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Les aventures rassemblées dans le poème sont reliées entre elles par l'histoire du Trésor, qui passe de main en main et porte malheur à tous ceux qui le possèdent. D'après un usage des

Bartsch (Leipzig, 1866). Elle porte à la fin ces mots : « Ceci est la Détresse des Nibelungen (daz ist der Nibelunge nôt) », conclusion qui ne s'applique, en réalité, qu'à la dernière partie. L'autre forme du poème, représentée par le manuscrit de Lassberg (ou manuscrit C), et reproduite dans les éditions de Lassberg (SaintGail et Constance, 1846), de Von der Hagen (Berlin, 1812) et de Zarncke (Leipzig, 156), parait être une tentative pour faire disparaître les inégalités de la première redaction, et pour ramener le tout à un plan uniforme. Çà et là se trahit aussi fiatention de mettre la vieille légende héroïque en harmonie avec les idées chrétiennes et chevaleresques. Le dernier vers est ainsi modifié : « Ceci est la Chanson des Nibelungen (daz ist der Nibelunge liet) », titre qui peut embrasser en effet toute la suite des aventures dont les Nibelungen sont les héros.

Un manuscrit d'une écriture très négligée, qui se trouve aujourd'hui à la Bibliotheque de Munich, contient un texte encore plus succinct que celui de Saint-Gall. Lachmann a jugé que ce texte, en raison de sa brièveté même, devait être le plus ancien. La conclusion était spécieuse; elle n'est pas rigoureusement vraie. Que la tradition héroïque, en se transmettant d'âge en âge, se soit développée et amplifiée, cela parait hors de doute; mais il ne s'ensuit pas que, des trois rédactions, la plus courte soit nécessairement la plus ancienne; il faut encore que les passages que l'on considère comme des additions, comme des superfétations du texte primitif, dénotent par leur contenu même une origine postérieure.

Le manuscrit de Munich (ou manuscrit A) sert de base aux différentes éditions de Lachmann (Der Nibelunge Not und die Klage, nach der ältesten Ueberlieferung, mit Bezeichnung des Unechten und mit den Abweichungen der gemeinen Lesart, Berlin. 1826; 5e édit., 1878). Lachmann a même essayé, par un effort d'imagination, de reconstituer les anciens chants, au nombre de vingt, qui forment, selon lui, le noyau primitif du poème. Ses theories ont été combattues par Holtzmann (Untersuchungen über das Nibelungenlied, Stuttgart, 1854), qui regarde le texte de Lassberg (celui du manuscrit C) comme le plus ancien, et le poème entier comme l'œuvre personnelle d'un seul et même écrivain. Holtzmann a trouvé à son tour un contradicteur dans K. Müllenhoff (Zur Geschichte der Nibelunge Not, Brunswick, 185). La réplique de Holtzmann parut la même année (Kampf um der Nibelunge Hort, gegen Lachmanns Nachtreter, Stuttgart, 1855). Voir enfin Zarncke, Zur Nibelungenfrage, ein Vortrag, Leipzig, 1856, et Beiträge zur Erklärung und zur Geschichte des Nibelungenliedes (dans les Berichte der K. Sächs. Gesellschaft der Wissenschaften, au 8 vol.), Leipzig. 1856; et H. Lichtenberger, Le poème et la légende des Nibelungen, Paris, 1891.

L'auteur. Parmi les auteurs à qui l'on a attribué tour à tour le poème des Nibelungen, c'est le seigneur de Kürenberg qui a aujourd'hui le plus de partisans. On le croit originaire de la Haute-Autriche ; mais on ne peut même déterminer avec précision l'époque où il a vécu (voir surtout Pfeiffer, Der Dichter des Nibelungenhedes, dans Freie Forschung, Vienne, 1867). Le manuscrit dit « de Manesse », vaste recueil de poésies lyriques, contient quinze strophes de lui, semblables aux strophes des Nibelungen: c'est principalement cette analogie qui lui a valu l'honneur d'être préféré à Henri d'Ofterdingen, dont l'existence même est incertaine.

