la touche plus légère. Né en 1761, dans un village du Wurtemberg, il fut le condisciple de Schiller à l'École de Charles; il devint plus tard bibliothécaire à Stuttgart, où il mourut en 1829. Haug s'est essayé sans succès dans l'ode et dans la ballade. Ses fables sont de pâles imitations du français, de l'anglais, du danois, de l'espagnol. Mais ses épigrammes ont de la vivacité et surtout de la bonne humeur. Haug s'amuse sur le compte des autres, et l'on s'amuse avec lui, pour peu qu'on y mette de la complaisance. Il s'attaque plutôt à des classes qu'à des individus, et il décoche ses traits inoffensifs aux

1. Voir Lyriker und Epiker der klassischen Periode, dans la collection: Deutsche National-Litteratur, de Kürschner. Correspondance: Briefe von Schillers Gattin an einen vertrauten Freund, Leipzig, 1856; Knebels Briefwechsel mit seiner Schwester, léna, 1858; Ungedruckte Briefe aus Knebels Nachlass, 2 vol., Nuremberg, 1858. A consulter P. Besson, Un ami de la France à la cour de Weimar, Ch.-L. de Knebel, Grenoble, 1897.

2. Gæthe aus näherm persönlichen Umgange dargestellt. Ouvrage posthume, Leipzig, 1832; 3° éd., 1856.

3. Éditions. Satirische Werke, 7 vol., Leipzig, 1817. alt und neu, 3 vol., Leipzig, 1819.

Auserlesene Werke,

buveurs, aux avares, aux médecins, aux femmes. Une de ses inventions les plus plaisantes consiste à trouver deux cents formules hyperboliques pour un long nez1. Il a trop écrit. Il a fait un choix de ses poésies, et, dans ce choix, il faudrait choisir encore. La chanson populaire, ou le lied, forme une tradition constante qui se prolonge à travers toute la littérature allemande. Il faut donc ici, en faveur de quelques refrains qui se répètent encore, donner un souvenir à Siegfried-Auguste Mahlmann. Il passa la plus grande partie de sa vie à Leipzig, où il mourut en 1826. Il dirigeait, pendant la campagne de 1813, le principal journal de la ville, et sa situation politique lui valut une détention de quelques semaines dans la citadelle d'Erfurt. Ses comédies, même son Théâtre de marionnettes, sont oubliés, mais ses chansons se recommandent par une gaieté naturelle, et de grands musiciens n'ont pas dédaigné d'y ajouter la mélodie 2.

3. HEBEL ET LES DIALECTES.

La poésie dialectique, si elle veut être vraiment de la poésie, est une œuvre délicate; elle marche entre deux écueils. Si elle se borne à suivre l'homme du peuple, paysan ou artisan, dans ses occupations journalières, elle n'est qu'un document sans intérêt. Si elle veut franchir ce cercle monotone, elle risque de dire en patois ce qui a été pensé en langue littéraire; elle n'est plus, dans ce cas, qu'une traduction toujours affaiblie, quelquefois baroque. Le vrai poète dialectique est celui qui fait sortir la poésie du dialecte même, qui, avec les tours et les images que ce dialecte lui offre, trouve moyen de rendre, simplement et directement, les pensées qui l'agitent et les sentiments qu'il éprouve. Il a en lui tout à la fois l'âme d'un poète et l'âme d'un paysan. La langue qu'il parle lui est innée, il ne saurait en parler d'autre. Mais il a aussi en lui un fonds assez riche pour varier, assouplir, animer cette langue. Ce qui précède est la définition même du génie de Hebel; mais Hebel est aussi, parmi les écrivains de la période classique, le seul à qui cette définition s'applique complètement.

1. Zweihundert Hyperbeln auf Herrn Wahls ungeheuere Nase, Stuttgart, 1804; 3e éd., Saint-Gall, 1811. - Poésies, choix, 2 vol., Leipzig, 1827; Stuttgart, 1840. 2. Mahlmann parodia assez spirituellement, dans Hérode devant Bethlähem (1803), le drame larmoyant de Kotzebue, les Hussites devant Naumbourg. Euvres complètes, 8 vol., Leipzig, 1839-1840. Poésies, 4 éd., Halle, 1847.

