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allemand, soit en latin; lui-même ne les écrivit jamais, à ce qu'il paraît, que dans cette dernière langue. Le vrai mérite de Geiler de Kaisersberg, c'est la hardiesse avec laquelle il s'élève contre les abus, le courage avec lequel il proclame ce qu'il appelle la vérité. Au reste, ses sermons ressemblent à ses dissertations scolastiques; les divisions et les sous-divisions sont poussées à l'infini. Les classiques latins et les Pères de l'Église, les légendes des saints et les anecdotes profanes s'y rencontrent pêle-mêle1. C'était le goût du temps. Mais un renouvellement de la vie religieuse était proche. Le besoin de mettre la doctrine à la portée de tous et de la faire pénétrer au fond des âmes devait ramener bientôt la simplicité et la vigueur qui avaient apparu un instant chez les mystiques de la fin du XIIIe siècle.

1. Les sermons les plus connus de Geiler de Kaysersberg sont ceux qu'il prononça sur la Nef des Fous de son contemporain Sébastien Brandt. A la Nef des Fous il opposa, dans d'autres sermons, la Nef de la Pénitence ou du Salut. Souvent des allusions plus futiles lui suffisaient. Une série de ses discours a pour titre la Signification spirituelle du Lièvre, ou le Civet; il y traitait allégoriquement des différentes situations du lièvre depuis le moment de la chasse jusqu'à celui de la cuisson. Un lion ayant été montré à Strasbourg, il prêcha sur le Lion d'enfer. Quelques sermons sont traduits de Gerson, que Geiler admirait beaucoup. - -A consulter Ammon, Geilers von Kaisersberg Leben, Lehren und Predigten, Erlangen, 1826. On trouve des extraits des différents recueils de sermons dans Wackernagel, Altdeutsches Lesebuch, Bâle, 1839.

QUATRIÈME PÉRIODE

LA RÉFORME

DEPUIS L'AVÉNEMENT DE LA MAISON D'AUTRICHE
JUSQU'AU COMMENCEMENT DE LA GUERRE DE TRENTE ANS (1493-1618)

CHAPITRE PREMIER

LA RÉFORME AU POINT DE VUE LITTÉRAIRE

Opposition entre l'esprit germanique et la culture latine. - La Réforme avant et après Luther. Constitution du dogme; la nouvelle scolastique. · La Renaissance littéraire retardée de deux siècles.

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A quelque point de vue que l'on considère la Réforme, la manière la plus étroite de la juger serait de n'y voir qu'un dissentiment de doctrine. Elle a été l'accomplissement d'un fait qui se préparait depuis des siècles. L'influence que l'Italie exerça au moyen âge sur toutes les contrées de l'Europe, et qui fut pour elles un puissant moyen de civilisation, n'a jamais été franchement acceptée par l'Allemagne. La culture latine, sur laquelle s'était greffé le christianisme, trouva dans le Midi et dans l'Occident un sol préparé pour la recevoir; mais au delà du Rhin et du Danube elle se heurta contre le vieil esprit germanique, que la conquête romaine n'avait pu entamer, et qui persista au milieu de toutes les révolutions politiques et religieuses. Il est inutile, pour expliquer l'animosité des Allemands contre Rome, de rappeler les impôts réguliers que les papes faisaient lever pour la guerre sainte, ou les longs troubles qu'entraîna la lutte du sacerdoce et de l'Empire: c'étaient des griefs passagers, qui ne pouvaient qu'entretenir un sentiment permanent d'hostilité et de méfiance, mais qui auraient été impuissants à le créer. Le poète Freidank exprimait, dès le commencement

du xire siècle, l'opinion d'un grand nombre de ses compatriotes, lorsqu'il s'écriait : « Ce serait la mort de l'Empire, si Rome était << située en Allemagne. » Et, vers la fin du moyen âge, ce fut, dans la noblesse comme dans la bourgeoisie, une conviction de plus en plus arrêtée, que l'Allemagne n'avait qu'à rompre ses liens avec Rome, si elle voulait se donner une constitution définitive et prendre un développement conforme à son génie.

