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Le sentiment religieux s'était retiré des longs poèmes légendaires; mais il venait de trouver une expression nouvelle, plus énergique et plus spontanée, dans la poésie lyrique. On commençait à traduire les hymnes de l'Église, soit pour l'édification des fidèles, soit même pour les besoins du culte; et l'étude de ces grands modèles inspirait souvent des imitations heureuses. Un moine bénédictin de Salzbourg, nommé Hermann, se fit connaître, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, par des cantiques en langue vulgaire. Ses traductions sont fort au-dessous des originaux; la recherche de la rime le rend souvent lourd et diffus. Ses propres poésies sont médiocres. Mais il a toujours eu le mérite d'ouvrir une voie. Le plus important de ses successeurs fut Henri Laufenberg, doyen du chapitre métropolitain de Fribourg-en-Brisgau, qui termina sa vie, en 1460, dans le couvent des Johannites à Strasbourg. Il est difficile de séparer, dans la poésie de Laufenberg, ce qui est original de ce qui est imité ou traduit; mais on trouve presque toujours chez lui, à côté d'une certaine afféterie mystique, une émotion sincère et vraie. Lorsqu'il décrit en style allégorique les doigts de la sainte Vierge ou sa coiffure, il n'est que le disciple de Hugo de Langenstein; mais quelle différence entre la piété conventionnelle des légendes de la décadence et les strophes touchantes où Henri Laufenberg regrette la Patrie céleste!

Je voudrais être dans ma patrie, tions de ce monde :

Je veux parler de la patrie céleste, éternellement.

et renoncer aux vaines consola

où je pourrai contempler Dieu

Courage, mon âme! c'est là que tu dois aspirer; c'est là que la troupe des anges attend ta venue.

Ce monde est trop étroit pour toi : ta patrie 1!

1.

il te faut retourner dans

Ich wolt, daz ich do heime wär

« und aller welte trost enber
«Ich mein doheim in himelrich,
« do ich Got schowet eweclich.

« Woluf, min sel, und riht dich dar

« do wartet din der engel schar.

« Won alle welt ist dir ze clein,

« du kumest denn e wider hein. »

Les meilleures pièces de Henri Laufenberg sont celles qui sont conçues dans le ton populaire. Les écrivains de la Réforme le considéraient, avec raison, comme un de leurs précurseurs. C'est en se rapprochant du peuple, en parlant sa langue, en s'inspirant de ses sentiments, que la poésie religieuse reprit, au siècle suivant, une élévation et une fécondité nouvelles1.

1. Edition. Phil. Wackernagel, Das deutsche Kirchenlied, von der ältesten Zei bis zu Anfang des XVII. Jahrhunderts, 5 vol., Leipzig, 1864-1877.

CHAPITRE VI

LA POÉSIE DIDACTIQUE ET SATIRIQUE

1. Le Coursier de Hugo de Trimberg. 2. Les poésies sentencieuses de Henri le Teichner et de Pierre Suchenwirt. 3. Les fables d'Ulric Boner. Poèmes allégoriques; le Livre des Échecs de Conrad d'Ammenhausen. 4. Transformation de la légende de Renart

Reineke Vos.

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>>

Un pauvre recteur de collège, Hugo de Trimberg, écrivit, à la fin du XIe siècle, entre autres ouvrages aujourd'hui perdus, une sorte d'encyclopédie rimée, résultat de ses nombreuses lectures, et qu'il intitula le Coursier1. Il y traverse au hasard une quantité de sujets, prodigue les conseils aux faibles et aux opprimés, et ne ménage pas le blâme à ceux qui le méritent. Les tournois lui paraissent de coupables divertissements. « A quoi pensent, dit-il, «< ces deux mannequins bardés de fer, qui se précipitent << l'un contre l'autre en croisant leurs lances, jusqu'à ce que l'un << d'eux se fasse emporter à demi mort? Ne plaignez pas celui qui « est blessé : il suivait sa fantaisie; mais s'il se faisait appliquer << pour ses péchés autant de coups qu'il en reçoit gratuitement, « le salut de son âme serait plus avancé. » Ce sont les romans d'aventure qui égarent les esprits. Pour Hugo de Trimberg, il n'y a qu'un livre utile, la Bible. « Mais, » ajoute-t-il, «< on connaît << mieux aujourd'hui le Parzival et le Tristan, le Wigalois et l'Enée,

1. Trimberg est une petite ville des environs de Wurzbourg; Hugo dirigea une école dans un faubourg de Bamberg, de 1260 à 1309. Son poème a été publié par la Société historique de Bamberg: Der Renner, ein Gedicht aus dem XIII. Jahr hundert, Bamberg, 1833-1836.