Versification. - La première forme du poème des Nibelungen a dû être celle de I alliteration. On peut même considérer le vers qui est resté la forme définitive du poeme comme un développement naturel de l'ancien vers allitérant. Généralement, deux vers allitérants sont reliés ensemble par le sens et par le rythme, et forment ainsi une succession de huit syllabes accentuées, entrecoupées d'un nombre inégal de syllabes sans accent. Le poème des Nibelungen réunit deux vers allitérants en un seul. Mais, pour donner plus de mouvement à la phrase, et pour faciliter la césure,

temps barbares, qui s'était transmis à l'époque féodale, les chefs et les rois conservaient dans une salle de leur manoir des armes de prix, des vêtements d'apparat, des ustensiles et des ornements de toutes sortes, qu'ils avaient hérités de leurs ancêtres ou rapportés comme butin de guerre. Ces trésors, qu'ils montraient avec orgueil, excitaient la convoitise de leurs ennemis, et devenaient fréquemment une cause de discorde dans les familles puissantes. L'histoire des rois mérovingiens est pleine d'aventures sanglantes où la cupidité joue un aussi grand rôle que l'esprit de conquête. Sifrit possède un trésor d'une richesse incalculable, qu'il a ravi à deux rois du Nord, appelés les Nibelungen 1. Il s'en sert pour attacher à son service les meilleurs chevaliers et pour paraître avec honneur dans les fêtes et les tournois. Il attire les regards non moins par sa magnificence que par la renommée de ses hauts faits. La vaillance et l'éclat, telles sont les deux qualités que le poème prête à son héros dès le début; il y ajoute quelques traits qui appartiennent plus spécialement à l'idéal chevaleresque : l'art de plaire aux dames, la distinction des manières, la fine courtoisie.

Dans le Niderlant grandissait le fils d'un noble roi - (son père se nommait Sigemunt, sa mère Sigelint), -- dans un château très fort et connu au loin, sur le cours inférieur du Rhin; ce château s'appelait Santen. Le vaillant guerrier se nommait Sifrit. - II visita maint royaume, grâce à son indomptable énergie, et la vigueur de son bras le conduisit dans les pays lointains. Que de bons guerriers il rencontra

plus tard chez les Burgondes!

on

Mais, dès son premier temps, dès les jours de sa jeunesse, pourrait raconter de lui des merveilles. Il était beau de corps, et de noble apparence; et plus tard il se fit aimer des dames.

On l'éleva avec le soin qui convenait à sa naissance; mais il tira ses meilleures qualités de son propre cœur. -- Le royaume de son père fut illustré par lui, tant il se montra accompli en toutes choses.

il supprime le quatrième et le huitième accent. Celui-ci ne subsiste, comme une sorte de repos, que dans le dernier vers de la strophe.

La strophe des Nibelungen se compose ainsi de quatre vers de six accents chacun, coupés par une césure au milieu, et rimés deux par deux. Le dernier vers seul a un accent de plus au second hémistiche.

Traductions. Le poème des Nibelungen a été traduit en allemand moderne, dans la forme de l'original, par Simrock (-40° éd., Berlin, 1880). La traduction française la moins imparfaite est celle de Laveleye (Paris et Bruxelles, 1861).

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1. Le trésor s'appelle le Nibelungenhort; il se trouve dans le Nibelungenlant ou Pays des Ténèbres ». Les deux rois sont les Nibelungen, et la même désignation passe ensuite, comme un titre honorifique, à tous les possesseurs du trésor, à Sifrit, aux rois burgondes.

Déjà il avait atteint l'âge d'aller à la cour. - Chacun aimait à l'y voir; les dames et les jeunes filles - auraient souhaité de l'y voir toujours. Plusieurs d'entre elles lui voulaient du bien, et le jeune seigneur s'en apercevait.

Une escorte l'accompagnait, quand il chevauchait autour du château. Il était vêtu de belles étoffes, par les soins de Sigemunt et de Sigelint. - De sages maitres l'instruisaient, l'élevaient dans les bonnes mours. Il se préparait ainsi à devenir puissant et riche.

Lorsqu'il fut d'âge à porter les armes, on lui donna un équipement complet. — Alors il songea aussi à rechercher les dames, — qui, de leur côté, s'honoraient de lui plaire.

