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peinture de mœurs toute générale. Elles forment le digne pendant des fables de Gellert : tout en censurant la classe moyenne, elles contribuèrent à l'instruire et à la former 1.

1. Liscow, Sämmtliche satyrische und ernsthafte Schriften, Francfort et Leipzig, 1739.-Rabener, Sammlung satyrischer Schriften, 4 vol., Leipzig, 1751-1755; Sämmtliche Schriften, 6 vol., Leipzig, 1777; nouvelle édition, par Ortlepp, 4 vol., Stuttgart, 1839.

Écrivains secondaires.

L'école saxonne, sans compter aucun écrivain de premier rang, eut une véritable influence par le nombre de ses adhérents, qui, après avoir fait leurs études à Leipzig et s'être essayés dans les Contributions de Brême, se répandaient en Allemagne et faisaient partout des disciples. La plupart d'entre eux se rattachèrent plus tard à Klopstock.

Kæstner, un des plus anciens, né à Leipzig en 1719, mort à Goettingue en 1800, fut d'abord un Gottschédien pur; mais il vécut assez pour connaitre des temps meilleurs, et il se montra favorable aux jeunes talents. Il enseigna les mathématiques et la physique à l'université de Gættingue. Il attira surtout l'attention par ses épigrammes, quelquefois spirituelles, souvent agressives, et qui lui firent beaucoup d'ennemis.

Jean-Adolphe Schlegel, le père des deux coryphées du romantisme, né à Meissen en 1721, mort à Hanovre en 1793, poète médiocre, dont quelques cantiques ont seuls survécu, mais critique assez distingué, jouit d'une certaine autorité par sa traduction des Beaux-arts réduits à un même principe de l'abbé Batteux, et par les remarques qu'il y ajouta.

Jean-André Cramer (1723-1788), pasteur à Quedlinburg, plus tard vice-chancelier de l'université de Kiel, fut, dans sa jeunesse, l'un des soutiens des Contributions de Brême. Klopstock le fit venir à Copenhague, où il publia la revue, le Spectateur du Nord (Der Nordische Aufseher). Il traduisit les Psaumes, et l'Histoire universelle de Bossuet.Ses odes, imitées de Klopstock, ont du mouvement, mais aussi de l'emphase. Il fut immolé par Lessing comme l'un des représentants du genre séraphique. Jean-Arnold Ebert (1723-1795) fut également l'un des collaborateurs actifs des Contributions. Il était né à Hambourg, où Hagedorn lui inspira le goût de la poésie anglaise. Homme de goût, mais de peu de génie, il est l'auteur de dix-huit épitres sagement ordonnées et assez agréablement écrites. Il a fait des traductions d'écrivains anglais, principalement d'Young.

Nicolas-Thierry Giseke, un Hongrois (1724-1765), succéda à Cramer comme pasteur à Quedlinburg, et subit, comme lui, l'influence de Klopstock. C'était un disciple dans toute la force du terme, un de ces esprits qui savent propager l'impulsion donnée par les maîtres. Outre sa collaboration aux Contributions de Brême, il a écrit des odes, des cantiques, des cantates, des fables et des épîtres. Ses odes sont calquées sur celles de Klopstock.

L'école eut enfin son poète « mort jeune » dans Jean-Benjamin Michaëlis. La pauvreté et la maladie attristèrent le peu d'années qu'il lui fut donné de vivre. Tour à tour précepteur, journaliste, puis attaché comme auteur dramatique à la troupe de Seyler, mourut, en 1772, âgé de vingt-six ans à peine, au moment où Gleim lui offrait un asile à Halberstadt. Ses odes, ses épîtres, ses satires sont assez intéressantes par le tour humoristique de certains passages.

Imitateurs de Gellert. Pfeffel. Le fabuliste Gellert eut sa petite école particulière, où l'on remarque un homme de talent, Pfeffel, qui fut presque un contemporain de Goethe et de Schiller, mais qui resta fidèle à sa première manière. Né à Colmar en 1736, il fit ses études à l'université de Halle. Frappé de cécité à vingt et un ans, il consacra le reste de sa vie à la poésie; il mourut en 1809. Il reçut de toutes parts des témoignages d'admiration. Bonaparte, comme premier consul, le nomma président du consistoire de sa ville natale. Ses Essais en prose et en vers, qui furent publiés en vingt parties, sont loin de contenir tout ce qu'il a écrit.

