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jusqu'à son ensevelissement par Joseph d'Arimathie. La partie la plus longuement traitée est la vie pécheresse et la conversion de Marie-Madeleine. Celle-ci est entourée d'un groupe de jeunes gens et de jeunes filles. Elle célèbre d'abord, dans une chanson latine, les plaisirs du monde; puis elle se rend chez un marchand pour acheter du fard. « Donne-moi », chante-t-elle en allemand, << donne-moi ce fard — qui rendra mes joues roses, — afin que les jeunes gens, bon gré mal gré, soient forcés de m'aimer. » Un ange la réprimande en songe; elle se réveille, répète sa chanson et se rendort. L'ange lui apparaît une seconde fois. La voilà saisie de repentir; elle se couvre d'un manteau noir, retourne chez le marchand, et prend des parfums, qu'elle va répandre sur les pieds du Sauveur. Elle chante, en allemand: « Jésus, consolation « de mon âme, — reçois-moi en grâce, et absous-moi du péché que le monde m'a fait commettre. » Les scènes suivantes retracent les incidents de la Passion. L'allemand reparaît encore dans la bouche du soldat qui perce le flanc de Jésus-Christ avec sa lance, et dans la plainte de la Vierge, qui adopte désormais saint Jean comme son fils1.

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Dans le drame de Benedictbeuren, l'introduction de la langue vulgaire n'a d'autre but que de rendre le jeu des acteurs plus intelligible pour le peuple. Rien n'est changé au fond du sujet; le ton sérieux de l'ancien drame liturgique persiste. Peu à peu, cependant, à l'aide des nouvelles formes de langage, plus souples, plus variées, plus excitantes pour l'imagination, l'esprit populaire, humoristique, sarcastique, parfois dévergondé, se glisse dans la légende pieuse. Un drame de la Passion, originaire d'Innsbruck, et dont le manuscrit porte la date de 1391, fait alterner l'allemand avec le latin, sans que le choix de l'une ou de l'autre langue soit toujours déterminé par le contenu de la scène ou le caractère du personnage qui parle. De même, le style passe, sans transition, du sérieux au burlesque. Il semble que les acteurs qui récitaient certaines tirades, prêtres ou laïques, aient dû prendre modèle sur des chanteurs ambulants. On assiste d'abord à une délibération du sanhédrin, où le mélange du latin, de l'allemand

ou les Vierges folles, et dans deux des trois drames composés par Hilaire, disciple d'Abelard. Dans le drame d'Adam, de la seconde moitié du xe siècle, les chours et les chants prophétiques sont seuls en latin; encore sont-ils accompagnés do paraphrases françaises.

1. Ludus paschalis sive de passione Domini, publié par Bartsch, dans la revue Germania, VIII, 273.

et du dialecte judaïque produit un horrible jargon. Le marchand qui vend des aromates à Marie-Madeleine est un charlatan de la foire; il est accompagné d'un valet, une espèce de clown, qui finit par lui enlever sa femme. Quand Jésus retire de l'enfer les âmes damnées, le diable demande une compensation, et on lui livre un savetier, un boucher et un moine, qui récitent chacun leur verset comique. A la fin, saint Jean recommande aux spectateurs de penser à leur salut, mais aussi de ne pas oublier les acteurs : « Celui qui leur donnera un rôti, Dieu le pourvoira «<< dans l'éternité, et celui qui leur offrira une tartine, - Dieu <«<l'invitera au banquet céleste. » Puis, sans transition, on entonne l'hymne « Christ est ressuscité. »

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D'autres drames, de la même époque, ou même antérieurs, sont déjà écrits complètement en allemand. On a retrouvé au monastère de Saint-Gall un Jeu de la Passion et un Jeu de Noël, du XIVe siècle, d'une rédaction fort sommaire et sans grande originalité. Un Jeu de sainte Catherine, du XIe siècle, et un fragment sur sainte Dorothée, du XIVe, montrent qu'on faisait aussi des emprunts au martyrologe. Les Miracles de la Vierge constituaient un genre particulier, dont les types les plus caractéristiques sont le drame de Dame Jutte, et le Theophilus. Le sujet de Dame Jutte n'est autre que celui de la papesse Jeanne, qu'un ecclésiastique de Mühlhausen en Thuringe, nommé Théodoric Schernberg, dramatisa, sans malice aucune, en 1480; Hieronymus Tilesius publia son ouvrage, en 1565, croyant sans doute par là servir les intérêts de la Réforme 1. Le Theophilus s'est conservé dans trois versions différentes, qui n'ont qu'un rapport éloigné avec la rédaction française de Rutebeuf. Theophilus, le prêtre simoniaque, qui vend son âme au diable, est sauvé, aussi bien que Dame Jutte, par l'intercession de la Vierge Marie.

