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DERNIÈRES RAMIFICATIONS DE LA POÉSIE HÉROÏQUE. 117

l'offensive. Le poème de la Bataille de Ravenne, de la fin du XIIIe siècle, retrace ses revers passagers et son triomphe définitif. Mais il est évident qu'au point de vue de la légende, le secours dont il a besoin ne peut lui être donné que par Attila, l'arbitre Souverain du monde héroïque, quoique, d'après l'histoire, Attila fût mort depuis une quarantaine d'années à l'époque de la prise de Ravenne par Théodoric. Par un autre anachronisme, Sifrit, l'ancien héros mythique, figure parmi les ennemis du roi des Goths; il est même vaincu par lui en combat singulier1.

Théodoric et ses vassaux, dont le plus célèbre est Hildebrant, paraissent encore dans une sorte de poème héroï-comique du XIVe siècle, le Jardin des roses. Douze chevaliers partent de Vérone pour relever le défi qui leur est porté au nom de douze des meilleurs combattants de la cour de Worms; douze fois ils triomphent et reçoivent la récompense convenue, une couronne de roses, un baiser de la bouche de Krimhilt, et un riche domaine. Ici encore Sifrit cède la victoire à Théodoric. Le plus exigeant parmi les vainqueurs est le moine Ilsan, que ses anciens compagnons d'armes avaient retiré de son monastère, et qui portait toujours une cuirasse cachée sous son froc: une figure connue dans les romans du moyen âge, le type de ce frère Jean des Entommeures pour lequel Rabelais a construit l'abbaye de Thélème 2.

3. POÈMES INSPIRÉS PAR LA CROISADE.

La poésie héroïque finissait, puisqu'elle tournait à la parodie. Cependant, avant de s'éteindre, elle subit une dernière transformation, qui lui rendit quelque attrait aux yeux des contemporains, mais qui fut loin de la renouveler; et ce fut principalement

1. Éditions. Die Rabenschlacht, dans le Livre des Héros de Von der Hagen et Primisser, deuxième partie. Nouv. éd., par E. Martin (Deutsches Heldenbuch, II, Berlin, 1866). Ce que le poème offre de plus intéressant, c'est un épisode, où est racontée la mort des deux fils d'Attila, qui ont voulu accompagner l'expédition. Un éditeur moderne a essayé de le séparer de l'ensemble: Ettmüller, Daz mære ron rroun Helchen sûnen, aus der Ravennaschlacht ausgehoben, Zurich, 1846. 2. Éditions. Von der Hagen et Primisser, Livre des Héros, première partie. W. Grimm, Der Rosengarte, Goettingue, 1836.

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Le Petit Jardin des Roses (der kleine Rosengarten) est un autre nom du poème de Laurin, où est racontéo la lutte engagée par Théodoric contre des nains et des géants pour la délivrance d'une princessc. - Éditions de Oskar Janicko (Deutsches Heldenbuch, I, Berlin, 1866) et de K. Müllenhoff (Berlin, 1874). Traduction de Bückmann et Hesse (Zwergkönig Laurin, Leipzig, 1879).

dans le cycle légendaire des Goths que cette transformation s'opéra. Après que les croisades eurent donné une direction nouvelle à l'imagination poétique, on attribua à certains héros, qui figuraient autrefois dans l'entourage de Théodoric, des expéditions lointaines en Orient. Tantôt on se bornait à transporter sur les confins de l'Asie des aventures dont la Germanie du Nord avait d'abord été le théâtre : c'est ainsi que Rother épousa la fille de l'empereur d'Orient, et que Hugdietrich et Wolfdietrich furent élevés sur le trône de Constantinople1. D'autres fois, on rajeunissait une vieille légende païenne avec des souvenirs bibliques. On faisait conquérir, par exemple, la fameuse robe grise de JésusChrist à Orendel, personnage mythique, devenu roi de Trèves 2, ou l'on identifiait le roi Salomon avec Salman, roi des Francs, qui, aidé de son frère Morolt, ramenait deux fois dans son palais son épouse fugitive 3. La tradition épique se démembrait, se dissolvait, se fondait dans la poésie d'aventure et dans la légende pieuse, qui elles-mêmes se distinguaient à peine l'une de l'autre..

