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« prît un époux que par sa libre volonté ainsi l'exigeait l'hon« neur. » A la fin, Gudrun sauve Hartmut, qui va tomber sous les coups de Wate. Un sentiment d'humanité se mêle, discrètement encore, à la fureur guerrière; la poésie se rapproche peu à peu de l'idéal chevaleresque.

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Les deux causes principales qui amenèrent peu à peu la décadence de l'ancienne poésie nationale furent les progrès du christianisme parmi les tribus germaniques et l'esprit d'aventure et de galanterie qui s'était introduit avec la société chevaleresque. Qu'on se représente une religion monothéiste implantée sur le sol où fleurirent les traditions homériques : que deviendront l'Iliade et l'Odyssée? L'épopée allemande du moyen âge, placée entre deux influences contraires, la prédication chrétienne et les souvenirs païens, perdit de bonne heure cette unité morale qui est la condition indispensable d'une grande œuvre poétique. D'un autre côté, la chevalerie tendait à faire prévaloir un idéal nouveau, peu compatible avec les sujets mêmes qui faisaient le fond de la poésie héroïque. Cette poésie ne pouvait se maintenir qu'en se transformant, mais elle ne pouvait se transformer que dans une certaine mesure, et elle n'apparut bientôt plus que comme l'héritage d'une époque barbare.

Ce furent surtout certaines traditions secondaires, ayant par elles-mêmes moins de consistance, qui subirent, dès la seconde moitié du XII° siècle, des modifications profondes. C'est ainsi que Biterolf, un héros du cycle légendaire des Goths, fut transformé en un vrai chevalier d'aventure. Biterolf est roi d'Espagne; mais il quitte son royaume pour se rendre à la cour d'Attila. Il y reste dix ans, et ses sujets le croient mort. Son fils Ditleib, encore tout jeune et connaissant à peine l'équipement d'un chevalier, se met à sa recherche. Après avoir traversé mainte aventure, après avoir vaincu en combat singulier Hagen et les rois Burgondes et d'autres guerriers encore, il arrive, lui aussi, à Etzelbourg. Le père et le fils prennent part à une expédition d'Attila contre les Polonais; ils se rencontrent dans une mêlée et se combattent sans se connaître. Heureusement, Attila les sépare, et la reconnaissance a lieu. Mais avant que les deux héros retournent en Espagne, il faut encore que les Huns et leurs nombreux alliés

leur prêtent main-forte contre les Burgondes, dont Dietleib avait reçu une offense. Les dernières aventures, qui se passent aux environs de Worms, rappellent les Nibelungen, et trahissent une légende de formation récente 1.

1. Édition de Oscar Jänicke (Deutsches Heldenbuch, publié par K. Müllenhoff, 5 vol., Berlin, 1866-1873; au 1er vol.), Des analogies de forme et de fond avec la Plainte des Nibelungen ont fait supposer que les deux poèmes avaient eu le même auteur; mais il est probable que le Biterolf est plus récent.

CHAPITRE III

POÈMES CHEVALERESQUES

Différence entre les poèmes héroïques et les poèmes chevaleresques. 1. Version allemande de la Chanson de Roland. La légende d'Alexandre; le poème du curé Lamprecht. 2. L'Eneide de Henri de Veldeke; la courtoisie dans la littérature. Les poèmes de Hartmann d'Aue; introduction des sujets de la Table ronde; l'Ivain et l'Érec; Grégoire ou le Bon Pécheur. Le Tristan de Gotfrit de Strasbourg; la passion substituée à la courtoisie. - 3. Essai de renouveler le contenu de la poésie chevaleresque; le Parzival de Wolfram d'Eschenbach et la légende du Saint Graal.

Les poèmes héroïques, même sous leur forme rajeunie, ne représentaient plus le véritable esprit du XIIe siècle. Les transformations qu'ils avaient subies dans le cours des âges ne leur avaient pas fait perdre entièrement leur caractère primitif. Les sentiments qui s'y exprimaient ne répondaient pas toujours à l'idéal chevaleresque. Même le christianisme n'y régnait pas sans partage. D'anciens mythes, dont l'imagination populaire n'avait pu se détacher, avaient trouvé là leur dernier refuge. Aussi la poésie héroïque, sans être complètement abandonnée, fut reléguée à l'arrière-plan, et la faveur publique se porta vers d'autres sujets, qui étaient plus en harmonie avec les mœurs nouvelles créées par la féodalité.