Et voilà que Sigemunt fit savoir à ses vassaux - qu'il donnait une grande fête à ses amis.- La nouvelle en fut portée dans les royaumes voisins. Le roi promettait à chaque invité, homme du pays ou étranger, un vêtement et un coursier.

-

Savait-on quelque part un noble jeune homme qui, selon la loi de son rang, devait être fait chevalier, on l'invitait à prendre part Et tous prirent ensuite l'épée avec le jeune roi.

à la fête. On pourrait dire merveilles de cette fête. Sigemunt et Sigelint furent comblés d'éloges — pour leur générosité; ils firent de grandes largesses. Aussi l'on vit arriver chez eux beaucoup de chevaliers étrangers.

Quatre cents jeunes guerriers devaient prendre l'habit de chevalier - en même temps que Sifrit. Les jeunes filles étaient infatigables à l'ouvrage; car elles étaient favorables au jeune prince. - Et elles enchâssaient les pierres précieuses dans l'or

Qu'elles travaillaient en broderie sur les vêtements des jeunes et fiers guerriers... 1

Sifrit annonce d'abord l'intention de se rendre à Worms. Là régnait le roi Gunther avec ses deux frères Gernot et Giselher 2.

1.

« Do wuchs in Niderlanden eins edelen küneges kint,

« des vater der hiez Sigemunt, sin muoter Sigelint,

« in einer richen bürge, witen wol bekant,

nidene bi dem Rine: diu was ze Santen genant.

Sivrit was geheizen der snelle degen guot.
er versuochte vil der riche durch ellenthaften muot.
«durh sines libes sterke er reit in menegiu lant.
hei waz er sneller degene sît zen Burgonden vant!
In sinen besten ziten, bî sînen jungen tagen,
<< man möhte michel wunder von Sivride sagen,
awaz éren an im wüchse und wie scone was sin lip.
esit heten in ze minne diu vil wætlichen wip....

(II Aventure, str. 20 et suiv., éd. de K. Bartsch.)

2. Dans le poème sur Walther d'Aquitaine, dont il a été question plus haut, Gunther figure comme roi des Francs; sa résidence est à Worms, comme dans les Nibelungen, et les Burgondes sont établis à Chalon-sur-Saone. On sait que les migrations des Burgondes furent dirigées du nord au midi, le long du Rhin et de La Saône. Le Waltharius se rapporte par conséquent à une tradition plus récente

Parmi les chevaliers de leur suite, on remarquait surtout Hagen, fort, insolent et rusé, et le chanteur Volker, « aussi hardi vielleur <«< que vaillant guerrier ». Sifrit a entendu parler de la belle Krimhilt, sœur du roi. On lui a dit aussi qu'elle repoussait tous les prétendants: cela suffit pour qu'il la désire. A son père, qui cherche à le détourner de son entreprise, il répond : « Que craindrais-je? « Ce que je n'obtiendrai pas du roi par amitié, je pourrai bien le «< conquérir par la force de mon bras. » Il part avec douze chevaliers, se met au service du roi Gunther, et lui assure la victoire dans une guerre contre les Saxons et les Danois. A l'occasion des fêtes données pour le retour de l'armée, Krimhilt paraît pour la première fois à la cour. Elle sort de son appartement, avec son cortège de femmes, «< cent et même plus », splendidement vêtues; cent guerriers, l'épée à la main, marchent derrière elle.

Comme la lune surpasse les étoiles quand sa lumière sort resplendissante des nuages, ainsi Krimhilt surpassait les autres jeunes filles et ce spectacle élevait l'âme des héros.

On voyait marcher devant elles de riches camériers. Les hardis guerriers se pressaient en foule - pour voir son gracieux visage. Mais Sifrit était pénétré à la fois d'inquiétude et de joie.

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Car il pensait en lui-même : « Comment ai-je pu rechercher son amour? C'est une illusion d'enfant que je me fais. - Et pourtant, s'il «fallait m'éloigner d'ici, il me serait plus doux d'être frappé à mort. » Et ces pensées le faisaient tour à tour pâlir et rougir. Le fils de Sigemunt attirait tous les regards, comme s'il avait été peint sur parchemin — par la main d'un maître habile; et tous reconnaissaient que jamais on n'avait vu un si beau chevalier.

