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dans le vague, parce qu'on n'avait aucun principe sûr, aucune règle de goût fondée sur le caractère national. On regardait au loin, au lieu de s'interroger soi-même. On imitait d'abord pour s'exercer, ou plutôt l'on gâtait de beaux modèles; et lorsqu'on croyait reprendre son indépendance, on imitait encore par habitude. Après un siècle d'hésitations, on se trouvait enfin ramené au point de départ, à ce type d'une littérature instructive, humble et correcte, qui avait été l'idéal d'Opitz.

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Il est juste, avant de quitter l'école de Silésie, de mentionner un homme qui eut presque une originalité : c'est Berthold-Henri Brockes, membre du conseil de la ville libre de Hambourg. Né dans cette ville en 1680, Brockes fit ses études à Halle, et parcourut ensuite l'Allemagne, la Suisse, l'Italie, la France. Il se donna l'éducation la plus complète, apprit les principales langues de l'Europe, étudia même la musique, et s'exerça dans la peinture. Il mourut à Hambourg, en 1747. Ses aptitudes variées se reconnaissent dans ses écrits. Les goûts du peintre se retrouvent dans les descriptions de la nature, qui n'ont que le défaut d'être parfois trop minutieuses: ce sont de petits tableaux flamands. Brockes rompit le premier l'alexandrin monotone des Silésiens. Son vers a du mouvement et de l'harmonie; il ne dédaigne même pas l'harmonie imitative. Ses poésies, qui portent le titre de Plaisir terrestre en Dieu, et qui eurent successivement neuf volumes, dont le dernier ne parut qu'après sa mort, ont pour but de montrer, dans tous les phénomènes de la nature, la puissance et la bonté du Créateur. Il traduisit l'Essai sur l'homme de Pope et les Saisons de Thomson. Il fut un des premiers écrivains allemands qui imitèrent l'Angleterre avec succès, et on peut le considérer, sous ce rapport, comme un précurseur de Bodmer et même de Klopstock 2.

A consulter:

1. Irdisches Vergnügen in Gott, 9 parties, Hambourg, 1721-1748. A. Brandl, Barthold Heinrich Brockes, Insbruck, 1878. 2. Les poètes de cour. Jean Besser. Une variété curieuse du poète silésien, dans la dernière période de l'école, c'est le poète de cour. Jean de Besser fut le type de cette classe de beaux-esprits. Il était fils d'un pasteur de la Courlande, et destiné à suivre la carrière de son père. Mais les relations qu'il eut avec des jeunes gens nobles changérent ses résolutions. Il fut attaché à la cour des électeurs de Brandebourg, et s'éleva de degré en degré jusqu'à la dignité de conseiller

de légation en exercice, avec un traitement de 300 thalers. L'électeur Frédéric III, ayant pris la couronne royale, le choisit pour son maître de cérémonie et son poète de cour. Il possédait la plus riche bibliothèque du temps sur la science du cérémonial; il la vendit à l'électeur de Saxe, qui lui en laissa la jouissance, à la condition d'instruire dans son art un homme qui fût capable de lui succéder. Il prit pour disciple le poète Koenig, poète au même titre que lui. Jean de Besser avait quitté le Brandebourg, à l'avénement du roi Frédéric-Guillaume Ier, moins préoccupé d'étiquette que son prédécesseur, et il s'était attaché à la cour de Dresde. Besser arrivait, par une retouche opiniâtre, à donner à ses poésies un certain vernis d'élégance. Louis de Canitz ayant perdu sa femme, il attendit un an pour lui exprimer ses condoléances en vers. Des madrigaux, qu'il « improvisait » à table, lui coûtaient des semaines de travail. Il eut de son vivant la réputation d'un vrai poète; et Leibnitz lui-même le loue pour avoir su dire décemment des choses indécentes, dans un poème qui avait pour titre l'Asile de l'Amour.