A côté de ces ouvrages, l'ancien drame liturgique, purement latin, se maintenait, sans toutefois s'enrichir beaucoup. Il ne faudrait pas, en général, se représenter la littérature dramatique du moyen âge comme un développement continu, ayant quelque apparence de régularité, et aboutissant à une fin quelconque. Dans la tragédie grecque, à laquelle on l'a trop souvent comparée, une forme définitive, classique, se dégage peu à peu du

1. Ein schon spiel von fraw Jutten, Eisleben, 1565. A. Keller, Fastnachtsspiele aus dem XV. Jahrhundert, Stuttgart, 1853.

2. Hoffmann von Faliersleben, Theophilus, Hanovre, 1854.

noyau primitif. Rien de semblable dans le drame du moyen âge, qui flotte, vacille et revient sans cesse sur ses pas. Une pièce sur les Vierges sages et les Vierges folles, écrite en allemand, fut représentée à Eisenach, en 1322, devant le margrave Frédéric, et les chroniques racontent que le margrave se retira, tout irrité, pendant la dernière scène, en voyant les Vierges folles entraînées par les démons, malgré l'intercession des saints du paradis : « Qu'est-ce que la foi chrétienne, » s'écria-t-il, « si nulle prière ne << peut faire obtenir grâce au pécheur? » Et cette pensée ne le quitta plus jusqu'au jour de sa mort, qui survint peu de temps après. L'auteur ou les auteurs du drame ne s'étaient sans doute jamais demandé si une parabole était faite pour la scène. Il faut le redire, car ainsi s'explique pourquoi le théâtre du moyen âge n'a pas duré et n'a pas eu d'influence sur la littérature, toute idée de composition, de vraisemblance, aussi bien que de style, était étrangère à ce théâtre 1. C'était avant tout un spectacle pour les yeux, et c'est dans l'arrangement tout extérieur, dans la façon de construire la scène, de costumer et de présenter les personnages, de faire dire les parties chantées ou dialoguées, que résidait la plus grande préoccupation des auteurs 2.

1. La boutade de Sainte-Beuve, à propos de quelques Mystères dont il venait de lire l'analyse, contient au fond une vérité : « Qu'on me dise que c'est curieux tant qu'on le voudra, oui; mais que c'est beau, non. » (Nouveaux Lundis, t. III.) Voici ce que dit un des historiens qui connaissent le mieux le théâtre du moyen âge : « Une expérience que j'ai souvent faite est celle-ci : j'inscrivais dans mes << notes, en lisant un mystère, que dans telle ou telle scène se trouvait un passage remarquable par la forme ou par la beauté de l'expression; et quand je consultais plus tard le même passage, je ne pouvais plus comprendre mon admiration d'autrefois. C'est qu'à la première lecture le passage en question se détachait avanta<< geusement de quelques centaines ou de quelques milliers de vers qui précédaient : « on cesse d'être difficile, quand on a lu beaucoup de mystères. » (W. Creizenach, Geschichte des neueren Dramas, I, p. 185.)

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2. Les instructions données pour la Représentation d'Adam, drame français du siècle, auraient convenu tout aussi bien à certaines pièces allemandes : « Qu'on établisse le paradis dans un lieu bien élevé; qu'on dispose à l'entour « des draperies et des tentures de soie, à telle hauteur que les personnes qui << seront dans le paradis ne soient visibles qu'au-dessus des épaules. On y verra . des fleurs odoriférantes et de la verdure, et divers arbres auxquels pendront des fruits, afin que ce lieu paraisse très agréable. Alors, que le Sauveur arrive, vêtu • d'une dalmatique; devant lui se placeront Adam et Eve; Adam vêtu d'une tunique « rouge, et Éve d'un vêtement de femme blanc et d'un voile de soie blanc; tous deux seront debout devant la Figure (c'est le nom que la pièce donne à Dieu); Adam plus rapproché, le visage respectueux; Eve un peu plus bas. Qu'Adam - soit bien instruit quand il devra donner la réplique, pour qu'il ne soit ni trop prompt, ni trop lent à répondre. Que non seulement lui, mais que tous les personnages soient exercés à parler posément, et que leurs gestes s'accordent avec « leurs paroles qu'ils se gardent d'ajouter ou de retrancher des syllabes dans la

