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Nouveau Testament. Pour le peuple, le christianisme s'incarnait dans la personne de son fondateur. Le peuple raisonnait peu; c'est par l'imagination qu'il fallait le frapper et le convaincre. Il fallait lui montrer le maître entouré de ses disciples, le consolateur appelant à lui les pauvres et les opprimés, le Messie enfin, portant déjà sur sa face terrestre un rayonnement de la gloire divine. C'est ce que tentèrent plusieurs écrivains au IXe siècle. Les actions du Sauveur devinrent le thème de deux ouvrages d'un mérite littéraire fort inégal, mais très importants tous les deux pour l'histoire de la langue et de la versification: ce sont le Heliand, écrit en dialecte bas-allemand, et le Livre des Évangiles d'Otfrid de Wissembourg, en haut-allemand. D'après une vieille légende, consignée dans une préface latine et dans une pièce de vers hexamètres, l'auteur inconnu du Heliand aurait été un laïque jouissant d'une inspiration spéciale de Dieu, et il aurait écrit par ordre du roi Louis le Débonnaire. Peut-être cette légende n'a-t-elle fait qu'exprimer sous une forme poétique le caractère du livre, et le prétendu laïque était-il en réalité un clerc qui n'avait pas dédaigné de descendre jusqu'au peuple, de parler et de penser comme lui. Le fait est que l'auteur du Heliand est au courant de la science théologique de son temps; il a lu les commentaires d'Alcuin, de Raban Maur, de Bède le Vénérable. Le fond du poème est pris directement dans la Bible. Les détails sont empruntés à la vie du moyen âge, et les anachronismes involontaires qui faisaient sans doute le succès du livre en sont encore aujourd'hui un des principaux charmes à nos yeux.

Si le Heliand est l'œuvre d'un poète, le Livre des Évangiles est le travail d'un érudit qui disserte en vers. Otfrid ne se borne pas, comme l'auteur du Heliand, à exprimer les sentiments pieux qui l'animent, il a des visées littéraires. Il veut bannir les chants profanes cantus laïcorum obscænos, dit-il dans une préface latine. Il regrette le temps où l'on alignait avec exactitude des syllabes longues et brèves. Enfin il n'oublie jamais qu'il est docteur de l'Église; il entremêle son récit de dissertations morales, d'explications mystiques et symboliques. Otfrid avait été le disciple de Raban Maur au monastère de Fulda, avant d'entrer chez les Bénédictins de Wissembourg. Il appartenait sans doute à la nation des Francs, dont il célèbre les vertus au début de son poème : Pourquoi les Francs, à l'exemple des autres nations, — ne chanteraient-ils pas dans leur langue la gloire de Dieu?...

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que les Romains,

et nul ne saurait pré

Ils sont aussi hardis tendre que les Grecs leur disputent le prix du courage. - pas moins par l'adresse.

Ils ne se distinguent pagne, dans la forêt, leur valeur est égale.

--

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Dans la cam

Ils travaillent avec des instruments- leur bonne terre: habitude; ils vivent avec honneur.

Leur terre est fertile;

Ils sont tous

- c'est leur

elle est pourvue · - de toute espèce de dons,

- que le ciel lui a départis.

--

On en retire de l'airain et du cuivre à foison. Je crois même

qu'on y trouve du cristal,

Et de l'argent en abondance,

qu'on travaille.

de l'or dans le sable des rivières.

On recueille même

Les Francs sont toujours pleins d'ardeur pour faire ce qui est bon et ce qui est utile; ils suivent les conseils de la sagesse. Ils sont prompts à parer les coups de leurs ennemis. les attaquer; tous ont été vaincus par eux.

Aucun peuple ne peut, s'il est voisin de leur terre,

à leur vaillance; il est forcé de les servir;

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Et tous les hommes, à moins qu'ils ne soient séparés d'eux par la mer, tremblent devant eux : - Dieu l'a fait ainsi, je le sais.

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Pas un peuple n'ose lutter contre eux. Ils en ont ôté l'envie à tous, leur ont enseigné le respect par les armes.

Ils leur ont enseigné la crainte, non pas avec des paroles, mais avec le glaive et la lance: c'est par là qu'ils sont redoutés.

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verne, s'il n'a été élevé au milieu d'eux;

Ou qu'un homme, a quelque nation qu'il appartienne,

la surface de la terre,

essaye de leur donner des lois.

Is jouissent ainsi du prix
Ils n'ont peur de personne,

de leur vaillance et de leur sagesse. tant que leur roi est sauf.

Leur roi est d'une vaillance à toute épreuve, comme doit l'ètre un noble guerrier. Il est prudent et hardi, et la nation en compte beaucoup comme lui.

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Ils s'appliquent à la parole de Dieu. est écrit dans les Livres;

Ils apprennent

ce qui

et mettent toute leur

Ils l'observent, le chantent par coeur, énergie à l'accomplir. J'ai fini mon discours. — J'ai montré que les Francs sont bons guerriers, qu'ils servent Dieu et sont pleins de sagesse 1.

