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auprès de différents seigneurs de l'Alsace et du Palatinat; il fut longtemps greffier de la ville de Strasbourg. Il eut beaucoup à souffrir de la guerre. Il mourut à Worms, dans un voyage, en 1669, au moment où il se disposait à vivre dans la retraite et à se consacrer entièrement aux lettres. Il était membre de la Société fructifère, sous le nom du Rêveur. Il a écrit un assez grand nombre d'ouvrages en allemand et en latin. S'il marque encore aujourd'hui parmi les écrivains de son temps, c'est par les Visions singulières et véridiques de Philander de Sittewald1. Le modèle de Moscherosch est le satirique espagnol Quevedo. Les sept premières visions ne sont guère que des traductions libres. L'une des plus remarquables, les Fils de l'Enfer, est la reproduction des Écuries de Pluton de Quevedo; c'est un voyage aux sombres demeures, où le poète nous fait assister à un défilé qui rappelle celui de la Nef des Fous de Brandt. Mais le ton est plus incisif, et ce sont les hautes classes qui, dans Moscherosch, forment la principale clientèle du démon : c'étaient elles qu'il rendait surtout responsables de la décadence de l'Allemagne. Les sept dernières visions ont plus d'originalité. Celle qui a pour titre la Danse à la mode fait sentir le ridicule des mœurs et des costumes d'emprunt. Les idées sont les mêmes que chez Logau et chez Lauremberg; mais ce qui appartient en propre à Moscherosch, c'est le cadre fantastique du sujet. Le poète nous transporte au château de Geroldseck, qui couronne un des pittoresques sommets des Vosges. Les ombres des anciens héros lui apparaissent au milieu des ruines. Il est reçu, à l'entrée, par Arioviste, qui, voyant sa mise, sa barbe frisée, sa longue perruque, le prend pour un Français. Cité devant un tribunal, il faut qu'il prouve sa nationalité, et on lui rend la liberté, à la condition expresse qu'il quittera le costume étranger et qu'il ne parlera plus que la pure langue allemande.

Il serait téméraire d'affirmer que Moscherosch ait tenu fidèlement sa promesse. Il s'accuse quelque part d'avoir écrit lui-même en style à la mode, parce que c'était le seul moyen de se faire lire. La pureté qu'il exige d'un auteur allemand ne se rencontre que dans ses dernières Visions. Ce qui est certain, c'est que la

1. Wunderliche und warhafftige Gesichte Philanders von Sittewald, Strasbourg, 1642. Nouvelle édition de F. Bobertag, dans la collection: Deutsche NationalLitteratur, de Kürschner. Sittewald est un anagramme de Wilstædt; Philander devait être la traduction de Jean.

protestation de Moscherosch contre l'invasion des mœurs françaises resta sans effet. Il n'eut même pas tout le succès, toute l'autorité, que lui auraient assurés en d'autres temps son patriotisme et son talent. Le vrai satirique de l'Allemagne, aux yeux des contemporains, ce n'était ni Moscherosch, ni Lauremberg; c'était un recteur de Schleswig, Joachim Rachel, écrivain correct et froid, terne et diffus. Rachel dit expressément qu'on ne saurait être poète sans érudition. Ses modèles sont Perse et Juvénal, mais il ne fait que les délayer et les affadir. Ce qui domine chez lui, c'est le ton abstrait, sèchement didactique. Ses huit satires, peintures générales de l'humanité, n'offrent aucun intérêt pour l'histoire des mœurs. Mais il avait l'approbation des maîtres et une réputation de science, qui lui procurèrent des lecteurs jusqu'au milieu du siècle suivant1.

2.

BALTHASAR SCHUPP.

ABRAHAM A SANTA CLARA.

On peut ranger à la suite de ces satiriques quelques moralistes populaires, animés du même bon sens patriotique, et professant le même dédain pour le pédantisme littéraire. Sans descendre jusqu'aux noms tout à fait secondaires, il faut mentionner deux hommes qui ont aussi leur place dans l'histoire de l'éloquence sacrée ce sont Balthasar Schupp et Abraham a Santa Clara.

