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étroit passage entre les hauteurs du Taunus, se perd enfin dans les bas-fonds de la Hollande. Les contrées qui appartiennent à la Haute-Allemagne, la Bavière, la Souabe, la Franconie, la Thuringe, une partie de la Saxe, sont fertiles et d'un aspect agréable. Le paysage, sans accidents grandioses, plaît par la variété. L'air est vif sur les hauteurs, une chaleur tempérée règne dans les vallées. L'habitant, sans cesser d'être un homme du Nord, sérieux et réfléchi, a des élans passionnés et se ressent du voisinage d'un ciel plus chaud.

Lorsqu'on a traversé les forêts de la Franconie et les défilés du Harz, on débouche dans une plaine immense qui longe la mer du Nord et la Baltique sur une largeur de 250 à 300 kilomètres; l'altitude générale est inférieure à 100 mètres; la plus grande hauteur, en Pomérélie, est de 325 mètres c'est la Basse-Allemagne. Les fleuves se dirigent invariablement du midi au nord; leurs méandres proviennent moins des obstacles qu'ils rencontrent que de la faible inclinaison du sol; leurs eaux bourbeuses se répandent dans les lacs et s'infiltrent dans les marais. Les affluents de l'Elbe et de l'Oder baignent quelques frais pâturages; mais le tiers du pays est occupé par des forêts de pins et des landes stériles. Les vents qui soufflent des deux mers amènent des printemps pluvieux, des étés froids. Le climat est humide, le ciel lourd et terne, l'horizon monotone 1. Rien ne charme le regard de l'homme; c'est à peine s'il trouve de quoi soutenir sa vie; il se retire en lui-même, et prend des habitudes d'énergie dans une lutte perpétuelle contre la nature, sa pre

mière ennemie.

Le Midi de l'Allemagne n'avait pas seulement sur le Nord l'avantage d'un ciel plus doux, d'un sol plus fertile, d'une nature plus hospitalière; il eut encore le privilège inappréciable, à l'époque où les nations modernes se constituèrent, d'être plus rapproché des foyers où se concentra la première civilisation de l'Europe: l'Italie, les pays de langue provençale, la France du Nord. C'est par les provinces de l'Ouest et du Midi que le christianisme pénétra dans l'antique Germanie; c'est à Mayence que Boniface, l'apôtre des Germains, établit son siège archi-épiscopal; c'est sur les bords du Rhin et du Danube que furent fondés les premiers évêchés.

1. C'est surtout à cette partie de l'Allemagne que s'appliquent les paroles de Tacite : « Informis terris, aspera cœlo, tristis cultu adspectuque; silvis horrida, paludibus foeda. » (Germanie, 11, v.)

Le paganisme se maintint jusqu'au xI° siècle sur la rive droite de l'Elbe; et la couronne du Saint-Empire romain brillait déjà sur le front des Hohenstaufen quand les chevaliers teutons entreprirent la conversion des Prussiens, qui occupaient les bords de la Baltique, entre la Vistule et le Niémen. Les lettres et les arts du moyen âge suivirent la voie que leur avait tracée la prédication chrétienne. C'est dans la Haute-Allemagne que la féodalité jeta ses racines les plus profondes; les ruines massives qui dominent la vallée du Rhin, du Mein et du haut Danube attestent encore aujourd'hui son ancienne puissance. La Souabe, l'Autriche, la Thuringe furent les centres principaux de la poésie chevaleresque; et quand l'influence politique passa de la chevalerie à la population libre des communes, l'art du chant ne fit que descendre des manoirs dans les demeures bourgeoises, sans changer de patrie. Francfort, Mayence, Ulm, Nuremberg, Augsbourg eurent des écoles célèbres de maîtres chanteurs. Vers la fin du moyen âge, le centre littéraire se déplace, sans sortir des régions de la Haute-Allemagne. La Réforme partit de la Saxe, et cette province s'arrogea dès lors une sorte de primauté intellectuelle, qui, sans être toujours universellement reconnue, se maintint jusqu'au milieu du XVIe siècle. Leipzig s'appelait encore, au temps de la jeunesse de Goethe, le petit Paris, et l'école de Weimar, la plus grande des écoles poétiques de l'Allemagne, s'éleva à quelques lieues du château de la Wartbourg, où Luther avait traduit la Bible. Le romantisme, qui marqua au commencement du XIXe siècle le dernier développement important de la littérature allemande, prit son siège à Berlin; mais, depuis Goethe et Schiller, l'unité littéraire était faite, et, quelle que soit désormais la constitution politique de l'Allemagne, quel que soit le rôle prépondérant des grandes villes, les variations de la langue et de la littérature dépendront bien moins des influences locales que du progrès général des idées et des mours.