Il semble que le patriotisme ait mieux inspiré le moine Otfrid que la religion; car ce chant est sans contredit la meilleure partie de son poème; le style a de la vigueur et une certaine allure guerrière. Quelle que soit, du reste, la valeur du poème d'Otfrid, il marque une date dans l'histoire de la versification allemande. Le Heliand garde encore l'ancienne forme de l'allitération; le Livre des Évangiles est écrit en vers rimés 2. Otfrid fut, sous ce rapport, le premier précurseur des poètes chevaleresques. Ce fut une des causes de son succès pendant le moyen âge, mais ce ne fut pas la seule. La scolastique fleurie du moine de Wissem. bourg répondait mieux au goût du temps que la poésie simple et austère du Heliand. Le Livre des Évangiles fut beaucoup recopié dans les écoles; il fut imprimé dès le xvr° siècle, tandis que le Heliand était tombé dans l'oubli, à l'époque où il fut republié par un éditeur moderne 3.

1.

« Wanana sculun Frankon einon thaz biwankon,

Ni sie in frenkisgon biginnen, sie gotes lob singen?...

« Sie sint so sama chuani, selb so thie Romani;

«Ni tharf man thaz ouh redinon, thaz Kriahi in es giwideron.

« Sie cigun in zi nuzzi so samalicho wizzi,

a In felde ioh in walde so sint sie sama balde;

« Rihiduam ginuagi, ioh sint ouh filu chuani,

⚫ Zi wafane snelle, so sint thie thegana alle.

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« In guatemo lante; bi thiu sint sie unscante... >>

2. Le vers d'Otfrid a la même coupe et les mêmes intonations que l'ancien vers allitérant; seulement les deux moitiés du vers, au lieu d'être reliées par l'allitération, sont rimées.

3. Le mot Heliand est l'ancienne forme saxonne de Heiland, sauveur. Le titre a été donné au poème par le premier éditeur, Schmeller (Heliand, Poema Saxonicum seculi noni, Munich, 1830; 2° volume, Glossaire, 1810). Une édition critique a été publiée par H. Rückert; Leipzig, 1876. Plusieurs traducteurs ont mis le Heliand en allemand moderne, entre autres Grein (2o édit., 1869) et Simrock (3o éd., 1882). Le poème d'Otfrid (Otfridi Evangeliorum Liber, Evangelienbuch in altfränkischen reimen durch Otfriden von Weissenburg) a été imprimé pour la première fois à Båle, en 1571. Éditions modernes de G. Graff (Krist, das älteste von Otfried im IX. Jahrhundert verfasste hochdeutsche Gedicht, Konigsberg, 1831), de J. Kelle (Otfrids Evangelienbuch; avec introduction, grammaire et glossaire; 3 vol., Ratisbonne, 1876-1881, et de Oscar Erdmann (Halle, 1882. Traduction en allemand moderne, par Kelle; Prague, 1870. Parmi les noms des personnages auxquels sont dédiées les différentes parties du poème, se trouve celui de Louis le Germanique.

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La Vie de Jésus et de la Vierge était le thème favori des écrivains monastiques qui se servaient de la langue vulgaire. Dans l'Ancien Testament, on s'adressait de préférence aux cinq Livres de Moïse et au Livre des Juges. On a retrouvé également deux traductions de l'histoire de Judith, dont la plus ancienne paraît remonter aux dernières années du XI° siècle. Enfin les Psaumes ont occupé une série de traducteurs et de commentateurs, dont le plus célèbre est Notker, moine de Saint-Gall. Ce qui montre combien ces ouvrages étaient répandus, c'est qu'on les remaniait d'âge en âge, en les appropriant à la langue et au goût du jour; souvent on les transportait d'un dialecte dans un autre. Parfois aussi, pour les rendre plus agréables, on y ajoutait des développements romanesques: c'était là l'écueil du genre. L'antique simplicité, qui charme dans le Heliand, se perdit, et, dans la période suivante, la légende pieuse ne fut plus, pour ainsi dire, qu'une branche parasite de la poésie d'aventure.

DEUXIÈME PÉRIODE

LA LITTÉRATURE DU MOYEN AGE
SOUS L'INFLUENCE DE LA FÉODALITÉ

DEPUIS L'AVÉNEMENT DE LA MAISON DE HOHENSTAUFEN
JUSQU'AU GRAND INTERRÈGNE (1138-1254)

CHAPITRE PREMIER

LA FÉODALITÉ DANS LA LITTÉRATURE

La Renaissance poétique du XIe siècle. Les cours des souverains

et des seigneurs; les Hohenstaufen.

Popularité des ouvrages français.

dans cette période.

-

Influence des croisades.
Genres de poésie traités

Il y eut, dans l'histoire du moyen âge, une période d'éclat, qui embrasse la seconde moitié du xne et la première moitié du Xe siècle. Ce fut, dans tous les États de l'Europe, comme une première Renaissance, anticipant sur la grande Renaissance du XVIe siècle. La féodalité venait de se constituer d'une manière définitive, et il semblait que le monde chrétien eût enfin trouvé la forme politique vers laquelle il tendait depuis l'invasion germanique. Au-dessous des souverains et des grands vassaux se rangeait le groupe des petits feudataires. Les rapports entre seigneurs de différents degrés étaient exactement définis; et lorsqu'une guerre ou une croisade entraînait au loin ce monde toujours armé, chaque chevalier prenait sa place sous la bannière de son suzerain immédiat. Mais, au retour, de longs loisirs les attendaient dans leurs manoirs. C'était alors le moment des joutes

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