Ce fut Balthasar Schupp qui prononça, en 1643, le Sermon pour la paix devant l'assemblée des plénipotentiaires délégués à Munster. Il publia une série de dissertations morales et de discours, où l'on trouve, sous une forme parfois triviale, d'excellentes remarques sur le gouvernement, sur l'éducation, sur les mours. Une des causes de l'infériorité littéraire des Allemands lui parait être la mauvaise organisation des écoles. « Lorsqu'on passe, »> dit-il, « devant une maison où l'un de nos tyrans « scolaires exerce son empire, ubi plus nocet quam docet, on « n'entend que des gémissements on dirait la cour de Phalaris, « l'antre des Furies, plutôt que le temple des Arts. » Il regrette la vieille et bonne langue du peuple, que l'on sacrifie à un latin

1. Joachim Rachel, né en 1618 à Lunden dans le pays des Dithmarses, mourut à Schleswig en 1669. Ses Poésies satiriques parurent en 1661. — - Édition moderne de H. Schroeder: J. Rachels deutsche satyrische Gedichte, Altona, 1828. Monographio de A. Sach; Schleswig, 1869.

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barbare. « Celui qui veut apprendre à bien parler », dit-il, « qu'il << lise la Bible de Luther! » Schupp voudrait faire de l'allemand la langue scientifique et universitaire. Il cite l'exemple de la France, de l'Italie, et il ajoute spirituellement que même en Italie on peut être cardinal sans savoir le latin '.

Abraham a Santa Clara est un esprit moins sérieux que Balthasar Schupp. Son mérite le moins contestable est l'originalité. C'est lui que Schiller a pris pour modèle dans la fameuse capucinade du Camp de Wallenstein. Son vrai nom était Ulric Megerle. Né dans un village de la Souabe méridionale, en 1644, il entra de bonne heure au couvent des Augustins déchaussés de MariaBrunn, et il prêcha avec succès en Autriche et en Bavière. Il devint prédicateur de la cour, sous l'empereur Léopold Ier, et il mourut à Vienne, en 1709. Abraham a Santa Clara fait quelque part cette remarque, que le public s'empresse autour d'un orateur aussi longtemps qu'il entremêle son discours de sentences, de fables, d'anecdotes. Mais que le même orateur se borne à gourmander les vices, et l'église ne sera plus que le quartier des vicilles femmes. Lui-même ne vise que le succès, et celui qu'il obtient le plus souvent n'est pas un succès de larmes. Ses discours et ses traités, écrits en style burlesque, offrent une incroyable accumulation de jeux de mots. Mais on y trouve des portraits qui feraient envie à un auteur comique. Au reste, nul ordre dans la composition. Qu'une idée, une allusion, une plaisanterie se présente à lui, il la suivra jusqu'au bout. Il arrive souvent, après une série de comparaisons, à la conclusion la plus inattendue. Veut-il prouver, par exemple, que les parents doivent corriger leurs enfants, voici comment il procède :

Tous les saints anges me plaisent, à l'exception d'un seul. L'hôte qui nourrissait Daniel dans la fosse était un ange, et il me plaît. Le médecin de Tobie était un ange, et il me plaît. Le messager qui fut député auprès de la Sainte Vierge était un ange, et il me plait. Celui qui apporta son sauf-conduit à Loth était un ange, et il me plait. La sentinelle placée à l'entrée du paradis est un ange, et cet ange me plait. Mais il y a un ange qui ne me plait guère c'est celui qui retint le sabre d'Abraham, le patriarche obéissant, et qui lui cria: Non extende manum tuam super puerum! N'étends pas ta main sur ton enfant, et ne lui fais point de mal! Je sais bien que c'était l'ordre du Très-Haut.

1. Un recueil des écrits de Balthasar Schupp fut public, après sa mort, par son frère Doct. Joh. Balth. Schuppii Schriften, Hanau, 1663. Le traité: Der Freund in der Not, a été republié par W. Braune; Halle, 1878.