Luther n'était pas ce qu'on appelle un novateur; c'était peutêtre l'homme le moins révolutionnaire de son temps. Il avait déjà trente-cinq ans lorsqu'il attira l'attention publique; il avait vécu jusque-là dans les méditations pieuses et dans les pratiques ascétiques. Le jour où, sans l'avoir voulu, il se mit en désaccord avec l'Église, il trouva tout un parti derrière lui. Déjà même la Réforme commençait spontanément sur divers points de l'Allemagne. Zwingle écrivait, en 1523 : « J'ai prêché l'évangile long« temps avant d'avoir entendu prononcer le nom de Luther. Je << me suis mis, il y a dix ans, à étudier le grec, pour pouvoir puiser << la doctrine chrétienne à sa source. Ai-je réussi? c'est ce que <«< d'autres pourront dire. Mais ce n'est point Luther qui a été mon << maître. Je n'avais d'autre guide que la Bible. Les papistes m'ac<«< cablent du nom de Luther, par ignorance : « Il faut que tu sois <«<luthérien, » disent-ils, «< car tu prêches ce que Luther écrit. » Qu'ai-je à leur répondre? Je prêche aussi ce que saint Paul a «< écrit pourquoi ne m'appelez-vous pas paulinien? Bien plus, je <«< prêche la parole du Christ: pourquoi ne m'appelez-vous pas <<< chrétien? » Zwingle ajoute modestement : « Luther prêche la << parole du Christ, et moi je ne fais pas autre chose. Mais Luther «< a amené vers Dieu un plus grand nombre d'hommes que moi : «< Dieu fait à chacun la mesure qu'il veut '. » Luther eut la mesure plus large, à cause de l'énergie de sa volonté et de la puissance de sa foi. Mais la Réforme n'était pas son œuvre : il n'en fut que le plus ardent promoteur.

L'Allemagne creusa, par la Réforme, un abîme entre elle et les nations du Midi. Elle se priva du bénéfice de cette lente et laborieuse éducation que l'Europe barbare avait reçue sous la tutelle de l'Église. Elle eut à recommencer, pour ainsi dire, et à refaire pour son propre compte tout le travail de la civilisation moderne.

1. Uslegen und gründ der schlussreden oder artikel, 1523; au 1er vol. des œuvres complètes, publiées par Schuler et Schulthess (8 vol., Zurich, 1828-1842).

La vie intellectuelle d'un peuple repose sur un certain nombre de conceptions générales qui constituent sa religion. L'Allemagne, ayant rompu avec la tradition romaine, dut s'appliquer à créer une forme nouvelle du christianisme. Ses théologiens tracèrent d'abord, la Bible à la main, les grandes lignes du dogme; puis on discuta les moindres détails, avec une conscience louable, mais parfois aussi avec une minutie qui n'était pas exempte de fanatisme. A l'àge fécond et original de la Réforme, marqué par les noms de Luther, de Zwingle et de Mélanchthon, succéda une scolastique nouvelle, aussi desséchante que la première, et qui chassa une seconde fois toute vraie science et toute poésie. Le goût, à peine formé par les études antiques, se gâta de nouveau. La langue même, que Luther avait dégagée du latin et du patois, et qu'il avait animée d'un souffle d'éloquence, retomba dans la barbarie. Bref, l'avénement d'une littérature classique en Allemagne fut retardé de deux siècles. Dans la vie d'une nation, chaque progrès a son heure. La chaîne des temps fut renouée quand le plus grand poète de l'Allemagne, se sentant mal à l'aise sous le ciel de Weimar, alla chercher sur la terre italienne et devant les monuments de l'art antique le secret de l'éternelle beauté.

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