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Ceux qui accompagnaient les dames leur firent un chemin milieu des guerriers, qui se retiraient devant elles. On admirait la mine hautaine des guerriers; - on regardait le visage des dames, où la beauté s'unissait à la noblesse.

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Celui qui vous a si

Alors Gernot, le chef des Burgondes, dit : généreusement offert ses services, payez-le de retour, ô mon cher frère Gunther, - devant tous ces chevaliers : je ne rougirai jamais de ce conseil.

« Faites avancer Sifrit vers ma sœur, afin qu'elle le salue ce « sera un bonheur pour nous. Celle par qui jamais guerrier ne fut « salué, qu'elle lui donne la bienvenue, afin que cette vaillante épée nous soit acquise. »

Les parents du roi allèrent trouver le héros, et ils parlèrent ainsi au chevalier du Niderlant Le roi vous invite à sa cour; — il

« veut que sa sœur vous salue; il veut vous faire cet honneur. »

que celle qui sert de base au poème des Nibelungen; mais il est bien entendu que l'âge relatif des traditions ne préjuge en rien l'époque où elles ont été mises par écrit et consignées dans des poèmes.

Sifrit fut heureux de ce message:

la joie et l'amour emplissaient son cœur, — à la pensée qu'il allait voir la belle Krimhilt. Elle le salua avec une noblesse pleine de grâce.

Quand la jeune fille vit Sifrit devant elle, joues. Elle lui dit : ---

une flamme colora ses

Soyez le bienvenu, bon et noble seigneur! » –

Et ces paroles élevèrent l'âme du héros.

C'était un
Ils se

Il s'inclina courtoisement, et elle lui offrit la main. beau spectacle de voir le guerrier à côté de la jeune fille. regardaient avec amitié, mais discrètement et à la dérobée.

Si en ce moment une blanche main fut pressée avec tendresse, je l'ignore; mais je ne puis croire qu'il n'en fût pas ainsi, — car Sifrit voyait que Krimhilt lui voulait du bien.

Ni en la saison d'été ni aux jours de mai âme une joie aussi vive qu'en ce moment, de la jeune fille qu'il désirait avoir pour amie 1.

Sifrit ne sentit en son où il se voyait si près

Pour devenir l'époux de Krimhilt, il faut que Sifrit assiste le roi Gunther dans une nouvelle entreprise, plus périlleuse que l'autre.

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Il était une reine qui habitait au delà des mers; on ne voyait nulle part sa pareille. Elle était merveilleusement belle, et très grande était sa force. Elle luttait au javelot avec les forts guerriers qui demandaient son amour.

Elle jetait au loin un rocher, et, derrière le rocher, elle sautait à une grande distance. Quiconque désirait son amour devait, sans faillir, — vaincre en ces trois exercices la dame de haute naissance : s'il échouait en un seul, il payait sa défaite de sa tête 2.

1.

2.

--

« Sam der lichte mâne vor den sternen stât,

• des scin so lûterliche ab den wolken gât,

« dem stuont si nu geliche vor maneger frouwen guot.

« des wart dâ wol gehohet den zieren heleden der muot.

Die richen kamerære sah man vor in gân.

die hohgemuoten degene die'n wolden daz niht lân, < sine drungen dâ sie sâhen die minneclichen meit.

a Sivride dem herren wart beide lieb unde leit.

f

Er dâhte in sinem muote: wie kunde daz ergân,
daz ich dich minnen solde? daz ist ein tumber wân.
sol aber ich dich vremeden, so wære ich sanfter tôt.
er wart von den gedanken vil dicke bleich unde rot.... »
(Ve Aventure, str. 283 et suiv.)

Ez was ein küneginne gesezzen über sê:

ir geliche enheine man wesse ninder mê.

diu was unmâzen scene, vil michel was ir kraft.

siu scoz mit snellen degenen umbe minne den scaft.

«Den stein warf sin verre, dar nåch siu witen spranc.
swer ir minne gerte, der muose âne wane

driu spil an gewinnen der frouwen wol geborn:

gebrast im an dem einem, er hete daz houbet sin verlorn. »

(Str. 326-327.)

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