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amoureuse de son Jésus 1. Mais sa théologie est surtout contenue dans ses six livres de sentences en vers alexandrins, intitulés le Pèlerin angélique 2. Ici la rêverie panthéiste atteint ses dernières limites. Non seulement l'homme ne vit qu'en Dieu, mais Dieu lui-même n'existe que par le lien d'amour qui l'unit à la créature. «< La rose que contemple ton œil mortel a fleuri de << toute éternité en Dieu. Je suis aussi grand que Dieu, il « est aussi petit que moi; il ne peut être au-dessus de moi, je « ne puis être au-dessous de lui. Je suis aussi riche que Dieu; « il n'y a pas en moi un atome qui ne me soit commun avec « lui. Je sais que, sans moi, Dieu ne saurait vivre un instant; si je cessais d'être, il s'évanouirait aussitôt. » La vraie condition du bonheur, d'après Angelus Silesius, c'est le repos absolu. Ne plus agir, ne plus vouloir, ne plus désirer même, ouvrir son âme au rayonnement de l'amour divin, tel est le but idéal de la vie. Une telle doctrine, quelles que fussent ses conséquences morales, péchait au point de vue de l'art par la monotonie des aperçus. La faculté poétique se perdait, comme toutes les énergies vitales, dans le vague de la contemplation infinie.

L'influence d'Angelus Silesius et de Frédéric Spee se prolongea jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, et s'étendit même sur la littérature protestante, sans qu'on puisse dire qu'elle fût véritablement féconde. Knorr de Rosenroth, un contemporain d'Angelus Silesius, qui mêla l'alchimie à la théologie, est l'auteur d'un Nouvel Hélicon 3; il sait quelquefois être naturel, lorsqu'il se sépare de ses premiers maîtres. Dans Rosenroth, qui fut conseiller et ministre, l'homme du monde tempérait le mystique : Quirinus Kuhlmann, nature plus ardente, se fit l'apôtre d'un nouveau christianisme, qu'il prêcha par toute l'Europe, et auquel il voulait attacher son nom; il fut brûlé vif à Moscou, en 1689. Il n'avait que treize ans, dit-on, lorsqu'il écrivit ses Baisers célestes“. Il y ajouta plus tard beaucoup d'autres poésies. Pour le comprendre, il fallait d'abord, disait-il, se pénétrer de sa doctrine:

1. Heilige Seelen-Lust, oder geistliche Hirten-Lieder der in ihren Jesum verliebten Psyche, Breslau, 1657. Édition

2. Johannis Angeli Silesii Cherubinischer Wandersmann, Glatz, 1674. moderne des poésies complètes de Jean Scheffler, par A. Rosenthal; 2 vol., Ratisbonne, 1862. — Nouvelle éd., par G. Ellinger; Halle, 1895.

3. Neuer Helicon mit seinen Neun Musen, das ist: Geistliche Sitten-Lieder; Nuremberg, 1684.

4.Himmlische Lieboy-Küsse, Ióna, 1671

c'était trop exiger. Enfin tout ce résidu d'idées mystiques, du moins ce qu'elles avaient d'intelligible, se déposa dans les chants des frères moraves, dont le comte de Zinzendorf fut à la fois le législateur et le principal poète.

