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faisait entrer dans le cadre de l'histoire générale le Nord scandinave et russe, et il le connaissait mieux que ses prédécesseurs n'avaient pu le connaître. De plus, il avait vraiment l'esprit généralisateur; il savait sacrifier le détail à l'ensemble. Il ne se bornait pas à mener parallèlement l'histoire des différents États; il classait les événements dans une seule série continue, «< où chaque peuple figurait à son tour, d'après son rapport « avec les transformations générales de l'humanité ». Il est vrai qu'à sa vaste érudition se mêlaient quelques étroitesses de vue, quleques préventions personnelles. Le progrès, pour lui, consistait surtout dans l'accroissement de la richesse matérielle; il avait peu de goût pour les arts; il aimait les grandes agglomérations, les vastes États. De là son dédain pour les anciennes républiques grecques, ces « républiquettes où le pillage et l'assas«<sinat étaient à l'ordre du jour ». Dans la guerre de l'Indépendance américaine, il fut partisan de l'Angleterre. Mais ce qui nuit surtout à ses ouvrages, c'est le style, et il s'en rendait compte. « Quand vous vous efforcez, » dit il dans une lettre à Jean de Müller, « de défendre mon style devant les connaisseurs, « cela fait sur moi le même effet que si vous vouliez faire une « beauté d'une jeune fille qui est laide, et qui le sait, et qui s'en <«< console. Dieu sait que je n'ai jamais eu la prétention d'être «<< un styliste; je ne sais pas ce que c'est que le style, et j'écris comme je parle 1. » Voltaire aussi écrivait comme il parlait, mais il parlait bien.

versal-Historie, 2 vol., Gættingue, 1772-1773. Schloezer publia encore plus tard: Wellgeschichte nach ihren Haupttheilen im Auszug und Zusammenhang, 2 parties, Goettingue, 1785-1789.

1. Ich schreibe wie mir der Schnabel gewachsen ist. » (Briefe an Joh. von Müller, herausgegeben von Maurer-Constant, Schaffhouse, 1839-1840). Schlozer mourut à Gættingue en 1809; il était né en 1735, au village de Gapstadt, dans la principauté de Hohenlohe, en Franconie (aujourd'hui royaume de Wurtemberg). Il a publié encore des Mélanges critiques pour l'histoire des Allemands en Transylvanie (1795-1797). Dans son temps, Schlozer a exercé une grande influence commo publiciste. Il a créé successivement trois journaux politiques, pour lesquels il recevait des correspondances de toutes les parties de l'Allemagne : Briefwechsel meist statistischen Inhalts (1774-1775); Briefwechsel meist historischen und polítischen Inhalts (1776-1782); Staatsanzeigen (1782-1793). Dans ce dernier, il défendait les principes de la Révolution française, tout en désirant qu'un bouleversement semblable fút épargné à l'Allemagne. Consulter, sur Schlozer, l'article de F. Frensdorf, dans la Allgemeine deutsche Biographie, t. XXXI, et, sur tout ce groupe d'historiens, l'ouvrage déjà cité de Wegele, Geschichte der deutschen Historiographie, Munich et Leipzig, 1885.

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Jean de Müller était ce que Schlozer appelait un styliste. Il reçut de Schlozer le goût et la méthode des recherches historiques; mais l'essentiel, pour lui, était la mise en œuvre. Ses vrais maîtres étaient Tacite et Thucydide, Montesquieu et Voltaire. Il attribuait même au style une sorte de puissance intrinsèque; il en faisait une chose à part, indépendante de la pensée. Une de ses premières admirations fut Rousseau, l'idole des écrivains allemands du XVIe siècle. Il écrit un jour à Bonstetten: « Ce « Rousseau m'a appris une vérité unique, très grande, et que je << n'avais pas encore assez considérée la toute-puissance de « l'art de la parole. N'a-t-il pas ravi toute l'Europe pensante? «Tous, à l'exception de ses concitoyens, ne sont-ils pas à ses «< pieds? Ils n'ont rien appris de lui, mais ils l'adorent, seulement « parce qu'il tient la langue dans sa main, comme un dieu Jupiter << tient son tonnerre. Je veux m'emparer de ce grand instrument. <«< Depuis la migration des peuples jusqu'à Érasme, on a balbutié; « d'Erasme à Leibnitz, on a écrit; de Leibnitz à Voltaire, on a « raisonné je vais exercer l'art de la parole 1. » Il l'exerça en effet, mais on sent qu'il y fait effort, et le tonnerre pèse parfois à sa main. On a souvent comparé son style à celui de Tacite : il n'en a que l'apparence. Il coupe la longue période allemande; il affecte la phrase courte; il ménage les incidentes; il supprime volontiers le verbe. Sa langue a une allure ferme, mais saccadée et monotone; elle manque de mouvement et d'harmonie. Au reste, Jean de Müller n'avait rien, dans son tempérament, d'un Tacite. C'était un caractère mobile, facile à déterminer, cherchant même à être déterminé, et ne demandant qu'à reconnaître aux influences qu'il subissait assez de puissance pour y soumettre sa volonté 2. Il chercha toute sa vie un souverain à qui il pût s'attacher, et

