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Halbsuter ne se borne pas à louer le courage des vainqueurs; il insulte à la détresse des vaincus; il se rit de la douleur des veuves, de l'abandon des orphelins: la poésie populaire n'avait pas seulement emprunté au peuple la franche naïveté de son langage, mais aussi la rudesse de ses mœurs et la crudité de ses sentiments. Du reste, la chanson de Halbsuter se distingue par des qualités de premier ordre : le vers peut être irrégulier, la rime imparfaite, mais le récit est plein de vie. Aucun Minnesinger n'a jamais su peindre une bataille comme le soldat de Sempach: car le poète avait lui-même combattu dans les rangs des confédérés. Un siècle plus tard, Veit Weber, de Fribourg en Brisgau, célébra la victoire des Suisses sur Charles le Téméraire. Il était chanteur ambulant, et en même temps poète attitré de certaines villes, dont il portait les armoiries sur ses vêtements. Le chroniqueur suisse Diebold Schilling nous a gardé de lui cinq chansons, dont la plus remarquable est celle qui raconte la bataille de Morat. A la fin du siècle, une chanson anonyme rappelle encore la victoire de Dorneck, remportée par un corps confédéré sur une armée autrichienne. Toutes ces poésies témoignent sinon d'un grand art, du moins d'une inspiration très vraie et d'un ardent patriotisme.

En général, ce n'est point par l'art que la poésie populaire se recommande. L'union de la nature et de l'art, c'est la perfection, qui ne se rencontre qu'à l'apogée des littératures; mais, à défaut d'une union si rare, c'est encore la nature, c'est-à-dire la vérité, qui est le plus nécessaire à la poésie. Le chant populaire est l'expression immédiate et presque inconsciente d'un sentiment naturel. Il n'admet que les formes les plus simples. Une certaine négligence ne le dépare point; il ne fuit que l'affectation et le pédantisme. Quant aux sujets, il embrasse toutes les relations de la vie publique et privée, tous les aspects du monde physique et moral. Sa fécondité est prodigieuse. Une grande partie des chansons populaires du moyen âge ont péri, après avoir vécu quelque temps dans la tradition orale; celles qui sont parvenues jusqu'à nous ont été conservées dans des chroniques contemporaines, ou dans des recueils du xvre et du XVIIe siècle 1.

1. Recueils. - Un des recueils les plus anciens et les plus précieux est celui qui a été fait, à la fin du xvi siècle, par une religieuse nommée Clara Hatzler; il a été republié par C. Haltaus (Quedlinburg et Leipzig, 1840). — Dédaignée pendant tout le xvi siècle et pendant la première moitié du xvi, la poésie populaire reprit faveur au début de la période classique. Herder en recommanda l'étude

Quelques-unes sont devenues, entre les mains d'un Goethe ou d'un Uhland, de petits chefs-d'œuvre.

et l'imitation. Sa collection de chants populaires, dont une grande partie est consacrée aux littératures étrangères, et qui est comprise dans ses œuvres sous le titre de Voir des Peuples (Stimmen der Völker in Liedern), inaugura une longue série de publications semblables. Les plus importantes sont celles d'Arnim et Brentano (Des Knaben Wunderhorn, 3 vol., Heidelberg, 1806-1808), d'Uhland (Alte hoch- und niederdeutsche Volkslieder, Suttgart ot Tubingue, 1814-1845) et de Simrock (Die deutschen Volkslieder, Francfort, 1851). A consulter Uhland, Schriften zur Ge

schichte der Dichtung und Sage, 8 vol., Stuttgart, 1865-1873.

Pour les chansons historiques, consulter surtout: Soltau, Einhundert deutsche historische Volkslieder, Leipzig, 1836; et R. Liliencron, Die historischen Volkslieder der Deutschen vom XIII. bis XVI. Jahrhundert, 4 vol., Leipzig, 1865-1869. L'ouvrage le plus complet qui ait été publié en français est celui de Ed. Schuré : Histoire du Lied ou la Chanson populaire en Allemagne, Paris, 1868.

CHAPITRE V

LA POÉSIE RELIGIEUSE

1. Poèmes; abus croissant du merveilleux. La Vie de saint Oswald. La Récompense du monde et la Forge d'or de Conrad de Wurzbourg. Martine, de Hugo de Langenstein. La légende de sainte Elisabeth de Hongrie. 2. Cantiques. Traductions et imitations des hymnes de l'Église, par Hermann de Salzbourg. Les cantiques de Henri Laufenberg; mélange d'émotion vraie et d'afféterie mystique.

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La poésie religieuse continuait de suivre la direction que lui avaient imprimée des poètes comme Rodolphe d'Ems; elle n'était plus, pour ainsi dire, qu'une branche parasite de la littérature chevaleresque. La plupart des légendes rimées de la fin du moyen âge ne sont autre chose que des récits d'aventure dont les personnages sont des saints; l'intérêt romanesque y remplace le sentiment religieux. Telle est, par exemple, la Vie de saint Oswald, écrite d'abord au XII° siècle, et reprise deux fois au Xive. Les deux dernières rédactions nous sont seules parvenues ; les auteurs sont inconnus. Le caractère merveilleux de cette légende s'explique par son origine celtique; des animaux y jouent des rôles importants, comme dans les anciens contes gallois. Le héros est un roi d'Angleterre, qui recherche en mariage la fille d'un roi païen, nommé Aron. Un corbeau lui sert de messager, et les aventures du corbeau, qui se trouve plusieurs fois en danger de mort, ne sont pas la partie la moins bizarre du