3. DERNIERS POÈTES RELIGIEUX DU SIÈCLE.

Entre les influences contraires de la rêverie mystique et de la sécheresse orthodoxe, la grande tradition de Luther et de Gerhardt se continuait, tout en s'affaiblissant. Jean Franck, conseiller et ensuite bourgmestre à Guben dans la Basse-Lusace, se rapproche le plus de la manière de Gerhardt; mais ce n'est en somme qu'un poète estimable, qui a laissé quelques strophes dans la liturgie. Joachim Neander, de Brême, qu'on a appelé le Gerhardt de l'Église réformée, manque de souffle; il a cependant le mouvement mélodique qui caractérise la poésie populaire. Dans Benjamin Schmolck, premier prédicateur à Schweidnitz, qui marque la fin de la période (il mourut en 1737), le style est tantôt déclamatoire, tantôt tout à fait prosaïque. Ses nombreux recueils (il composa plus d'un millier de cantiques) eurent néanmoins un immense succès, et circulent encore aujourd'hui comme livres d'édification. Sans être un grand écrivain, Schmolck eut le talent d'exprimer avec une certaine chaleur les vérités les plus simples et les plus pratiques de la religion. Et ce fut là le vrai rôle de tous ces poètes ils surent parler au cœur du peuple. Ils surent entretenir dans la masse illettrée ce fonds de sentiments naïfs et de pensées austères qui dura jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, jusqu'au moment où Klopstock reprit et ranima dans la littérature allemande la tradition religieuse inaugurée par la Réforme. Si toutes les éditions de Paul Gerhardt étaient perdues, ses meilleures inspirations se retrouveraient encore dans ces recueils de cantiques qui se chantent à l'église, qui se lisent dans la maison, et qui, dans les bibliothèques de famille, ont leur place marquée à côté de la Bible de Luther.

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CHAPITRE IV

LA SECONDE ÉCOLE DE SILÉSIE

Nouvelle forme de l'imitation; recherche des ornements du style.

1. Les fausses grâces de Hofmann de Hofmannswaldau. 2. Gaspard de Lohenstein; ses drames ampoulės; son roman d'Arminius et Thusnelda. - 3. Jean-Christian Günther; sa courte carrière; franchise de sa poésie.

Ce groupe plus ou moins homogène qu'on appelle communément la seconde école de Silésie partage le sort de tous les prolongements d'école. Les principes se faussent ou s'exagèrent. L'impulsion se ralentit et se divise. Les esprits indépendants se séparent. En un mot, tout se prépare pour des groupements

nouveaux.

Le principe fondamental, pour tout poète silésien, restait l'imitation. Le point de départ était toujours la poétique d'Opitz; mais on pensa que le moment était venu de faire un pas de plus pour se rapprocher des modèles étrangers. On n'avait cherché longtemps que la correction: ne fallait-il pas enfin y ajouter l'élégance, la noblesse, la grâce, toutes les qualités qui constituent l'ornement du style? On avait le nécessaire, on demanda le superflu. C'est en ce sens que les deux écrivains qui sont considérés comme les chefs de la seconde école de Silésie, Hofmannswaldau et Lohenstein, tentèrent de compléter le système d'Opitz. Le résultat ne fut pas précisément celui que l'on espérait. Au lieu de la grâce et de la noblesse qu'on cherchait, on ne trouva le plus souvent que l'affectation et l'enflure.

Ce qui rendait aussi toute réforme difficile, c'étaient les préventions que l'on nourrissait encore, même dans les classes cultivées, contre la littérature pure. Un cantique religieux avait son prix, parce qu'il servait au culte public ou à l'édification privée. Mais

une œuvre profane devait se justifier au moins par une intention didactique. Le poète n'était tout à fait estimé que lorsqu'il était doublé d'un moraliste ou d'un savant; et c'était déjà faire preuve de science que de pouvoir transcrire en allemand un chef-d'œuvre des littératures anciennes ou étrangères.