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Du jour où le drame se transporte sur la place publique, son dernier lien avec la liturgie est rompu. Les Jeux de Noël ou de la Passion se jouent alors indifféremment à toutes les époques de l'année; et comme la représentation a lieu en plein air, on choisit de préférence la belle saison. Une partie des rôles est confiée à des laïques, quoique le clergé garde toujours la direction générale. Le peuple remplit la place au milieu de laquelle se dresse la scène à trois étages, figurant le ciel, la terre et l'enfer; il va et vient, et prend la part qu'il lui plaît d'un spectacle dont il connaît le programme. Alors aussi les sujets deviennent de plus en plus encyclopédiques, et bientôt la journée ne suffit plus pour les épuiser. La Passion de Francfort, dont on a conservé le plan, embrasse l'histoire sacrée depuis les patriarches et les prophètes jusqu'à la Résurrection; elle durait deux jours, et elle était jouée par deux cent soixante-cinq personnages 1. Le Jeu d'Alsfeld dans la Hesse, celui d'Eger en Bohême, prenaient trois jours; le premier contenait tout un sermon, d'abord en prose, plus tard mis en vers, qui amenait la conversion de Marie-Madeleine. On ne faisait pas moins de frais pour une simple légende; une Invention de la Croix de la fin du xve siècle est partagée en deux journées On pourrait croire que les développements qu'on ajoutait aux anciens textes aient eu pour but de relier, d'expliquer, de motiver les incidents; il n'en est rien. On s'attarde sans raison, on multiplie les détails insignifiants. Des messagers se transportent sans cesse de l'un à l'autre des compartiments de la scène, et récitent de longs discours. Quand, par exemple, dans la Passion d'Eger, Pilate se lave les mains après avoir livré Jésus-Christ aux pharisiens, il faut qu'un soldat reçoive l'ordre d'aller chercher de l'eau, qu'il se déclare prêt à accomplir cet ordre, qu'il se déplace pendant quelques instants, et qu'il revienne avec un bassin; il faut ensuite qu'un autre soldat présente au gouverneur une serviette, non sans prononcer, lui aussi, quelques vers. Le drame du moyen âge se perd ainsi dans la superfluité et dans la niaiserie; et quand arrive le moment où, avec le progrès de la langue et des lumières, un théâtre national pourrait en sortir, il est déjà usé et décrépito.

« mesure des vers; mais qu'ils les prononcent d'une voix ferme, et que toutes les «< choses soient dites dans l'ordre où elles doivent l'être. Quand on nommera le paradis, on aura soin de l'indiquer de la main. » (Voir L. Moland, Origines littéraires de la France, Paris, 1862; Petit de Julleville, Les Mystères, Paris, 1880, 1er vol.) 1. Les rôles de femmes étaient toujours tenus par des hommes.

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2. Collections.- Hoffmann von Fallersleben, Fundgruben für Geschichte deutscher

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La comédie remonte sans doute, par ses origines, aux premiers temps du moyen âge. Le drame sérieux était sorti de l'église : le drame burlesque naquit dans les carrefours des villes, ou peutêtre déjà dans les grandes salles des manoirs. Bateleurs et jongleurs parcouraient le pays, offrant leurs divertissements aux seigneurs et aux bourgeois'. Ils mêlaient à leurs tours d'adresse des chansons et des monologues. Se trouvaient-ils en nombre, ils ébauchaient un dialogue, en brodant sur un incident quelconque de la vie des plaisanteries qu'ils accommodaient au goût de leur public. Il est même permis de croire que ces rudiments de comédie ne furent pas sans influence sur le drame sacré, du jour où celui-ci adopta la langue vulgaire. Les soldats ivrognes, les moines libertins, les escrocs et les charlatans de toute sorte, qui viennent égayer par moments les Jeux de la Passion, n'avaient fait sans doute que passer du champ de foire au parvis de l'église.

Ces scènes improvisées, sujets de grosse gaieté pour le peuple, étaient dédaignées des clercs, et elles ne se conservaient d'abord que dans la tradition orale. Ce n'est qu'au xve siècle qu'on commença à les mettre par écrit. Un historien moderne a pris la peine de les recueillir 2, et, vues dans l'ensemble, elles donnent assurément l'idée la plus complète, ne disons pas des mœurs, mais de l'esprit et du goût qui régnaient en Allemagne à la fin du moyen âge. La comédie, pas plus que la tragédie, n'est le miroir fidèle d'une société; l'une montre seulement ce qui a fait rire les hommes à une certaine époque, l'autre ce qui a excité leur admiration ou leur sympathie. On pourrait juger trop sévèrement les mœurs allemandes du xve siècle, si l'on ne se disait que les personnages qui apparaissent dans les comédies de ce

Sprache und Litteratur, au 2 vol., Breslau, 1837. - Mone, Altdeutsche Schauspiele, Quedlinburg, 1841; Schauspiele des Mittelalters, 2 vol., Karlsruhe, 1846. Les jeux sacrés du moyen âge se sont conservés dans certaines régions jusqu'à nos jours. On joue encore les Trois Rois en Bretagne, et les représentations d'Oberammergau en Bavière attirent chaque année une foule de curieux.

1. Une chronique blâme l'empereur Henri III d'avoir laissé repartir sans gratification des comédiens et des jongleurs qui s'étaient rendus à Ingelheim, en 1043, pour les fêtes de son mariage.

2. A. Keller, Fastnachtspiele aus dem XV. Jahrhundert, Stuttgart, 1853; supplément (Nachlese), 1858. Keller donne, en tout, cent trente-deux jeux.

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