Avant lui et à côté de lui, dans toutes les régions de l'Allemagne, des hommes de talent ont essayé de parler au peuple dans sa langue. Mais ils ne l'ont entretenu le plus souvent que de ce qu'il y avait de plus banal dans sa vie; ils ont rarement pénétré jusqu'à ses émotions intimes, jusqu'à ses pensées secrètes, pour lesquelles lui-même, avec les ressources ordinaires de son intelligence, n'avait pas trouvé d'expression. Ils n'ont pas su extraire de l'âme populaire la poésie qu'elle contenait.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, un bénédictin nommé Lindemayr composa des comédies dans le dialecte de la HauteAutriche, qui furent très répandues avant d'être imprimées; ce sont des farces grossières 1. Vers la même époque, un chanoine des environs d'Ulm, Sébastien Sailer, faisait jouer des drames et des Jeux de carnaval en dialecte souabe; les sujets étaient choisis quelquefois dans la Bible, mais le ton n'était pas pour cela plus sérieux 2. La ville de Nuremberg eut un faible successeur de Hans Sachs dans le ferblantier Grübel, qui publia, de 1798 à 1812, quatre recueils de vers, sans parler de sa correspondance en patois 3. Grübel manquait d'imagination et d'art, quoiqu'il fût membre de l'Ordre de la Fleur ou des Bergers de la Pegnitz. A l'autre extrémité de l'Allemagne, le classique Voss faisait une tentative intéressante, mais quelque peu artificielle; il écrivait des idylles dans une langue formée de plusieurs dialectes fondus ensemble. «L'essai serait heureux », dit-il, « si un Poméranien et un Brêmois, «< assistant à la lecture d'une de ces poésies, comprenaient tous « les deux à peu près tout, et si en outre un Holsteinois pouvait s'imaginer qu'à quelques lieues de son village on parle ainsi. » Que reste-t-il à faire au lecteur de ces idylles? C'est de les dépouiller de leur costume d'emprunt, fait de pièces diverses, et de les remettre sous leur vêtement naturel, c'est-à-dire en haut-allemand.

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Voss est pourtant le seul écrivain de son temps avec lequel Hebel se sente une certaine parenté. En général, Hebel est en dehors du mouvement littéraire; il n'est d'aucune école. L'éclat qui rayonnait autour de Weimar ne l'a jamais ébloui. Goethe et Schiller

1. Dichtungen in obderensischer Mundart von Maurus Lindemayr; Linz, 1822. Nouvelle édition, avec introduction et vocabulaire, par Pius Schneider, Linz, 1875. 2. Schriften im schwäbischen Dialekte, Buchau, 1819. Nouvelle édition, avec introduction et vocabulaire, par Hassler, Ulm, 1850.

3. Nouvelle édition complète, avec grammaire et vocabulaire, 3 vol., Nuremberg, 1857-1858.

4. Notes sur l'idylle De Winterawend.

sont à peine cités dans sa correspondance. Il fait un jour cette remarque: « J'apprends par madame Voss que Goethe doit rendre <«< compte des Poésies alemanniques dans la Gazette d'léna; c'est beau« coup d'honneur pour moi, mais j'aimerais mieux que l'article fût << fait par Voss. » Goethe loua beaucoup Hebel, et, à la fin, il l'engagea à traduire dans son dialecte quelques poésies écrites en haut-allemand classique. Hebel se garda de suivre le conseil du grand poète qui était ordinairement meilleur critique. Virgile et Théocrite, le dernier surtout, étaient ses auteurs favoris, et c'était à peu près tout son horizon littéraire. Un vers des Bucoliques sert d'épigraphe à ses poésies 1. Quant aux romantiques, il ne les comprenait pas, et ils ne le comprenaient pas davantage. Le monde politique ne le laissait pas moins indifférent. Pendant les guerres de l'Empire, il ne demande qu'une chose, la paix. De quelque côté qu'elle vienne, qu'elle consacre le triomphe de Napoléon ou l'affranchissement de l'Allemagne, peu lui importe. Il est mauvais patriote, et, en cela encore, il reflète fidèlement la conscience du paysan. De l'histoire d'André Hofer qu'il raconte, il ne tire que cette conclusion, qu'il faut réfléchir avant d'agir, ou, comme dit La Fontaine, qu'en toute chose il faut considérer la fin. Un faiseur d'almanachs, dit-il expressément, est toujours du parti vainqueur.

Pour comprendre Hebel, il faut l'isoler dans sa petite province, comme il s'est isolé lui-même. Il définit, dans sa préface, la région pour laquelle il a écrit, et tout porte à croire qu'il n'espérait pas, du moins dans l'origine, être beaucoup lu ailleurs. C'est « l'angle formé par le Rhin, entre le Frickthal ou la partie <«< septentrionale du canton d'Argovie, et l'ancien Sundgau ou la <«< Haute-Alsace ». Le père de Hebel était tisserand dans le village de Hausen, situé en face de Bâle, et, en été, il se transportait souvent dans la ville pour y exercer son métier. Il mourut en 1761, un an après la naissance de Jean-Pierre, le futur poète. Celui-ci grandit dans la pauvreté; il aida sa mère, le plus tôt qu'il put, en travaillant tantôt dans une fonderie, tantôt dans une mine. Tous les matins, il se rendait au bourg de Schopfheim, à une lieue de Hausen, pour prendre une leçon de latin. Sa mère étant morte aussi, en 1773, des amis s'intéressèrent à lui et l'envoyèrent au gymnase de Carlsruhe, d'où il passa à la faculté de théologie

1. Silvestrem tenui musam meditabor avena. »

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