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Tout le cantique, qui est fort long, n'est qu'une exposition du dogme de la justification par la foi; mais le sentiment religieux s'y exprime avec sincérité, et le style n'est pas sans poésie. Malheureusement, Paul Speratus eut des successeurs qui traitèrent le même genre de sujets avec la froideur pédantesque d'une discussion d'école.

Le cantique religieux n'exigeait pas, à vrai dire, de l'originalité. Il semble même que le premier devoir du poète fût de s'oublier et de s'effacer complètement. Son but n'était-il pas de prêter une voix à la communauté, d'exprimer des sentiments qui étaient dans tous les cœurs? Il y eut cependant des auteurs qui, dans un genre si peu propice aux qualités individuelles, se firent une place à part. Tel fut Nicolas Hermann, chantre et instituteur à Joachimsthal en Bohême. Il ne publia qu'un an avant sa mort, en 1560, ses Évangiles en cantiques 1, et il les dédia « à ses chers enfants de Joachimsthal ». Il y règne un grand charme de naïveté. C'est le bégaiement de l'enfance, qui, s'unissant à l'émotion pieuse, produit l'effet poétique par les moyens les plus simples et les plus naturels. Les sujets sont empruntés aux fêtes de l'église ou de l'école, ou à la vie de tous les jours, comme dans cette Prière du soir :

Les rayons du soleil sont éteints;

la sombre nuit s'empare de la

Ne nous

terre. Luis sur nous, Seigneur Jésus, ô vraie Lumière! laisse pas tâtonner dans les ténèbres. Nous te louons: tu nous as, tout le jour, sauvés du mal et préservés du danger. - Tu as mis tes anges pour nous garder,

grâce et ta bonté paternelle.

Les offenses que nous avons commises envers toi, ta miséricorde,

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et ne les venge pas sur nos âmes.

dormir et reposer en paix 2.

dans ta

efface-les par Laisse-nous

Le cantique avait parcouru, depuis Luther jusqu'à Nicolas Hermann, toutes les nuances du sentiment religieux. Il déclina rapidement dans la seconde moitié du siècle. Il suivit les écarts de la théologie protestante elle-même, et tomba tour à tour dans le pédantisme et dans l'afféterie mystique. Quelques auteurs

1. Die Sontags Evangelia über das gantze Jar, in Gesenge verfasset, Wittemberg, 1566.

2.

« Herunter ist der Sonnen schein,

« die finstre nacht bricht starck herein:
leucht uns, Herr Christ, du wares licht,
«lass uns im finstern tappen nicht... »

essayèrent encore de continuer la tradition des réformateurs. Henri Knaust montra une aptitude spéciale à transformer des chansons profanes, pour la plupart composées par lui-même, en cantiques religieux il changeait les paroles, en gardant les mélodies. Barthélemy Ringwaldt paraphrasa les Psaumes et les Évangiles, dans un style correct, mais sans couleur. Enfin Valentin Andreæ, l'un des hommes les plus instruits de son temps, sachant le français, l'italien et l'espagnol, se délassait de ses ouvrages latins par des poésies et des cantiques en langue vulgaire. Avec lui, nous entrons déjà dans le xvIIe siècle 1. Si l'on embrasse d'un coup d'œil tout le développement du chant religieux, on ne peut s'empêcher d'y reconnaître un vrai mouvement national. Des hommes à peine lettrés ont été tirés de l'oubli par quelques strophes éloquentes, et, à côté d'eux, on rencontre les plus grands écrivains de l'époque. Nous connaissons déjà Luther: il faut nommer après lui un des principaux représentants de la poésie allemande au xvIe siècle, Hans Sachs.

1. Ringwaldt et Andres furent surtout des poètes didactiques. Le premier, dans l'Admonestation chrétienne du fidèle Eckart (Christliche Warnung des trewen Eckarts, Francfort-sur-l'Oder, 1588), donne une description de l'autre monde, qui ne rappelle en rien la Divine Comédie. La Pure Vérité, du même auteur (Die Laue ter Warheit, Erfurt, 1585), est un manuel de la vie chrétienne, en même temps qu'une satire des mœurs du siècle. - Sur Andreæ, voir Herder, Andenken an einige ältere deutsche Dichter.

CHAPITRE V

HANS SACHS

Ilans Sachs continue la poésie bourgeoise du xv° siècle; son rôle dans la littérature allemande. Son caractère; diversité de son œuvre. Ses rapports avec la Réforme.

On considère généralement Hans Sachs comme le plus grand des maîtres chanteurs. Il appartient, en effet, à ce groupe d'artisans poètes, mais il s'en sépare aussi pour une partie considérable de ses ouvrages. Il est l'héritier direct de cette poésie du XVe siècle qui cherchait moins à plaire qu'à instruire, la seule que l'on comprit encore après que la tradition chevaleresque fut éteinte. Hans Sachs a tout le naturel, toute la saine franchise de cette poésie; il en a aussi la rudesse et les fastidieuses longueurs. Mais son action aurait été moins étendue, s'il n'avait été qu'un maître chanteur. Il faut dire, à l'éloge de Hans Sachs, que sa renommée a grandi toutes les fois que la littérature allemande est revenue à ses vraies sources. Négligé et presque oublié au XVIIe siècle, il a été remis en honneur par Herder et Goethe. Il donne la main, par-dessus les deux écoles de Silésie, à Bodmer et à Klopstock, et l'on peut, sans exagérer sa valeur comme poète, lui assigner une place dans la série des écrivains qui représentent la grande tradition nationale.