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L'impuissance de l'école saxonne se montre surtout dans la poésie dramatique. Gottsched voulut donner de la dignité au théâtre, et il ne réussit qu'à en chasser complètement le naturel. Il rejeta tout à la fois la farce populaire, reste des anciens Jeux de Carnaval, et le drame, dont les origines se rattachaient aux représentations des comédiens anglais. Il engagea une lutte en forme contre Hanswurst, l'Arlequin allemand, qu'il réussit à bannir momentanément de la scène, et il trouva une alliée dans Caroline Neuber, directrice d'une troupe qui donnait des représentations à Leipzig. La tragédie qu'il inaugura était un mélange de tirades ampoulées et de sentences prétentieuses. Racine était trop loin des mœurs allemandes du temps pour pouvoir être compris. Quant à la comédie française, elle n'inspirait pas mieux les imitateurs d'outre-Rhin. Ils confondaient le comique avec le trivial; ils peignaient des vices plutôt que des défauts, et, quelque repoussantes que fussent parfois leurs peintures, ils avaient encore la prétention d'instruire. Il faut rendre, du reste, cette justice à Gottsched, que l'imitation française n'était, à ses yeux, qu'un apprentissage nécessaire; il engageait ses disciples, une fois maîtres d'euxmêmes, à essayer leurs forces dans des sujets nouveaux. Mais il se trompait étrangement sur le degré de perfection auquel il croyait avoir amené la littérature allemande, et, quant à sa propre valeur, il se faisait illusion au point de se comparer aux tragiques français. Il avait tant insisté sur l'observation des règles, que le génie, pour lui, ne consistait plus que dans la correction. Gottsched fut secondé dans son œuvre de réforme par ses disciples, Schwabe, Schoenaïch, Lange. Mais sa principale auxiliaire

Le recueil de ses fables est fort inégal; les unes sont tout à fait médiocres, et no visent qu'à la leçon morale, que les personnages font valoir comme ils peuvent; les autres sont heureuses par l'invention et le style. Il fit l'épigramme suivante. quand Robespierre eut fait décréter la fête de l'Étre suprême: « Maintenant, seigneur Dieu, on te permet de nouveau d'être : ainsi le veut le bourreau des Francs. Envoie done vite une paire d'anges pour lui offrir tes remerciements. »

Parmi les contemporains de Gellert, plus ou moins dépendants de lui, il faut citer surtout Lichtwer et Willamow. Le premier se rattacha d'abord à Gottsched, dont les éloges le firent connaitre; ses fables sont de petits récits plutôt que des apologues; ce sont des scènes populaires, relevées par une leçon morale. Quant à Willamow, i imagina la fable dialoguée, et sut montrer dans ce genre nouveau une certaine brièveté originale; il écrivit aussi des odes et des dithyrambes, et il traduisit la Batrachomyomachie en hexamètres allemands.

fut sa femme, Victoire Gottsched, née Culmus. Elle avait, au dire des contemporains, plus d'esprit que lui, et même plus de bon sens critique. Elle était disposée à suivre le mouvement de la littérature, tandis que son mari restait inébranlable dans ses préjugés. Il en résulta entre eux quelque mésintelligence, comme Gottsched lui-même l'avoue dans la biographie qu'il ajouta aux œuvres de sa femme. Victoire Gottsched traduisit Zaïre, Alzire, le Misanthrope, quelques pièces de Destouches. Elle forma peu à peu son style; ses dernières traductions sont les meilleures. Lessing, dans la première édition de la Dramaturgie, louait sa comédie de Cénie, dont l'original était de Mme de Graffigny. « Ceux-là seuls, » disait-il, «< savent rendre, même dans une traduction, des pensées déli<«<<cates, qui auraient pu les avoir eux-mêmes. » Cependant Mme Gottsched prêtait souvent aux personnages des comédies françaises un langage lourd et pédantesque. Ses propres ouvrages sont fort inférieurs à ses traductions. Son auteur favori était Destouches; peut-être un secret instinct l'avertissait-il que Molière était d'un accès plus difficile 1.

A vrai dire, la poésie dramatique ne pouvait aller fort loin dans la voie où Gottsched s'efforçait de la maintenir. Le pathétique de la tragédie française était trop élevé, trop raffiné surtout, pour le public allemand; et la comédie de Molière et de ses successeurs tenait à des habitudes sociales que l'Allemagne ne devait connaître que bien plus tard, si elle les connut jamais. Tout ce que les auteurs allemands pouvaient apprendre à l'école de la France, c'était la partie mécanique de l'art, l'arrangement extérieur des scènes. Quelques poètes de talent se révélèrent à Leipzig vers le milieu du siècle, mais, en somme, le théâtre resta dans l'enfance. Cronegk eut un succès momentané avec sa tragédie de Codrus (1758), à laquelle fut attribué un prix de cinquante thalers. proposé par Nicolaï. Un poète enlevé à l'âge de vingt ans, Brawe, laissa deux pièces, qui furent publiées par Karl Lessing, le frère du grand critique, et par Ramler; c'étaient une comédie bourgeoise, un des premiers essais en ce genre, intitulée le Libre Penseur, et un Brutus, dans lequel commence à paraître le trimètre ïambique, à la place de l'alexandrin français 2. L'esprit critique

1. Une de ses comédies, le Testament, se trouve dans le volume consacré par J. Crüger à Gottsched, Bodmer et Breitinger, dans la collection Kürschner. A consulter: P. Schlenther, Frau Gottsched und die bürgerliche Komödie, Berlin, 1886. 2. Berlin, 1768. - Le Libre Penseur (Der Freygeist) avait déjà paru dans la Bibliotek der schönen Wissenschaften, en 1758.

se faisait jour au milieu de ces tentatives. Sans oser encore s'affranchir tout à fait, on étendait du moins le cercle de l'imitation. Jean-Elie Schlegel commença, comme son maître Gottsched, par étudier les Français, mais il y ajouta les Grecs et même Shakespeare. Son Canut resta longtemps au théâtre, et Lessing louait encore, en 1768, une autre de ses pièces, le Triomphe des bonnes femmes, en l'appelant la meilleure des comédies allemandes 1. Schlegel exprimait, dans ses articles critiques, des idées qui étaient fort nouvelles en Allemagne. Il disait que le théâtre d'une nation devait être conforme à ses mœurs, que les poètes devaient même choisir de préférence leurs sujets dans l'histoire nationale. Lui-même composa un Arminius, mais c'est un de ses ouvrages les plus faibles.

