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à toutes les formes : il est universel, parce qu'il n'est jamais laimême. Opitz, ayant traduit les Troyennes de Sénèque, composa lui-même une tragédie sur Judith, et, pendant son travail, comme pour avoir un appui constant sous la main, il traduisit encore l'Antigone de Sophocle. Dans ses poèmes champêtres, il essaya de prendre une certaine indépendance, en s'inspirant des souvenirs de son pays natal; mais ses descriptions devinrent fastidieuses, à force d'être détaillées. Une éruption du Vésuve ayant eu lieu en 1633, il voulut chanter ce phénomène; mais il prit d'abord des renseignements si exacts, et il en profita si bien, qu'il fut obligé de joindre un commentaire à son poème. Ce poème n'en fut que plus admiré. Les qualités d'Opitz, la clarté et la netteté du style, frappaient par leur nouveauté, et ses défauts répondaient aux préjugés du temps: c'est ce qui explique son succès. Au reste, son érudition classique et ses relations à l'étranger lui donnaient de la considération. Opitz n'est pas un de ces hommes qui renouvellent le fonds moral et intellectuel d'une nation; mais il créa un public, et il fit honorer les gens de lettres c'est le grand service qu'il rendit à la littérature.

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Parmi toutes les voix qui s'élevèrent, à la mort d'Opitz, pour lui prédire l'immortalité, on remarqua celle d'un jeune poète qui voyageait alors aux confins de l'Europe et de l'Asie : c'était Paul Fleming. « Toi aussi, » disait-il dans un sonnet, « tu vas << prendre ta place aux Champs-Élysées, toi le Pindare, l'Homère « et le Virgile de notre temps. Tu te mêleras au groupe de ces « grands hommes, dont le génie a passé dans le tien. » La postérité n'a pas ratifié les éloges de Fleming; elle n'y a vu que le témoignage d'une reconnaissance d'autant plus touchante que le disciple, s'il avait vécu, aurait sans doute éclipsé la gloire du maître.

Tout en se rattachant à l'école de Silésie, Fleming appartient par sa naissance à cette partie montagneuse de la Saxe qu'on appelle le Vogtland. Fils d'un pasteur protestant, il reçut sa première instruction dans la maison de son père. Il se rendit ensuite à l'université de Leipzig, pour étudier la médecine. Unir, comme il dit, l'art du chant à celui de la guérison, fut dès lors le but

de sa vie. Ses vers latins et allemands lui valurent, tout jeune, la couronne poétique récompense rare autrefois, mais qui se prodiguait depuis l'institution des académies. En 1633, la ville de Leipzig fut pillée par les troupes impériales, et la peste s'y déclara. Fleming, avec quelques amis, se réfugia dans le Nord. Il se fit adjoindre à une ambassade que le duc de Holstein envoyait en Russie et en Perse pour y nouer des relations commerciales. Il eut pour compagnon de voyage le savant Olearius, qui a fait un récit piquant de leurs aventures 1. La mission échoua, par l'inhabileté et la mauvaise foi du chef, et les voyageurs revinrent à travers mille dangers. Fleming mourut peu après, en 1640, à l'âge de trente et un ans, au moment où il allait se marier avec la fille d'un négociant de Revel; et ses poésies, dispersées entre les mains de ses amis, furent recueillies par les soins d'Olearius et du père de sa fiancée.

Enlevé en pleine maturité, Fleming ne put donner la vraie mesure de son talent. Les négligences et les obscurités qui déparent ses écrits auraient sans doute disparu, s'il avait pu y mettre la dernière main. Mais ce fut du moins un bonheur pour lui, dans sa courte carrière, d'avoir été soustrait aux influences qui auraient pu nuire à son originalité. Il fut d'abord complètement sous la dépendance d'Opitz. Il tremblait, dans sa jeunesse, à l'idée qu'un de ses essais passerait sous l'œil du maître, et il se montra fier d'un éloge banal qu'il reçut de lui 3. Dans la préface d'un recueil de psaumes, sa première et presque unique publication, il exprime l'espoir que le lecteur lui pardonnera ses fautes, «sachant bien qu'il n'a pas devant lui le prince des poètes, mais <«<le dernier de ses disciples ». Néanmoins le disciple avait déjà

1. La relation de voyage d'Olearius, publiée d'abord à Schleswig en 1647, fut plusieurs fois réimprimée au XVIIe siècle, et traduite en anglais et en hollandais. Elle se lit encore aujourd'hui avec intérêt. On y trouve un grand nombre de poésies de Fleming. Olearius eut le premier l'idée de faire connaître en Allemagne les littératures de l'Orient. Il traduisit le Gulistan de Saadi, auquel il joignit comme appendices des fables de Lokman et un recueil de proverbes arabes.