SIXIÈME PÉRIODE

LA LITTÉRATURE CLASSIQUE

DEPUIS L'AVÉNEMENT DE FRÉDÉRIC II (1740)
JUSQU'A LA FIN DU DIX-HUITIÈME SIÈCLE

PREMIÈRE SECTION

KLOPSTOCK, LESSING ET WIELAND

CHAPITRE PREMIER

FRÉDÉRIC II

Faiblesse du Saint-Empire romain après la guerre de Trente Ans; scission entre l'Allemagne catholique et l'Allemagne protestante. Commencements de la puissance prussienne. Le Grand Electeur Frédéric-Guillaume. Les victoires de Frédéric II. Rôle contradictoire de ce roi, qui n'aime et n'admire que l'étranger, et qui donne le premier éveil au sentiment national.

Le Saint-Empire romain ne se releva pas du coup que lui avait porté le traité de Westphalie. Son existence fut plus sérieusement compromise qu'elle ne l'avait jamais été au moyen âge. Retenir dans les liens d'une puissante unité des peuples de nationalité différente, dont la civilisation n'était pas la même et dont les intérêts ne s'accordaient pas toujours, cette tâche, à laquelle s'étaient vainement appliqués les Otton de Saxe et les Hohenstaufen, devenait plus ardue depuis que les empereurs de la maison d'Autriche avaient étendu leurs domaines à l'étranger. La question politique se compliquait dès lors d'un intérêt dynastique. La Réforme créa de nouveaux embarras. Des divergences de caractère, qui s'étaient dissimulées durant des siècles, éclatèrent tout d'un coup : l'Allemagne se trouva scindée en deux

portions à peu près égales, qui semblaient étonnées d'avoir été si longtemps unies. Il était à prévoir qu'au milieu de la désorganisation de l'ancien corps germanique se formeraient des agglomérations nouvelles. Alors commença, en effet, la fortune de cet État de forme étrange et de nature encore indécise, qui se composait du margraviat de Brandebourg, du duché de Prusse et d'un grand nombre de possessions échelonnées sur l'Elbe et la Weser.

L'Autriche, tout affaiblie qu'elle était, gardait la direction du parti catholique. La Suède, depuis sa lutte contre la Russie, ne pouvait plus prétendre à soutenir la cause protestante en Allemagne. Il y avait, entre ces deux puissances déchues, un rôle glorieux à jouer ce fut celui que le Grand Électeur Frédéric-Guillaume essaya de prendre, sinon pour lui, du moins pour ses successeurs. Il battit les Suédois à Fehrbellin, en 1675, et les rejeta pour quelques années du territoire allemand; il appela des colons hollandais pour défricher les plaines sablonneuses du Brandebourg et de la Poméranie; il offrit un asile aux protestants réfugiés de France. En un mot, il fit de la petite ville qui était sa capitale, et qui comptait moins de dix mille habitants, un nouveau centre du protestantisme en Allemagne, et, en ce sens, on peut dire qu'il posa les premiers fondements de la grandeur prussienne.

La Prusse, ou ce qui devait plus tard s'appeler de ce nom, était devenu, entre les mains du Grand Électeur, un des principaux États de l'Allemagne; son arrière-petit-fils, Frédéric II, l'éleva au rang d'une puissance européenne. La guerre de Sept Ans rendit le nom de Frédéric II populaire, non seulement par l'héroïsme qu'il y déploya, mais parce qu'on voyait en lui le représentant d'une cause nationale. Les armées que l'Autriche mettait en campagne depuis deux siècles étaient en grande partie composées d'étrangers; c'étaient souvent des chefs italiens ou espagnols qui les commandaient. On put célébrer enfin des victoires remportées par un général allemand avec des troupes allemandes; et l'on avait vu ce général résister, dans six campagnes successives, aux forces combinées de trois États dont chacun semblait assez puissant pour l'anéantir. La longue humiliation de la guerre de Trente Ans était effacée. Tous les peuples de race germanique, sous quelque gouvernement qu'ils fussent placés, s'enorgueillirent des triomphes de Frédéric, et, en s'associant à

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