Toutes les tribus germaniques qui habitent entre les Alpes et la mer du Nord parlent la même langue; mais cette langue s'est diversifiée par suite d'influences extérieures qui, persistant pendant des siècles, ont fini par modifier le caractère des hommes. La langue allemande se partage en deux idiomes, correspondant aux deux zones géographiques de l'Allemagne; chacun de ces deux idiomes comprend un grand nombre de dialectes, dont quelquesuns ont laissé des monuments littéraires, mais qui sont tombés

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enfin au rang de patois. La Haute-Allemagne et la Basse-Allemagne diffèrent autant par leur langage que par leur configuration naturelle. « L'expérience nous apprend, » dit Jacques Grimm, « que l'air des montagnes rend la voix tranchante et rude, que <«<le son s'amollit et s'étouffe dans la plaine. Sur la hauteur règnent les diphthongues et les consonnes aspirées; dans le « plat pays, les voyelles simples et fermées, les consonnes fortes <«< ou douces sans aspiration'. » Le haut-allemand sort profondément de la poitrine, le bas-allemand semble tomber des lèvres. Le premier est une langue vibrante qui s'imprime dans l'âme; le second glisse, frêle et fuyant, et caresse par sa molle harmonie.

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Le bas-allemand a été porté au loin par les migrations des peuplades riveraines de la mer du Nord. Deux de ses branches, F'anglo-saxon et le néerlandais, ont pris racine en terre étrangère. Sa fortune a été moins brillante en Allemagne même. Dès le moyen âge, il ne joue qu'un rôle secondaire dans la littérature, et, à partir de la Réforme, il disparaît de plus en plus devant le haut-allemand. Quelques écrivains ont cherché, jusque dans les derniers temps, une sorte d'originalité dans l'emploi des dialectes provinciaux de la Westphalie, du Hanovre, du Mecklembourg; mais leurs œuvres, lors même qu'elles se distinguaient par des qualités réelles, sont restées sans influence sur le mouvement général de la littérature.

Quant au haut-allemand, il a passé par toutes les vicissitudes d'une langue littéraire. Les langues restent longtemps stationnaires dans un monde barbare, elles se transforment et se déforment vite au contact de la vie civilisée. Elles sont comme des instruments qui s'usent en se perfectionnant. Les mots perdent leur sonorité; la grammaire se simplifie; la langue se réduit, pour ainsi dire, à ses éléments indispensables. On distingue, dans le développement du haut-allemand, trois périodes principales. L'ancien haut-allemand, qui s'étend jusqu'à la fin du x1o siècle, a déjà sacrifié une partie des richesses du langage primitif des races germaniques. La déclinaison a perdu le vocatif; la conjugaison n'a plus de forme particulière pour le passif 2. Dans le

1.« Erfahrung lehrt, dass Bergluft die Laute scharf und rauh, das flache Land sie «weich und blod mache. Auf der Alpe herrschen Diphthonge und Aspiraten vor, « auf dem Blachfeld enge und dünne Vocale, unter Consonanten media und << tenues» (J. Grimm, Geschichte der deutschen Sprache: xxx1, Deutsche Dialecte). 2. Le duel, que le gothique avait gardé pour le verbe, ne se retrouve dans aucun autre dialecte allemand.

moyen haut-allemand, qui est la langue des Nibelungen et des poèmes chevaleresques, l'article et le verbe auxiliaire suppléent à l'indigence croissante de la déclinaison et de la conjugaison; les finales s'assourdissent. Enfin, dans le nouveau haut-allemand, qui date de la Bible de Luther, les syllabes muettes abondent, les voyelles s'absorbent dans les consonnes. Les progrès de l'esprit littéraire tendent à créer une langue de plus en plus commode, d'une construction de plus en plus simple, mais moins expressive et moins sonore.

Aujourd'hui, le terme de haut-allemand désigne surtout la langue écrite, celle de la littérature et de la science, celle de la société cultivée, opposée aux nombreux dialectes, voix instinctives de la nature, qui résonnent encore çà et là dans des œuvres isolées. Les dialectes continuent de vivre, secours précieux pour l'étude générale du langage, ou pour l'explication des anciens textes; le haut-allemand, langue apprise, réglée par des préceptes, est l'organe de la pensée nationale, le signe de l'unité de la race'.