Né le 5 novembre 1494, fils d'un tailleur de Nuremberg, Hans Sachs suivit pendant sept ans l'école latine de cette ville. Il ne reçut jamais que cette instruction élémentaire, qu'il compléta plus tard par une immense lecture. Comme il fallait appartenir à une corporation, il choisit celle des cordonniers. Il apprit en même temps l'art du chant : ce fut pour lui comme un autre

métier, et, quand il eut fini son double apprentissage, il voyagea. Il parcourut le Midi et le Nord de l'Allemagne, et, au retour, il s'établit dans sa ville natale. Tout ce qu'il voyait, tout ce qu'il lisait, tout ce qu'il entendait dire, devenait pour lui matière à poésie. Il composait des chants de maîtrise pour l'école, et des pièces rimées de tout genre pour le peuple non initié aux mystères de la tablature. Il traduisait les impressions qu'il recevait du monde extérieur, sans y rien ajouter, heureux de produire, et jouissant de ses faciles succès. Ce qui étonne, c'est la quantité innombrable de sujets qu'il effleura tour à tour. Il fit plusieurs fois la revue de ses œuvres. A la fin de l'année 1554, il trouva qu'il avait déjà composé 3848 chants de maître en 244 tons différents, sans compter 133 comédies, 530 discours et dialogues, et un grand nombre de pièces diverses. Il pensa qu'il avait le droit de se reposer. Mais la Muse, dit-il, lui apparut en songe, lui reprocha son infidélité, lui promit de l'inspirer encore, et il continua d'écrire. Il mourut le 19 janvier 1576. Ses facultés ne s'affaiblirent que dans les dernières années de sa vie. Son disciple Puschmann nous le montre frappé de surdité, suppléant par la lecture à la conversation, entouré de gros livres à fermoirs d'acier, et saluant encore d'un faible mouvement de tête ses amis qui venaient le voir.

Hans Sachs copia lui-même tous ses ouvrages en trente-quatre volumes in-folio, dont vingt nous ont été conservés. Il en fit imprimer une partie à Nuremberg, de 1558 à 1561, en trois volumes in-folio, auxquels deux autres s'ajoutèrent après sa mort, en 1578 et 1579. Mais cette édition était loin de contenir tout ce qu'il avait composé. On y trouve des chants religieux et profanes, des contes, des légendes, des récits historiques, des fables et des sentences, des dialogues, des dissertations morales, des drames sérieux et comiques, enfin un grand nombre de pièces qui ne peuvent être classées dans aucun genre, simples traductions des poètes, des historiens et des moralistes anciens et modernes. Tous ces ouvrages sont écrits en vers 1.

Hans Sachs, qui marque la dernière période et déjà même le déclin de la poésie des Meistersänger, résume encore une fois

1. Édition moderne de A. Keller et E. Goetze, 22 vol., Tubingue, 1870-1894. - Choix, par Godeke et Tittmann, 3 vol., Leipzig, 1870-1871. A consulter: Ch. Schweitzer, Etude sur la vie et les œuvres de Hans Sachs, Paris, 1887.

tous les caractères qui avaient distingué cette poésie à l'origine. C'est un artisan qui s'honore de son métier autant que de son talent de poète, un bourgeois qui vit en communauté d'idées avec ses voisins, et dont l'attention est constamment dirigée sur tout ce qui se passe entre les murs de sa cité; et c'est en même temps un patriote dont le regard s'élève jusqu'aux débats politiques et religieux du siècle. Il n'est si petit sujet qu'il dédaigne; mais il est parfois profond à force d'être naïf, et il arrive à la grandeur par la simplicité. Une conviction sincère, une âme qui s'échauffe pour le bien, une honnêteté et une candeur d'enfant, firent la moitié de son génie. Il n'est que puéril quand il énumère tous les ustensiles nécessaires dans un bon ménage; mais même la froide forme de l'allégorie s'anime sous sa main, quand il prête sa voix au « Rossignol de Wittemberg, que maintenant on entend par«‹ tout ». Il raconte qu'un troupeau, qui n'est autre que la communauté chrétienne, séduit par la lueur trompeuse de la lune, s'est égaré dans un désert, loin du berger et du bon pâturage. Resté sans défense, il est assailli par les animaux sauvages. Un lion surtout, qui représente le pape Léon X, y cause de cruels ravages. Mais un rossignol se fait entendre, quand déjà le troupeau est fort diminué, et il guide les brebis qui veulent le suivre vers une prairie verdoyante, où brille le soleil de la vérité, où coulent les sources vives de la foi. En vain les grenouilles poussent des cris rauques : le chant du rossignol est trop clair pour qu'elles réussissent à l'étouffer.

L'allégorie est la forme ordinaire sous laquelle Hans Sachs déguise l'enseignement ou la satire. Il croit relever une idée abstraite et la rendre poétique, en la personnifiant. Il fait discourir les Vertus et les Vices, établit entre eux des dialogues; ou il évoque un personnage du passé, et lui met dans la bouche la critique du temps présent. L'allégorie ne fait souvent que délayer une pensée dont le plus grand mérite serait dans la brièveté de l'expression; mais d'autres fois elle est une forme délicate de l'ironie, comme dans le conte du « Diable qui trouve «<l'enfer trop étroit ». Le poète rencontre un démon en quête d'ouvriers maçons, car le monde va de mal en pis, et il faudra bientôt ajouter une aile à l'enfer. « Vous êtes mal renseigné, »> dit le poète, «< jamais l'humanité n'a été aussi exempte de péché. Les «papes ne tiennent plus au pouvoir temporel, les évêques mépri<< sent les richesses, les moines vivent dans la chasteté, les princes

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