Les plus célèbres des héros chevaleresques, Arthur, Lancelot, Tristan, Perceval, sont d'origine celtique. Les Celtes, qui, antérieurement aux Germains, avaient possédé la plus grande partie de l'Europe, ne conservaient plus, à la fin du XIe siècle, que la presqu'ile armoricaine et le pays de Galles. Leurs voisins, les Normands, alors maîtres de l'Angleterre et de l'Ouest de la France, eurent connaissance de leurs légendes nationales, les traduisirent

en français, et les firent connaître à l'Europe entière. Arthur et les chevaliers de la Table ronde furent bientôt chantés dans toutes les langues, dans celles du Nord comme dans celles du Midi, même en grec moderne car les poèmes français avaient trouvé des imitateurs jusqu'à Constantinople, où ils avaient pénétré à la suite des croisés. Les compagnons de la Table ronde furent considérés désormais comme les vrais représentants de l'esprit chevaleresque, et tout héros poétique, ancien ou moderne, fut obligé de se façonner sur leur modèle.

Les poèmes héroïques diffèrent des poèmes chevaleresques autant par le fond que par la forme. Les premiers respirent le sentiment de la communauté; on y voit des peuplades entières se mettre en campagne, soit pour défendre leur territoire, soit pour conquérir une patrie nouvelle. Dans les seconds, c'est l'esprit individuel qui domine. Le chevalier cherche aventure pour luimême; il attend que le hasard des combats lui fournisse une occasion de se signaler; il n'a d'autre dessein que de se couvrir de gloire et de faire arriver jusqu'aux oreilles de sa dame la renommée de ses exploits. Les poèmes héroïques consacrent des souvenirs nationaux; les poèmes de la Table ronde plaisent surtout par les qualités personnelles de leurs héros, par ce mélange de fierté et de douceur, de vaillance et de courtoisie, qui forme le fond du caractère chevaleresque.

Les poèmes nouveaux adoptèrent dès l'abord une forme plus légère que l'ancienne forme épique. Le vers est plus court, d'un rythme plus léger et moins savant; on voit qu'il a été fait pour être lu et non chanté ou déclamé. Quelques poètes ont su donner à ce vers beaucoup de vivacité et de grâce; d'autres ont abusé d'un art facile, et se sont perdus en de longues descriptions.

On distingue ordinairement, dans l'épopée chevaleresque, trois cycles le cycle antique, le cycle carolingien et le cycle breton. Cette distinction est plus apparente que réelle; elle ne repose que sur la différence des sujets. Au fond, c'est le même esprit qui anime partout la poésie chevaleresque. Alexandre et Énée prennent, sous la main des poètes du XIe siècle, la même physionomie que Lancelot et Tristan. Nous nous attacherons donc uniquement à l'ordre chronologique, qui a l'avantage de suivre et de reproduire le mouvement même de la littérature du moyen âge, et de montrer le point précis où elle touche à son apogée pour marcher ensuite vers sa décadence.

1. LA « CHANSON DE ROLAND » ET L'« ALEXANDRE ».

Les poèmes chevaleresques de l'Allemagne sont à peu près sans exception traduits du français. La série des traducteurs s'ouvre dès la première moitié du XII° siècle, avec deux ecclésiastiques dont l'un s'appelait Conrad et l'autre Lamprecht.

Le curé Conrad (der Pfaffe Conrad) a traduit d'abord en latin, ensuite en allemand un manuscrit de la Chanson de Roland, qu'il avait reçu de Henri le Superbe, duc de Bavière, et que celui-ci avait probablement rapporté d'un voyage en France, en 1131. Conrad déclare lui-même n'avoir rien omis de son modèle et n'y avoir rien ajouté; mais ce qu'il n'a pas su reproduire, c'est le sentiment patriotique qui anime l'ancien poème français. Il raconte, en suivant pas à pas son auteur, l'expédition de Charlemagne au delà des Pyrénées, la mort héroïque de Roland et des douze pairs dans le val de Roncevaux, enfin le châtiment du traître Ganelon et le triomphe définitif des armes franques sur les hordes innombrables des Sarrasins. Mais, d'un tableau plein de vie, il a fait une sèche chronique. Cependant le poème de Conrad est inté ressant à étudier au point de vue de la langue et de la versifica tion. Le style est lourd et neurté, le vers dur et inégal; la rime est parfois remplacée par une simple assonance. La prosodie allemande n'a pas encore cette souplesse et cette harmonie que lui donneront, cinquante ans plus tard, les véritables chefs de l'école chevaleresque 1.

Si le Roland de Conrad n'est qu'un reflet assez pâle de la vieille épopée française, un autre poème, qui semble remonter à la même époque, peut-être même un peu plus haut, offre au contraire un double intérêt : il nous rend jusqu'à un certain point l'original français dont il est imité et qui est presque entièrement perdu, et il perpétue en outre une des légendes les plus curieuses du moyen âge. Ce poème est l'Alexandre du curé Lamprecht. Alexandre était à peine mort au sein de sa conquête, que la tradition, renchérissant sur l'histoire, lui prêta les exploits les plus merveilleux. Toutes les fables que les Grecs avaient rapportées de l'Orient se concentrèrent dans les récits dont on orna la mémoire du héros macédonien. Un auteur

1. Éditions de W. Grimm (Goettingue, 1838) et de K. Bartsch (Leipzig, 1874).

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