1. Le dialecte gothique; la Bible d'Ulfilas. Le gothique est celui des dialectes germaniques dont on a conservé les plus anciens documents. Il était parlé, au moment de l'invasion, non seulement par les deux branches principales de la nation des Goths, les Ostrogoths et les Visigoths, mais encore par les Hérules et les Vandales. Il a partagé la destinée de ces peuples, qui, après avoir porté les premiers coups à l'Empire romain, furent eux-mêmes refoulés par des invasions nouvelles, et ne firent, pour ainsi dire, que frayer la voie à leurs successeurs plus heureux, possesseurs définitifs du sol. Mais le dialecte gothique a survécu pour la science, grâce à une œuvre unique, la Bible d'Ulfilas. Né, selon les données les plus probables, en 318, Ulfilas fut ordonné évêque des Goths ariens par l'empereur Constance, en 348; il mourut à Constantinople, en 388. Sa traduction de la Bible accompagna les Goths dans leurs migrations en Italie et en Espagne, et se perdit ensuite dans le flot de l'invasion. Ce ne fut qu'au xvIIe siècle que les Évangiles reparurent; la première édition en fut publiée à Dordrecht, en 1665, d'après le Codex argenteus d'Upsal. Les Épitres de saint Paul s'y ajoutèrent en 1819, prises sur un manuscrit qui avait été trouvé au couvent de Bobbio en Lombardie. Il ne reste que de très courts fragments de l'Ancien Testament. On ne sait, du reste, si la traduction d'Ulfilas comprenait toute la Bible. D'après une légende, il se serait abstenu de traduire les Livres des Rois, dans la crainte d'exciter l'ardeur belliqueuse des Goths par le récit des guerres du peuple juif. Un commentaire de l'Evangile de saint Jean et des fragments d'un calendrier qu'on lui a attribués sont d'une époque plus récente. Éditions de L. Stamm (Paderborn, 1858; 8o édit., revue par Moritz Heyne, 1885) et de E. Bernhardt (avec le texte correspondant des Septante et un commentaire; Halle, 1875).

Les runes. Les écrivains grecs et latins ont également attribué à Ulfilas l'invention des runes. C'était une ancienne écriture, commune à toutes les nations germaniques. Le mot runa signifie mystère, non que l'écriture runique fût réservée à un petit nombre d'initiés, mais à cause du pouvoir surnaturel qu'on y attachait; elle fut appliquée d'abord, comme toutes les anciennes écritures, à des formules sacrées. Les runes furent remplacées, chez les Goths, par un alphabet nouveau, qu'Utilas forma d'après l'alphabet grec, et plus tard, chez les autres tribus germaniques, par l'écriture latine.

CHAPITRE II

LA POÉSIE HÉROIQUE. LE CHANT DE HILDEBRANT

Géographie du monde héroïque; les Goths, les Burgondes, les Francs; le rôle d'Attila. La tradition orale et les poèmes écrits. Forme de la légende épique à la fin du vi° siècle; le Chant de Hildebrant.

Les Germains ont chanté d'abord, comme tous les anciens peuples, leurs dieux et leurs héros : la poésie leur tenait lieu d'histoire 1. A l'époque où, quittant le plateau de l'Asie centrale, ils s'avancèrent vers l'Occident et occupèrent les bords de la Baltique, ils possédaient déjà sans doute un ensemble de chants mythiques et héroïques que nous ne connaissons plus. Tout ce qui est antérieur à leur collision avec le monde romain est enveloppé pour nous d'un voile impénétrable. Du jour où ils attirent l'attention des écrivains latins, ils entrent dans le domaine de l'histoire. A la fin du rer siècle de notre ère, leur établissement en Europe est déjà tellement ancien, que Tacite les considère comme indigènes 2. Eux-mêmes, sans doute, avaient perdu, à cette époque, le souvenir de leurs premières migrations. Quelques siècles plus tard, ce déplacement de peuples que les nations soumises à Rome appelèrent l'invasion des barbares, ouvrit aux races germaniques un champ nouveau, et il était impossible qu'un événement de cette importance n'eût pas un profond retentissement dans leur littérature. Les Germains succédaient aux Romains dans l'empire du monde : ce grand fait devint le centre de toutes leurs légendes poétiques; ils ne chantèrent plus

1. « Quod unum apud illos memoriæ et annalium genus est. » (Tacite, Germanie, 11.)

2. « Ipsos Germanos indigenas crediderim. » (Germ., 11.)

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