1. Édition. Une édition complète des œuvres de Jean de Müller, comprenant sa correspondance, a été publiée par son frère George Müller, en 40 vol.; Stuttgart, 1831-1835. Sa correspondance avec son frère a été publiée par E. Haug; 2 vol.. Frauenfeld, 1891-1893. A consulter: Marikofer, Die Schweizerische Litteratur des XVIII. Jahrhunderts, Leipzig, 1861; - J. Vogel, Schweizergeschichtliche Studien, Berne, 1884; H. W. J. Tiersch, Ueber Joh. v. Müller, den Geschichtschreiber, und seinen handschriftlichen Nachlass, Augsbourg, 1881.

2. Ich glaube, man kann aus ihm machen, was man will, » écrit Lavater à Spalding en 1773.

il finit par tomber entre les mains du plus impérieux de tous, Napoléon. Peut-être, dans ses menées ambitieuses, n'obéissait-il pas uniquement à des vues personnelles; peut-être croyait-il sincèrement, comme il l'insinue parfois dans ses lettres, qu'une haute situation politique est favorable à l'historien, et que, pour juger les affaires de ce monde, il est bon d'y participer dans une certaine mesure. Toutes les suppositions sont permises avec un esprit aussi versatile.

Né à Schaffhouse en 1752, fils d'un pasteur, il vint d'abord à Gættingue pour étudier la théologie, qu'il abandonna bientôt pour l'histoire. De retour en Suisse, il écrivit en latin une histoire de l'invasion des Cimbres 1, qu'il envoya à l'empereur Joseph II, avec une lettre où il disait : « Près d'une bibliothèque impériale, « avec plus de loisir et d'encouragement, dans le commerce «< d'hommes distingués, en contact journalier avec ce qui est « grand, je pourrais concevoir de plus nobles projets, retracer « les annales de l'humanité, les hauts faits de Votre Majesté. »> Joseph II fit la sourde oreille, et Jean de Müller dut se contenter d'être professeur de grec au gymnase de Schaffhouse, et ensuite précepteur dans la maison du conseiller Tronchin à Genève. Il fit, pendant deux ans, à Genève, des conférences sur l'histoire universelle, qu'il traduisit plus tard en allemand. Quand le premier volume de l'Histoire de la Confédération suisse fut terminé 2, Jean de Müller se rendit à Berlin, fut reçu par le roi Frédéric II, mais n'obtint pas la charge d'historiographe qu'il ambitionnait. Chacun de ses ouvrages importants fut ainsi accompagné ou suivi de sollicitations ou du moins d'espérances intéressées. Les Voyages des papes 3 devaient lui ouvrir les portes du Vatican; il pensait même que le séjour en Italie donnerait le dernier perfectionnement à son style. « Ce qui me fait pencher « pour Rome, » dit-il dans une lettre écrite en français, « c'est le « prodigieux développement du génie de Winckelmann depuis « qu'il y fut. Vous rappelez-vous la platitude des lettres qu'il « écrivait en Allemagne? Les pays du Sud sont ceux de l'imagi<< nation. J'écris mieux que Winckelmann avant qu'il fût à Rome :

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1. Bellum cimbricum, Zurich, 1772.

2. Ce premier volume, qui parut sous le titre de Geschichte der Schweiz (1780), entra plus tard, avec des remaniements assez considérables, dans l'ouvrage complet: Geschichten der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 5 parties, Leipzig, 17861808.

3. Die Reisen der Päpste, 1782; nouvelle édition, Aix-la-Chapelle, 1834.

«que ne ferais-je pas à sa place? » En 1786, Jean de Müller fut nommé bibliothécaire du prince électeur de Mayence, et il garda cette fonction jusqu'à l'occupation de la rive gauche du Rhin par les Français. Sous l'Empire, il négocia une ligue défensive entre les États allemands. Mais sa conversion était déjà à moitié faite lorsqu'en 1806 (le 20 octobre) il eut une entrevue avec Napoléon à Berlin 1. L'année suivante, ayant été mandé à Fontainebleau, il accepta le titre de secrétaire d'État du royaume de Westphalie. Cependant, après quelques mois, il fut las de la politique, et il se fit nommer directeur général de l'Instruction publique; il mourut à Cassel, le 29 mai 1809.