1. Éditions. Le König Rother, qui appartient encore au XIIe siècle, a été publié par Massmann (Deutsche Gedichte des XII. Jahrhunderts, Quedlinburg, 1837) et par H. Rückert (Leipzig, 1872). Comparer la Vilkina-Saga, dans les Eddas. Édition du Hugdietrich par Echsle, Stuttgart, 1834; traduction de W. Hertz, Stuttgart, 1863. - Holtzmann, Der grosse Wolfdietrich, Heidelberg, 1865. Jacques Ayrer a porté les deux sujets de Hugdietrich et de Wolfdietrich au théâtre. 2. Éditions. Von der Hagen, Der ungenähte graue Rock Christi, Berlin, 1844. A. E. Berger, Orendel, Bonn, 1888. Comparer J. Grimm, Deutsche Mythologie, I, p. 347.

3. Dans un autre poème, qui a été souvent remanié et réimprimé jusqu'à la fin du xvi siècle, Morolt, ou Markolf, est présenté comme un paysan dont l'esprit naturel est opposé à la sagesse de Salomon. Le poème dérive d'une source latine; ce qu'il contient surtout, ce sont de grossières plaisanteries de moine. Le sujet a été mis en drame par Hans Folz, vers la fin du xve siècle. Édition de F. Vogt (Die deutschen Dichtungen von Salomon und Markolf, Halle, 1880).

4. Le Duc Ernest. Il faut citer encore ici le poème du Duc Ernest, bien qu'il n'appartienne pas à la tradition épique proprement dite. C'est le répertoire le plus complet des récits merveilleux qu'on empruntait à l'Orient. Ernest, duc de Bavière, ayant été mis au ban de l'Empire, part pour la terre sainte; mais il n'y arrive qu'après beaucoup d'aventures. Il ne lutte pas seulement contre des nains et des géants, mais contre des hommes à tête de grue, ou n'ayant qu'un œil au milieu du front comme les cyclopes, ou de longues oreilles qui leur couvrent tout le corps, et il est bien justo que de telles épreuves lo fassent rentrer en grâce auprès de l'empereur. Le poème n'existe pas dans sa forme primitive. Il a été souvent remanié et enfin mis en prose au xv siècle. Les plus anciens fragments ont été publiés par Hoffmann de Fallersleben (Fundgruben für Geschichte deutscher Sprache und Litteratur, 2 vol., Breslau, 1830-1837; premier volume). Une édition plus complète a été donnée par K. Bartsch (Herzog Ernst, Vienne, 1869).

CHAPITRE II

DÉCADENCE DE LA POÉSIE CHEVALERESQUE

Continuateurs et compilateurs.

1. Imitateurs de Wolfram d'Eschenbach; le Nouveau Titurel; Lohengrin. — 2. Le Service des Dames, d'Ulric de Lichtenstein; essai de réaliser l'idéal chevaleresque. 3. Hadlaub. Les poètes d'armoiries.

La poésie héroïque, reposant sur une tradition nationale, et intéressant toutes les classes de la société, produisit jusqu'à la fin du moyen âge des ouvrages plus ou moins intéressants. Il n'en fut pas de même de la poésie chevaleresque. Celle-ci ne répondait qu'à un goût passager, ne s'adressait qu'à un public restreint. Elle suivit la chevalerie elle-même dans sa décadence, et la révolution politique qui mit une part du pouvoir entre les mains des communes lui porta le dernier coup. La période vraiment féconde de la poésie chevaleresque n'embrasse guère qu'une quarantaine d'années, de 1180 à 1220. Après ce court intervalle, on ne trouve plus que des continuateurs, des compilateurs, ou des écrivains dont la seule originalité consiste à exagérer les défauts des anciens maîtres.

1. - LE NOUVEAU TITUREL ». — « LOHENGRIN ».

