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mêlé à la vie guerrière de son temps, et qu'au besoin il aurait pu être l'un des acteurs du drame qu'il retrace.

Le moine Eckhart nous apprend d'abord qu'Attila, ayant soumis une grande partie de l'Europe, résolut d'attaquer le royaume des Francs, dont la capitale était Worms. Les Francs, ne croyant pas, malgré leur valeur, pouvoir tenir contre l'immense armée des Huns, aiment mieux fournir des otages que d'affronter une défaite certaine. Parmi ces otages se trouve un jeune guerrier, nommé Hagen, « issu de la race troyenne ». Les Huns continuent leur marche vers le pays des Burgondes, entre Saône et Rhône. « La terre gémissait sous le pas de leurs chevaux. Le bruit de «<leurs boucliers retentissait contre la voûte du ciel. Une forêt de << lances s'avançait dans la plaine et reluisait au soleil 1. » Les Burgondes ne se jugent pas plus capables que les Francs de résister aux Huns. Le roi Herric envoie au camp d'Attila sa fille, Hildegonde, « la perle de sa maison 2». Les Goths, qui occupent l'Aquitaine, se soumettent à leur tour, sans coup férir. « A quoi servi«rait-il, dit le roi Alpher, de faire des préparatifs de guerre? Je <«< donnerai des trésors, je donnerai mon fils : ce ne peut être un « déshonneur de suivre l'exemple des Francs et des Burgondes 3. › Il livre son fils Walther, encore jeune, mais déjà fiancé à Hildegonde; car les deux rois voulaient, en mariant ensemble leurs enfants, unir leurs peuples en un seul royaume.

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Cette marche victorieuse d'Attila à travers la Gaule n'est qu'un prologue. Le poète nous transporte ensuite en Pannonie. Le farouche conquérant devient le plus doux des princes. Il traite ses prisonniers comme ses enfants. Les jeunes gens, en grandissant, sont formés au métier des armes; on les instruit même dans les arts de la paix. Quant à Hildegonde, elle gagne la faveur de la reine, qui lui confie les clefs du trésor royal, « et peu s'en

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<«< faut qu'elle ne soit reine elle-même1. » Tous trois, cependant, ne songent qu'à recouvrer leur liberté. Hagen en trouve le premier l'occasion. Le roi des Francs est mort, et son successeur, Gunther (dont le nom se retrouvera dans les Nibelungen), refuse de payer plus longtemps le tribut; dès lors Hagen se croit dégagé de toute obligation, et il retourne à Worms. Walther a déjà pensé à suivre son exemple, mais il ne veut pas abandonner Hildegonde. Un jour, revenant d'une expédition où sa vaillance a décidé la victoire, il entre au palais. Il y trouve Hildegonde seule, et il lui demande à boire. Elle lui présente une coupe d'or, remplie de vin.

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Walther, après avoir bu, lui rendit la coupe vide. Alors tous deux se souvinrent qu'ils avaient été fiancés ensemble, et Walther adressa ainsi la parole à Hildegonde : « Voilà bien longtemps que nous supportons le même exil; nous savons tous deux les projets que nos parents ⚫ avaient jadis formés sur nous: pourquoi nous imposer un plus long silence? La jeune fille se tut, ne croyant pas qu'il parlât sérieusement; enfin elle répondit : « Pourquoi vouloir me persuader ce que tu ne penses pas? pourquoi prononcer des paroles que ton cœur désapprouve? Comment puis-je croire que tu veuilles descendre jusqu'à épouser une captive?» Walther reprit aussitôt : « Loin de moi la pensée de t'abuser! Nous sommes seuls ici; si je savais que tes intentions répondent aux miennes et que tu m'as gardé ta foi, je t'ouvrirais à l'instant même le mystère de mon cœur. » Alors Hildegonde se laissa tomber aux genoux de Walther et dit : « Appelle-moi où tu voudras, mon seigneur et mon maitre! Rien ne me sera plus doux que d'accomplir tes ordres. Eh bien, reprit Walther, l'exil me pèse, et le souvenir de la patrie absente se présente souvent à mon esprit. Je • veux fuir secrètement, sans tarder. J'aurais déjà pu le faire, mais je ⚫ n'ai pu me résoudre à partir sans toi. Ta volonté sera la mienne! » s'écria Hildegonde. « Que mon seigneur commande! Pour son amour, je suis prête à tout entreprendre et à tout souffrir 2. »

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1.

2.

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«

Modicumque deest quin regnet et ipsa. » (V. 136.)

« Si nossem temet mihi promptam impendere mentem,
Atque fidem votis servare per omnia cautis,

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Ejus amore pati toto cum pectore præsto. » (V. 267-281.)

Ils profitent d'un festin, « où règne une ardente ivresse, où les « langues balbutient et où les plus fermes héros chancellent », pour sortir du palais sans être aperçus. Walther est à cheval, tout armé, prêt à repousser une attaque, car ils craignent d'être poursuivis; Hildegonde tient la bride. Ils atteignent ainsi les Vosges. Ici, ce ne sont plus les Huns, mais les Francs qu'ils ont à redouter. Le roi Gunther a entendu dire que le cheval portait, outre le cavalier, deux écrins attachés aux deux côtés de la selle, et remplis d'objets précieux. «< Walther me rendra, » s'écrie-t-il, « le tribut « que mon père a payé jadis au roi des Huns. » Il met en campagne douze de ses meilleurs guerriers; Hagen lui-même est obligé, par la loi du vasselage, de servir contre son ancien ami. Walther se place à l'entrée d'un défilé, assez étroit pour que deux hommes n'y puissent combattre de front; ses adversaires sont donc obligés de l'aborder isolément. Il en résulte douze combats, que l'auteur décrit en homme du métier, et dont Walther sort victorieux. Les deux fugitifs continuent leur route vers l'Aquitaine 1.