Les pièces de Schlegel, aussi bien que celles de Brawe et de Cronegk, étaient avant tout des compositions littéraires. Ces auteurs travaillaient avec leur Racine d'un côté et les Éléments de l'abbé Batteux de l'autre. Christian-Félix Weisse donna enfin de vraies pièces de théâtre, quelque imparfaites qu'elles fussent encore. Il avait été en rapport, dans sa jeunesse, avec la troupe de Neuber, qui jouait à Leipzig, et il avait commencé par faire des traductions et des remaniements. Il se rendait bien compte de la sûreté de coup d'œil et de l'habileté de main qu'il devait à la connaissance de la scène. « Il est certain, » dit-il dans la préface de sa Contribution au théâtre allemand, « qu'il est tout aussi « difficile de devenir un bon auteur dramatique avec la seule con<< naissance des règles, que de devenir un bon danseur à l'aide des << seuls principes de la chorégraphie. Les règles ne font connaître << ni le grand ni le petit monde, ni la cour ni la bourgeoisie, ni la <«< langue de la conversation ni celle des passions 2. » Il explique, dans la même préface, comment il entend l'imitation. Il vaut mieux étudier, dit-il, qu'imiter : l'imitation est toujours restreinte, tandis que le champ de l'étude est immense. On commençait à opposer l'Angleterre à la France: Weisse conseille de ne s'en tenir exclusivement ni à l'une ni à l'autre, mais de prendre une

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Trauerspiele, Christian-Félix

1. Der Triumph der guten Frauen, 1748. Jean-Élie Schlegel (1719-1749) est lo frère aîné de Jean-Adolphe. Monographie de E. Wolff, Berlin, 1889. 2. Beytrag zum deutschen Theater, 5 vol., Leipzig, 1759-1768. 5 vol., Leipzig, 1776-1780. Lustspiele, 3 vol., Leipzig, 1783. — Weisse naquit à Annaberg en Saxe, en 1726; il mourut à Leipzig, en 1804. -- A consulter J. Minor, Christian Felix Weisse und seine Beziehungen zur deutschen Litteratur des XVIII. Jahrhunderts, Innsbruck, 1880.

voie intermédiaire, en apprenant des Français l'art de la composition, et des Anglais les grands effets tragiques. C'étaient là des vues très justes; mais il aurait fallu un certain génie pour combiner deux genres de beauté littéraire dont chacun était difficile à atteindre en lui-même. Weisse avait, du reste, un défaut irrémédiable: c'était son extrême facilité. Lessing lui disait : « Si « je pouvais seulement vous rendre le travail très ardu, vous <«< seriez un grand écrivain. » Weisse produisait beaucoup et vite, et l'engouement du public, qui accueillait avec enthousiasme la moindre feuille tombée de sa main, n'était pas fait pour le décourager. Sur la fin de sa carrière, il se rapprocha de plus en plus de l'Angleterre, préparant ainsi les voies à la critique de Lessing. Il abandonna l'alexandrin pour le trimètre ïambique. Au reste, il se faisait illusion, aussi bien que Gottsched, sur les progrès qu'il avait fait faire au théâtre. Il croyait, dans Roméo et Juliette, avoir égalé, peut-être surpassé Shakespeare. Son Richard III est sa meilleure pièce. Lessing n'a pas de peine, il est vrai, à montrer qu'elle n'est pas comparable au chef-d'œuvre anglais; mais on y remarque une certaine habileté à ménager les effets, et l'intérêt croît d'une scène à l'autre. Weisse est moins heureux dans des sujets antiques, comme la Délivrance de Thèbes, Atrée et Thyeste. Ses comé dies ont de la gaieté. Ses opéras ont laissé quelques chansons' dans la mémoire du peuple.

Le développement du théâtre allemand depuis Gottsched jusqu'à Weisse n'offre, en réalité, qu'un seul genre d'intérêt c'est de montrer comment Shakespeare se révèle peu à peu et entre dans les esprits. Schlegel le connaît, l'étudie et le loue; Weisse l'imite et croit le surpasser. La critique est encore toute française; nul ne doute de la vérité des principes énoncés par Boileau; mais Shakespeare s'impose par une certaine conformité de génie. Son règne sera définitif, le jour où la critique elle-même se sera rangée de son côté. On l'admire d'abord par instinct : Lessing montrera qu'on a eu raison de l'admirer.

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