Mais lorsqu'un père, une mère, portera la verge sur son enfant, je suis bien sûr qu'aucun ange ne retiendra le coup. Au contraire, tous les anges l'encourageront par des paroles sévères: Extende manum tuam super puerum! Étends ta main sur ton enfant!

La terre est stérile et ne produit que des chardons, aussi longtemps que le soc tranchant ne l'a point traversée la jeunesse ne prospère que sous un régime tranchant...

Le fer qui sort de la mine a besoin d'être amolli sous le marteau : la jeunesse se gâte lorsqu'on lui ménage les coups...

Comment Clément d'Alexandrie appelle-t-il les enfants? Flores matrimonii, les fleurs du mariage. Mais il faut entourer les fleurs d'une cloison faite de bâtons et de verges: autrement les porcs marchent dessus...

Il faut s'arrêter, quoique la verve de frère Abraham soit loin d'être épuisée. Mais quand on réfléchit que c'était là le genre d'éloquence qui plaisait à la cour de Léopold Ier, à une époque où Bossuet, Fénelon et Bourdaloue prêchaient devant Louis XIV, on est frappé de la distance qui séparait, au point de vue de la civilisation et du goût, l'Allemagne de la France.

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I. « Alle heilige Engel gefallen mir wol, einen aussgenommen. Der Kostherr « des Daniel war ein Engel, der gefallt mir wol. Der Artzt des Tobia war ein Engel, der gefallt mir wol. Der Abgesandte der Mutter Gottes war ein Engel, der gefallt mir wol. Dess Loths sein. Salvo-Conduct war ein Engel, der gefallt mir wol. Die Schildwacht vor dem Paradiess ist ein Engel, der gefallt mir wol. Aber « einer wil mir schier nit gefallen, der jenige, welcher dem gehorsamen Patriar«chen Abraham in den Sabel gefallen und auffgeschryen: Non extende... »

Ce passage est tiré cu plus important des romans didactiques d'Abraham a Santa Clara, intitulé Judas le maitre-coquin (Judas der Ertz-Schelm, 4 vol., Salzbourg, 1686-1695). Un choix de ce roman a été donné par F. Bobertag, dans la collection Kürschner. Œuvres complètes, 21 vol., Passau et Lindau, 1835-1854. sulter Karajan, Abraham a Santa Clara, Vienne, 1867.

A con

CHAPITRE VI

LES ROMANCIERS

1. Le roman sentimental. Succès de l'Amadis; imitations et protestations. Romans traduits du français, de l'espagnol, de l'italien, de l'anglais; romans bibliques. 2. Le roman didactique. L'histoire et la géographie sous forme de romans. Les Robinsonades. · 3. Le roman picaresque. Le Simplicissimus, tableau de l'Allemagne au temps de la guerre de Trente Ans.

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Un des genres littéraires que les satiriques poursuivaient de leurs sarcasmes, ce sont ces longs récits dont le moindre défaut était l'invraisemblance, et qui, comme aux beaux temps de la féodalité, défrayaient les loisirs de la société élégante. La grande vogue de l'Amadis était passée dans le reste de l'Europe, qu'elle durait encore en Allemagne. C'était la dernière forme de la littérature chevaleresque, où la chevalerie n'était plus qu'un raffinement de galanterie, et qui devait aboutir, par une série de transformations, au roman sentimental du XVIe siècle.

L'Amadis avait pris la place de ces petits contes en prose et en vers où la verve bourgeoise du XVe siècle s'était déployée avec tant d'originalité. On en avait fait une sorte de guide du bon ton et du beau langage. On en extrayait des lettres et des discours; et on l'admirait d'autant plus qu'on lui attribuait une origine française. C'était surtout la lecture des femmes. Brantôme avait

1. Il faudrait dire Amadis de Galles, et non de Gaule. La plupart des localités dénotent clairement une origine galloise. Il est vrai que c'est surtout par la version française d'Herberay des Essarts (Paris, 1540-1548) que le roman s'est répandu en Europe. La première traduction allemande de l'Amadis parut à Francfort-sur-le-Mein, en 1583. Dix ans après fut publié à Strasbourg un Arsenal de discours, lettres et dialogues, tirés de l'Amadis.

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