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Hofmann de Hofmannswaldau, né à Breslau en 1618, membre du conseil de sa ville natale, homme d'État dans sa petite sphère, commença par traduire le Pastor fido de Guarini et le Traité de l'immortalité de l'âme ou la Mort de Socrate de Théophile, paraphrase du Phedon de Platon en prose et en vers. Il ne publia ses Traductions et Poésies que fort tard, en 1673, six ans avant sa mort, parce qu'on les gâtait, dit-il, dans des contrefaçons 1. Dans ses poésies, il prit d'abord Opitz pour modèle. Il l'avait connu à Dantzig pendant ses voyages, et la correction du maître lui parut suffisante jusqu'au jour où la lecture des poètes latins, français, italiens, lui fit comprendre ce que c'était qu'une <«< invention ingénieuse, une épithète frappante, une description « agréable, une fine allusion », bref, toutes ces choses dans lesquelles il fit consister désormais l'art d'écrire. Le premier, il composa des héroïdes en langue allemande, un genre qu'il imita d'Ovide, et dans lequel il trouva beaucoup de successeurs. « Je <«< sais bien, » dit-il dans sa préface, « que la poésie a pour objet de « décrire tous les mouvements de l'àme; mais il me semble que la « poésie, qui est une étrangère partout, n'est réellement chez elle « que dans le domaine de l'amour. Enlevez à la poésie l'amour, « et vous lui arracherez le cœur. Enlevez à l'amour la poésie, et « vous la chasserez de son paradis. » Mais les mouvements de l'âme ne sont, pour Hofmannswaldau, que les tressaillements de la volupté. Il a beau enjoliver sa phrase par des épithètes qui étaient déjà des lieux communs en France et en Italie, et qui ne tardèrent pas à le devenir en Allemagne; le fond est ordinairement banal, et quelquefois repoussant. Hofmannswaldau n'était

1. Deutsche Uebersetzungen und Getichte, Breslau, 1673. Il garda par devers lui les poésies érotiques (Lustgedichte), qui furent comprises plus tard dans un recueil des poètes silésiens fait par Neukirch Leipzig, 1695-1727). Ces poésies forment, du reste, un parfait contraste avec sa vie, qui, d'après tous les témoignages contemporains, fut des plus correctes; c'étaient de purs jeux d'esprit, ou des caprices d'une imagination dévoyée.

qu'un disciple d'Opitz, à qui manquait le sage discernement du maître. On apprend à être correct, mais la grâce est un don de la nature; et les fleurs fanées dont les derniers poètes silésiens ornèrent leur style ne servirent qu'à montrer la pauvreté de leur imagination.

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Hofmannswaldau avait cherché la grâce et l'éclat; son comJatriote Daniel-Gaspard de Lohenstein voulut atteindre au style oble. Né à Nimptsch en Silésie, en 1635, il fut, à partir de 1670, adic de la ville de Breslau, où il mourut en 1683. Il déclare, ans une préface, que la poésie n'a jamais été pour lui qu'un Classement. Il avait composé cependant, dès l'âge de quinze ans, une tragédie intitulée Ibrahim Bassa, et il publia plus tard une Sophonisbe, une Cléopâtre, une Agrippine, une Epicharis. Il ne paraît pas s'être soucié beaucoup de la conduite de l'action, ni de la peinture des caractères; son unique préoccupation était de frapper par de grands effets. Personne n'a jamais accumulé autant horreurs sur le théâtre. Dans Épicharis, où la jeunesse romaine essaye de renverser Néron pour porter Sénèque à l'empire, les conjurés boivent du sang pour s'exciter au meurtre. On leur applique la torture, avant de les mettre à mort. Épicharis s'évaouit plusieurs fois entre les mains des bourreaux, et s'étrangle tafin. Dans Agrippine, on voit Othon offrir sa femme à Néron, t Agrippine, pour combattre l'influence d'Othon, s'offrir ellemême à son fils; la scène est longue, et l'expression n'est jamais voilée. Les souvenirs d'une guerre acharnée avaient-ils perverti le goût du public, au point de lui faire aimer de pareils spectacles? On serait presque tenté de croire que les tragédies de Lohenstein n'étaient que des jeux d'esprit; car il accompagne chaque scène de notes et de citations, parfois nécessaires pour l'intelligence du texte, mais toujours destinées à faire briller l'érudition de fauteur. Il publia, en 1680, ses poésies légères sous le titre de Fleurs; la collection comprenait des Roses, ou héroïdes et épithaJames; des Jacinthes, ou odes funéraires; et des Primevères (en allemand Himmelschlüssel, ou clefs du ciel), c'est-à-dire des poésies religieuses'. Lohenstein entreprit enfin un roman sur

1. Blumen, dans un recueil général de ses oeuvres poétiques, comprenant aussi ses drames: Trauer- und Lustgedichte, Breslau, 1680.

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