1. L'une a été publiée par Ettmüller (Zurich, 1835), l'autre par Pfeiffer (dans la revue de Haupt, Zeitschrift für deutsches Alterthum, II).

récit. En vain le corbeau porte l'anneau d'Oswald au delà des mers et lui rapporte celui de la princesse Aron s'oppose au mariage. Alors Oswald prend les armes, pour conquérir sa fiancée. Dans un combat, il fait vou, si Dieu lui donne la victoire, d'accueillir à l'avenir toute demande qui lui sera faite au nom de Dieu. Il est vainqueur; tous les païens sont mis à mort; Aron seul est épargné, et se déclare prêt à recevoir le baptême, si on lui démontre que le dieu chrétien est le plus puissant des dieux. Oswald lui en donne aussitôt la preuve, en ressuscitant les païens étendus sur le champ de bataille. Aron, ayant retrouvé son armée, veut recommencer la lutte. Mais les siens refusent de lui obéir; car, dans l'intervalle, ils ont vu l'enfer, et ils craignent d'y être précipités une seconde fois. Oswald rentre dans son palais avec la princesse. A peine a-t-il pris sa place au festin de noces, qu'un pèlerin se présente et lui demande, au nom de Dieu, sa femme et sa couronne. Se rappelant son vœu, il invite l'étranger à se vêtir du manteau royal et à s'asseoir à côté de la reine. Or le pèlerin n'était autre que le Sauveur du monde; il rend à Oswald tous ses honneurs; mais il l'engage en même temps à renoncer aux biens de la terre et à se préparer à une mort prochaine.

De pareilles histoires étaient plutôt faites pour l'étonnement que pour l'édification des lecteurs. D'autres légendes étaient conçues dans le genre allégorique dont les plus parfaits modèles sont la Récompense du Monde et la Forge d'or de Conrad de Wurzbourg. Le Monde, un personnage de femme (die Werlte), est un assemblage de tous les vices, surtout de ceux qui se cachent sous des dehors brillants. Quant à la Forge d'or, le titre n'en ferait pas deviner le contenu, qui s'explique assez bien dans les premiers vers « Que ne puis-je, >> dit l'auteur en s'adressant à la sainte Vierge, « que ne puis-je, auguste Reine du ciel, dans la forge « de mon cœur, forger un poème d'or, incrusté de pensées d'es«< carboucle, et qui, par son éclat, soit digne de ta gloire? Mais « je manque d'art pour manier le marteau de ma langue... » Le poème contient, en effet, les louanges de la Vierge, et il est écrit tout entier dans ce style, qui fit passer Conrad de Wurzbourg pour le premier poète de son temps. Conrad étonna, du reste, ses contemporains par la fertilité de son esprit et l'agilité de sa plume. Il rima aussi les légendes de saint Alexis et du pape Silvestre, l'histoire du châtelain de Coucy, celle d'Amis et Amile

(sous les noms d'Engelhart et Engeltrut), et celle de Lohengrin, le Chevalier au cygne, sans parler d'un grand nombre de lais, de ballades et de chansons. Il ne put achever son poème de la Guerre de Troie, qu'un continuateur inconnu porta jusqu'aux environs de cinquante mille vers1. Dans la légende, il eut pour principal disciple un chevalier de l'ordre Teutonique, nommé Hugo de Langenstein, qui retraça le martyre de sainte Martine. Les vertus de la sainte, ce sont ses vêtements, que Dieu lui-même a préparés pour elle. La couronne qui est posée sur sa tête est formée de six fleurs l'humilité, la fidélité, la tempérance, la douceur, l'obéissance, la sagesse. Ce qui rend ces comparaisons encore plus fastidieuses, ce sont les développements qu'elles entraînent, et où l'auteur étale toute sa science théologique et laïque 2.

Les poètes, peu capables de recueillir et de ranimer les pieuses traditions d'autrefois, étaient quelquefois mieux inspirés par des légendes presque contemporaines et se rattachant à des souvenirs encore vivants. Une des saintes les plus vénérées de l'Allemagne fut Élisabeth de Hongrie, la femme de ce landgrave Hermann de Thuringe qui se signala parmi les plus zélés protecteurs des lettres. Sa vie a été racontée dès la fin du XIIe siècle 3. L'auteur est inconnu, mais il est probable qu'il était originaire de la Thuringe. On s'aperçoit que, dans son récit, le sentiment patriotique soutient l'émotion religieuse. La légende a été reprise, au commencement du xve siècle, par l'historien saxon Jean Rothe, chapelain de la landgrave Anne; mais il paraît que le souvenir des bienfaits et des souffrances d'Élisabeth était déjà bien affaibli, car le récit de Rothe n'est plus qu'une froide énumération de miracles.

1. Éditions. Der werlte lón, éd. de Franz Roth, Francfort, 1843. Die goldene Schmiede, éd. de W. Grimm, Berlin, 1840. W. Grimm a également publié le Silvester (Goettingue, 1811), et Roth l'histoire du châtelain de Coucy (Die Mähre von der Minne oder die Herzmähre von Konrad von Würzburg, Francfort, 1846) et celle du Chevalier au cygne (Der Schwanritter, Francfort, 1861). Engelhart ne nous est parvenu que dans un texte imprimé du xvr siècle (Francfort, 1573); Haupt a essayé de restituer le texte primitif (Leipzig, 1844).

2. Hugo de Langenstein nous apprend qu'il rapporta de Rome, en 1293, l'original latin dont il se servit; son poème n'a pas moins de 33 000 vers. Édition de A. Keller, Stuttgart, 1856.

3. Édition de M. Rieger, Stuttgart, 1868.

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