Le sentiment patriotique qui anime tout ce récit, le respect de la personne du souverain, même l'amour du gain et l'esprit de conquête, sont des traits qui distinguent par excellence l'ancienne épopée, et qui s'affaibliront de plus en plus dans les ouvrages postérieurs. Le moine de Saint-Gall, malgré la langue savante dont il s'est servi, a tous les caractères d'un chanteur populaire. Loin de lui faire un reproche de son style barbare, nous pensons qu'il faut le louer avant tout d'avoir su garder intacte la franche et rude poésie de son sujet.

1. Hagen, avant de combattre Walther, déjà presque épuisé, feint de se retirer devant lui, et cherche à l'attirer dans la plaine, afin qu'ils puissent l'attaquer ensemble, Gunther et lui; il montre ainsi un trait peu chevaleresque de son caractère, auquel nous le reconnaitrons dans les Nibelungen; car c'est lui qui frappera Sifrit traîtreusement, par derrière.

CHAPITRE IV

LA POÉSIE RELIGIEUSE

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La langue vulgaire appliquée à des sujets religieux. 1. La Prière de Wessobrunn et le Muspilli; mélange d'idées chrétiennes et de souvenirs païens. 2. Le Heliant; le Livre des Evangiles d'Otfrid de Wissembourg; différence des deux poèmes, au point de vue du style et de la versification. 3. Poèmes divers sur l'Ancien et le Nouveau Testament.

Si la langue latine, qui survivait dans les hymnes de l'Église, et les idiomes vulgaires, dans lesquels s'exprimait la poésie nationale, étaient restés invariablement attachés à un même ordre de sujets, un abîme aurait séparé la société ecclésiastique et la société laïque du moyen âge; mais il ne pouvait en être longtemps ainsi. Les deux sociétés, quelque différentes que fussent leurs habitudes intellectuelles, éprouvaient un besoin instinctif de se rapprocher et de se comprendre. Nous avons vu le latin appliqué, par la fantaisie de quelques moines, à un récit profane de même les dialectes de la Haute et de la Basse-Allemagne firent bientôt invasion dans le domaine de la légende sacrée. Si le clerc continuait de s'intéresser aux souvenirs guerriers qui lui restaient de ses aïeux, le laïque, de son côté, cherchait à fixer les enseignements de l'Église dans la langue qui lui était familière; et le clergé lui-même comprenait que, pour faire descendre les vérités religieuses dans le cœur de la nation, il était important de les traduire dans une forme qui les rendit accessibles à tous.

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Les frères Grimm ont publié, en 1812, une prière en dialecte haut-allemand mêlé de formes saxonnes, qui avait été découverte dans le cloître de Wessobrunn ou Weissenbrunn, en Bavière. Elle date probablement de la fin du Ve siècle, et se compose d'une quinzaine de vers allitérants, comme ceux du Chant de Hildebrant, si du moins la fin n'est pas écrite en simple prose; ce qui est certain, c'est que l'allitération est moins sensible dans la dernière partie. Le commencement est une définition poétique de l'éternité et de la toute-puissance de Dieu : « Quand la terre « n'était pas encore, ni le ciel au-dessus de nous, avant qu'il n'y <«< eût aucun arbre ni aucune montagne, quand le soleil ne brillait <«< pas encore et que la lune ne donnait pas sa lumière, quand la <«< mer n'était pas et qu'il n'y avait rien qui eût une limite ou un « contour, alors était le Dieu unique et tout-puissant. » L'auteur de ces vers se souvenait-il de certains détails de la cosmogonie germanique? Jacques Grimm l'a pensé1; mais, en tout cas, l'inspiration chrétienne domine.

Les traces de réminiscences païennes sont plus visibles dans un autre texte presque aussi ancien, qui date probablement du milieu du 1x siècle. C'est le Muspilli 2, un fragment d'une centaine de vers, qui retrace la fin du monde. Le Muspilli est la région du feu éternel; de là sortira l'Antéchrist, lorsqu'il livrera son dernier combat contre le ciel; la terre s'embrasera sous ses pas; les étoiles tomberont du firmament, et le Christ apparaîtra pour juger toutes les créatures. Le poème est écrit en haut-allemand pur; la forme est celle de l'allitération.

2. LEHELLAND ».

LE << LIVRE DES ÉVANGILES » D'OTFRID DE WISSEMBOURG.

Du moment que la doctrine était interprétée par des poètes et non plus par des théologiens, elle devait se fonder principalement sur les récits de la Bible, et en particulier sur ceux du

1. Deutsche Mythologie, p. 530.

2. Le meilleur texte du Muspilli et de la Prière de Wessobrunn se trouve dans les Denkmäler de Müllenhoff et Scherer. Sur la signification du mot, voir la

Mythologie allemande de J. Grimm, p. 568 et 768.

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