« l'Érec, l'Ivain et les histoires des autres héros qui siégeaient << autour de la Table ronde. Nos femmes savent comment les vail<< lants d'autrefois s'assommaient pour l'amour de leurs belles, et <«<elles s'apitoient sur de telles aventures, plus que sur les plaies <«< de notre Sauveur. » Mais ses traits les plus acérés sont dirigés contre le haut clergé. « Rome, » dit-il, « a été bâtie autrefois par << des brigands: aujourd'hui l'on n'y détrousse plus les voyageurs, << mais on leur vide le gousset en leur vendant des indulgences. >> Dans une fable, il montre le Loup, le Renard et l'Ane se confessant l'un à l'autre : les deux premiers se donnent réciproquement l'absolution pour leurs plus gros péchés; mais quand vient le tour de l'Ane, ses confrères le déchirent pour une peccadille; et l'auteur a soin de nous avertir que l'Ane est un pauvre moine qui a négligé de se mettre dans les bonnes grâces de son prieur.

Le Coursier a été un des livres les plus répandus à la fin du moyen âge; on en fit des remaniements et des extraits au XVIe siècle. Herder le cite avec éloge à côté de Freidank, et Lessing avait l'intention de le remettre au jour dans une édition nouvelle.

2. HENRI LE «TEICHNER ».

SUCHENWIRT.

L'enseignement ne prenait pas toujours la voie indirecte du récit poétique; il se présentait aussi sous des dehors plus austères. Le principal représentant du genre didactique proprement dit, dans la dernière période du moyen âge, c'est un poète autrichien appelé Henri le Teichner. Ses poésies sentencieuses ne sont pas, comme celles de Freidank, de simples maximes en vers, mais des pièces assez étendues, qui rappellent tantôt l'épître, tantôt la satire. Le Teichner composa plus de sept cents ouvrages de ce genre. Ses traits sont surtout dirigés contre les hautes classes, qu'il accuse de méconnaître le rôle qu'elles doivent jouer dans l'État et pour lequel Dieu les a instituées. Il ne méprise pas la chevalerie, comme Hugo de Trimberg; il lui reproche seulement d'abandonner ses anciennes traditions. « Un chevalier qui sait <«< rompre une lance avec grâce, » dit-il, « se fait valoir devant le << monde; mais celui qui sauve la vie d'un innocent se rend «< agréable à Dieu. » Le clergé ne remplit pas mieux ses devoirs que la noblesse. « Le Sauveur du monde, » dit le Teichner dans une de ses meilleures pièces, « n'a jamais combattu avec l'épée;

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<< on n'a jamais porté d'armoiries derrière les apôtres. Mais «<les prêtres d'aujourd'hui veulent manier deux glaives; ils « oublient que les droits de Dieu n'excluent point les droits de « César. On représente les saints docteurs d'autrefois avec un « livre à la main et une écritoire au côté s'il fallait peindre un prélat de nos jours, il faudrait lui ceindre l'épée et le poignard, et montrer le diable derrière lui. Saint Pierre et les apôtres étaient des sots de tant se tourmenter pour entrer au <«< royaume de Dieu, si on peut le conquérir par les armes. » Henri le Teichner a le langage vif, comme tous les satiriques du moyen âge; mais c'est l'intérêt de la vérité qui le guide, si l'on en juge par le ton convaincu des lignes suivantes : « La parole est libre, << elle parcourt le monde entier. Nul homme, depuis le roi jusqu'au « valet, ne peut empêcher qu'on parle de lui librement. La vérité « est si forte, qu'elle ne craint aucune puissance. Quiconque veut s'opposer à elle et ruiner ceux qui la professent, ressemble « à un insensé qui, possédant une femme honnête, la battrait <«< toutes les fois qu'il ferait lui-même une sottise. Le glaive et << l'excommunication ne peuvent rien contre la vérité qu'on l'opprime ici, elle reparaîtra là. »

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Henri le Teichner faisait de la poésie l'occupation de sa vie. Il déclare qu'au milieu de ses plus grands chagrins il ne cessa jamais de composer. Il débitait ses vers devant les seigneurs et les bourgeois qui l'entretenaient. Mais il se faisait un devoir de leur dire la vérité. « Le monde, » dit-il, << me donne la richesse, en retour de << mon art, et il me prodiguerait bien plus ses faveurs si je vou«<lais louer ses désordres. >> - Il mourut, dans un âge avancé, à Vienne, vers 1380, et son compatriote Suchenwirt déplore sa mort en ces termes : « Il a semé ses fins discours et ses sages ensei<«< gnements dans le jardin du monde, pour la consolation des << hommes et pour la glorification de Dieu; il brille, par ses bonnes « mœurs, sur tous ceux qui ont cultivé la poésie. »> Suchenwirt loue ensuite sa modestie et sa piété, et ajoute que jamais il n'avait payé par une flatterie un bel habit ou un riche présent.

Un tel éloge avait son prix, venant d'un homme qui pouvait passer pour un rival. Pierre Suchenwirt a laissé, en effet, outre ses poèmes d'armoiries, un assez grand nombre de pièces didactiques et satiriques. Il développe à peu près les mêmes thèmes que le Teichner. Il montre la chevalerie pratiquant l'usure, aimant la bonne chère, se retirant des combats. Il porte même

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