2. Paul Flemings Teutsche Poemata, Lubeck, 1642. Édition moderne de Lappenberg: Paul Flemings Deutsche Gedichte, Stuttgard. 1865. Choix, par Tittmann (Leipzig, 1880), et par Esterley (collection Kürschner).

3. Fleming ayant pris pour devise Festina lente, Opitz lui adressa ce distique :

«Nil video quo te tardum credamus, amice:

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Fleming publia encore, l'année suivante, une suite de poć

4. Leipzig, 1631.

sies sur la Passion du Sauveur.

une manière à lui, dans laquelle il ne fit que se fortifier plus tard. La phrase de Fleming est moins nette et moins unie que celle d'Opitz; mais elle est plus nourrie; elle a moins de vides. Le vers, chez lui, est plein et sonore. Dans l'alexandrin, cette forme réputée difficile et qui était la pierre de touche d'un poète silésien, il semble rechercher l'enjambement, qu'Opitz évitait avec soin. Le premier en Allemagne, il sut faire des sonnets sans dureté. Il imita plutôt les Italiens que les Français; il leur emprunta le goût des concetti et une certaine enflure de style qui ne dépare pas sa poésie, naturellement effervescente et jeune. Mais le besoin de traduire les impressions multiples de sa vie lui donna de bonne heure une originalité qui manque aux autres poètes de l'école. Il n'attend pas qu'une lecture échauffe sa verve; il trouve en lui-même et dans le spectacle du monde une matière suffisante pour ses chants. Un grand nombre de ses poésies sont composées pendant son voyage. L'idée de cette alliance offerte par un prince allemand à des contrées inconnues exalte son imagination. Il a des touches brillantes pour peindre les scènes variées d'un climat nouveau; mais il est, en général, sobre de descriptions. Ses meilleures pages lui sont inspirées par le souvenir des lieux qu'il a quittés. Un jour, il écrit du fond de la Circassie :

--

Que ne puis-je encore une fois me rafraichir à tes ondes fortunées, ô beau fleuve de la Mulda, - qui coules si paisible à l'ombre des collines buissonneuses, là où mon village de Hartenstein m'offrit le premier baiser! Quoique je ne fusse qu'un enfant lorsque le sort m'arracha de ton sein caressant, je me souviens encore des jours où je m'ébattais joyeusement dans tes flots; et bien souvent mes rêves me reportent sur ton rivage. Ce serait un soulagement pour moi, peut-être une gloire pour toi-même, si je pouvais, d'après les règles de l'art qui embellit toute chose, faire entendre un chant nouveau; non point en l'honneur de Mars, devant qui, Dieu merci,

tu as cessé de trembler; mais un chant calme et reposé, paisible et doux, comme notre Virgile les répète sur les rives de la Bober; un chant où il y eût un peu de ciel, un certain goût de la divinitė, et qui fut capable de ranimer les cœurs1...

1.

« Ach! dass ich mich einmal doch wieder solt' erfrischen
« An deiner reichen Lust, du edler Mulden-Fluss,

« Der du so sanfte gehst in bergichten Gepüschen,

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Da, da mein Hartenstein mir bot den ersten Kuss.

Wie jung, wie klein ich auch ward jener Zeit genommen
« Aus deiner süssen Schoss, so fällt mirs doch noch ein,

« Wie oft ich lustig hab' in deiner Flut geschwommen;

N'en déplaise à Fleming, la voix du poète de Boberfeld n'ouvrait pas tant d'échappées vers le ciel. Ce n'est pas Opitz non plus qui aurait adressé à ses compatriotes cette mâle réprimande :

Enfin la menace s'accomplit, et l'on tombe sur nous sans pitié. Où est notre courage, — notre cœur d'airain, notre sang guerrier? Nos vaines fanfaronnades ne feront pas tomber un seul Hongrois. Nos panaches et nos galons, nos enseignes dorées, n'effrayent pas le Croate. Nous avons belle apparence: je parle de l'apparence qui ne sert à rien pour le combat. O nous, les plus lâches guerriers que le soleil éclaire!

Pourquoi tant nous agiter, et produire nos armures qui pèsent à nos corps amollis? Les casques des pères sont trop grands pour

les fils.

Notre épée est notre honte. Aucun de nos hommes n'est un homme. Nous sommes des forts sur la mine, et c'en est fait de nous. - Nous ne sommes plus Germains que de nom je le dis à ma propre honte1.