La cause à laquelle Jean de Müller est resté le plus fidèle, c'est la science. Il était infatigable au travail. Ses Vingt-quatre livres d'histoire universelle, que son frère publia après sa mort, n'étaient qu'un plan qu'il comptait développer, et pour lequel il ne cessait d'amasser des matériaux 2. On a trouvé dans ses papiers dix-sept mille pages in-folio de notes et d'extraits. L'Histoire de la Confédération suisse, qui n'embrasse guère que quatre siècles (1114-1499), attendait aussi un complément, et aurait certainement été continuée, si l'auteur avait vécu. Pour ce livre, auquel il attachait une pensée patriotique, Jean de Müller avait consulté les archives municipales, les bibliothèques des couvents, les anciennes chroniques, surtout celle de Tschudi. Avec le sens littéraire dont il était doué, il se laissait parfois séduire par le charme naïf d'un vieux récit, contre lequel un esprit plus critique se serait mis en garde. Il n'a pas toujours su, dans les premiers volumes, séparer la légende de l'histoire, mais il a écrit, sur les périodes plus récentes, spécialement sur la lutte des cantons contre les ducs de Bourgogne, des pages qui resteront comme des modèles de peinture historique, à la fois exacte et vivante.

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L'enseignement universitaire contribua beaucoup au développement des études historiques. Les cours s'imprimaient, et des

1. Avait-il demandé l'entrevue, ou Napoléon était-il venu au-devant de lui? on ne sait. Il disait : «Durch sein Genie und seine unbefangene Güte hat er mich ero« bert. »

2. Vierundzwanzig Bücher allgemeiner Geschichte, besonders der europäischen Menschheit, 3 vol., Tubingue, 1811; nouvelle édition, 4 vol., Stuttgart, 1852.

manuels qui, dans l'origine, n'étaient destinés qu'aux étudiants se répandaient dans le public, lorsqu'ils se recommandaient par quelques qualités littéraires. L'université de Gættingue, en particulier, la Georgia Augusta, fondée en 1734 par le roi Georges II, devint rapidement une pépinière d'historiens, et trois professeurs de cette université, Eichhorn, Spittler et Heeren, continuèrent la tradition inaugurée par Schlozer.

L'orientaliste Jean-Gottfried Eichhorn écrivit une Histoire universelle, dans laquelle il fit entrer les peuples de l'Orient, et une Histoire générale de la civilisation et de la littérature dans l'Europe moderne, où toutes les littératures de l'Europe étaient présentées comme des phases d'un même développement et mises en rapport avec les progrès de la civilisation 1.

Louis-Timothée Spittler, originaire de Stuttgart, écrivit une Histoire du Wurtemberg et une Histoire de la principauté de Hanovre 2, ouvrages qui ont gardé leur valeur, à cause des renseignements qu'ils contiennent sur les affaires intérieures de ces deux pays. Spittler semble prévoir une prochaine révolution sociale, car, dans un autre de ses ouvrages, il dit : « Aujour« d'hui, lorsqu'il s'agit d'une contrée quelconque de l'Europe, on << demande d'abord quand et comment il s'y est formé un tiers «< état, comment se sont constitués les rapports des états entre « eux, et les rapports entre les états et le gouvernement 3. »

Arnold-Hermann-Louis Heeren, gendre du philologue Heyne, s'est fait une réputation par plusieurs ouvrages qui ont été beaucoup lus au commencement de ce siècle, qui ont même été traduits en français, mais qui ne sont plus au courant de la science et que les seules qualités du style ne suffisent pas pour faire vivre les Idées sur la politique et les relations commerciales des principaux États de l'antiquité, l'Histoire des États de l'antiquité

1. Eichhorn, né en 1752, dans la principauté de Hohenlohe, mourut à Goettingue en 1827. Son Histoire universelle (Weltgeschichte) eut successivement 6 vol., de 1795 à 1801. L'Histoire générale de la civilisation et de la littérature (Allgemeine Geschichte der Kultur und Litteratur des neuern Europa) parut de 1799 à 1814, en 2 vol. Eichhorn écrivit encore une Histoire des trois derniers siècles (Geschichte der drei letzten Jahrhunderte); 6 vol., Gættingue, 1803-1804.

2. Geschichte Würtembergs, Goettingue, 1783; Geschichte des Fürstenthums Hannover, Gættingue, 1786.

3. Entwurf der Geschichte der europäischen Staaten, 2 vol., Berlin, 1793-1794. - Spittler se fit d'abord connaître par une Esquisse de l'Histoire de l'Église chrétienne (Gættingue, 1781). Il a écrit encore une Histoire de la Révolution de Danemark en 1760 (Berlin, 1760). Né en 1752, il mourut à Tubingue en 1810.

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