Il faut remonter jusqu'à Walter de la Vogelweide pour trouver une telle énergie de pensée et de style. Paul Fleming était peutêtre le seul écrivain de son temps qui fût capable de rendre à la poésie allemande une partie de l'éclat qu'elle avait eu au XIIIe siècle. Malheureusement, il n'eut presque aucune influence. Son génie ne fut pas reconnu de ses contemporains; c'est à peine

1.

<< Mir traumet ofte noch, als solt' ich um dich sein.

« Itzt wolt' ich mir erst Lust und dir Ergötzung schaffen,
« Indem ich nach der Kunst, die mich und dich erhebt,

• Ein unerhörtes Lied, nicht von Gradivus Waffen,

« Für dem du nun, Gott lob, itzund hast ausgebebt,
Ein Lied von stiller Ruh' und sanftem Leben spielte,
« Wie unser Maro itzt bey seinem Bober thut,
Ein Lied, das Himmel hätt' und etwas solches fühlte,

Das nach der Gottheit schmeck' und rege Muth und Blut... »

• Itzt fallt man ins Confect, in unsre vollen Schalen,

« Wie man uns längst gedräut. Wo ist nun unser Muth?

« Der ausgestählte Sinn? das kriegerische Blut?

«Es fällt kein Unger nicht von unserm eiteln pralen.

Kein Pusch, kein Schützen-Rock, kein buntes Fahnenmalen

« Schreckt den Krabaten ab. Das ansehn ist sehr gut,

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Das ansehn mein' ch nur, das nichts zum schlagen thut,

«Wir feigsten Krieger wir, die Phōbus kan bestrahlen.

• Was angsten wir uns doch und legen Rüstung an,

Die doch der weiche Leib nicht um sich leiden kan ?

« Des grossen Vaters Helm ist viel zu weit dem Sohne!
Der Degen schändet ihn! Wir Männer ohne Mann,
«Wir starcken auf den Schein, so ist's um uns gethan,

Uns Nahmens-Deutsche nur! Ich sag's auch mir zum Hohne. »>

si on osait le mettre à côté d'Opitz. On avait pris l'habitude de ne juger une œuvre poétique que d'après une certaine perfection extérieure et pour ainsi dire mathématique. On pardonnait plutôt une pensée faible ou un sentiment faux qu'une syllabe mal cadencée. Ce n'est que vers la fin du siècle qu'un historien de la littérature, Daniel Morhof, s'éleva contre l'opinion reçue. Après avoir payé son tribut d'hommages à Opitz, il continuait : «Je crois que la poésie allemande s'est élevée encore plus haut « avec Fleming. En vérité, je trouve en lui un esprit incompa<«<rable, qui tire sa force de lui-même, plutôt que de l'imitation « étrangère. C'est lui que nous pourrions opposer aux Italiens et << aux Français; et si quelqu'un était fait pour écrire chez nous << un long poème, comme celui du Tasse ou de l'Arioste, c'était << Fleming plutôt que tout autre 1. »

3. POÈTES SECONDAIRES.

Aux yeux des contemporains, l'école silésienne se complétait par quelques disciples qui, tout près du maître, travaillaient sous sa direction, et par quelques ramifications lointaines. Zincgref, après avoir publié les œuvres d'Opitz, s'essayait lui-même à composer des chansons et des sonnets. André Tscherning continuait la tradition de l'école en s'exerçant dans les mètres antiques. Comme il était né à Bunzlau, on pensait que la Muse lui avait souri; mais le « second Opitz » était encore moins poète que le premier. Buchner enseignait la théorie à l'université de Wittemberg et suscitait un petit mouvement poétique chez quelques-uns de ses auditeurs 2. Au loin, les sociétés littéraires appliquaient les idées d'Opitz; et quand par hasard elles s'en écartaient, ce n'était point pour les corriger. Philippe de Zesen, à Hambourg, gåtait un beau talent par des bizarreries de langage. A Nuremberg, Harsdorffer et Sigismond de Birken et leurs disciples cherchaient l'harmonie imitative, ou se livraient à des jeux plus puérils encore. On en était venu, chez les Bergers de la Pegnitz, jusqu'à

1. Unterricht von der deutschen Sprache und Poesie, Kiel, 1682. C'est le premier essai d'une histoire générale de la littérature allemande.

2. Ses cours ont été publiés après sa mort (Poeterey, Wittemberg, 1665). Schoch, Schirmer, Lund, furent ses élèves. Le dernier ne manque pas d'une certaine originalité dans ses poésies lyriques.

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