Les derniers poèmes chevaleresques qui avaient paru avant le grand interrègne étaient déjà des œuvres d'imitation. Les imitateurs de ce temps-là ne se distinguent de ceux de l'âge suivant que par le choix des modèles. Aussi longtemps que la courtoisie régna, on s'attacha surtout à reproduire l'élégante simplicité de Hartmann d'Aue, ou la grâce passionnée de Gotfrit de Strasbourg. Plus tard, on préféra la rudesse mystique de Wolfram

d'Eschenbach. Un écrivain de la fin du XIe siècle, nommé Albrecht ou Albert 1, se chargea de terminer le Titurel ; il encadra les fragments laissés par Wolfram dans un immense poème, qu'il porta au delà de 45 000 vers. Les disciples de Wolfram d'Eschenbach imitaient aussi le maître par la longueur démesurée de leurs ouvrages. Le Nouveau Titurel, malgré son style obscur, eut un grand succès; il fut imprimé dès l'année 1477. Un autre poète, resté inconnu, traita le sujet de Lohengrin, qui est indiqué dans quelques strophes du Parzival. Lohengrin, fils de Parzival, est envoyé par le roi Arthur au secours de la princesse Elsa de Brabant. Il aborde sur la côte d'Anvers, dans une nacelle conduite par un cygne. Ayant délivré Elsa, il l'épouse; mais il lui interdit de l'interroger sur son origine. Elsa promet de respecter un mystère auquel elle doit son salut; mais elle oublie bientôt sa promesse. A peine a-t-elle adressé au chevalier la question fatale, qu'il reprend la mer et s'éloigne 2. Ce récit est mis dans la bouche même de Wolfram d'Eschenbach. L'auteur suppose, en effet, que Wolfram veut prouver sa supériorité sur le magicien Klingsor en racontant une aventure qui n'est connue que de lui. Le poème est ainsi présenté comme une continuation de la Lutte des chanteurs à la Wartbourg.

2. LE « SERVICE DES DAMES » D'ULRIC DE LICHTENSTEIN.

Lorsqu'un écrivain doué d'un génie plus personnel s'essayait dans un sujet nouveau, il ne rencontrait d'ordinaire que les conceptions les plus chimériques. Ulric de Lichtenstein tenta une dernière fois de ranimer la chevalerie éteinte; mais il ne réussit qu'à rendre ridicule ce qu'il voulait faire admirer. Il est lui-même le héros des aventures qu'il raconte. Tout jeune, il conçut le projet de s'illustrer à sa manière. « J'étais encore un tout petit <«< enfant, » dit-il, « lorsque j'entendis répéter ce qui se lisait dans <«< les livres et ce que confirmait l'opinion de tous les sages, à savoir << qu'un homme ne peut s'élever en dignité et gagner le prix d'une << noble vie qu'en vouant aux dames un service constant et fidèle.

1. On l'a identifié, sur un témoignage très douteux, avec un poète de la même époque, Albert de Scharfenberg. Voir: Zeitschrift für deutsches Alterthum, XXVII, p. 158.

2. Édition de H. Rückert, Quedlinburg, 1858. — Adaptation moderne de Junghans, Leipzig, 1879. Sujet repris par Richard Wagner.

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« On ne saurait avoir, disaient encore les sages, joie et contente

«ment de cœur qu'en aimant, à l'égal de soi-même, une dame dis

tinguée par ses vertus : ainsi avaient fait les glorieux chevaliers

« d'autrefois. J'étais un enfant alors, de peu d'esprit, comme sont « les enfants, et m'amusant à chevaucher sur les bâtons; mais, * malgré mon inexpérience, je faisais cette réflexion : Puisqu'il n'y « a que les dames qui puissent rehausser un homme, je veux, quoi qu'il arrive, passer ma vie dans leur service1. »

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Il choisit donc une dame, la plus belle et la plus chaste dont il eût entendu parler. Il ne la nomme pas, mais il faut croire qu'elle a existé, puisqu'il la servit de longues années, d'abord comme page, puis comme chevalier, et qu'il ne la quitta enfin qu'après avoir reçu d'elle des marques non équivoques d'indifférence. Il s'adressa ensuite à une autre, qui, dit-il, le fit moins languir. Ce qu'il accomplit de plus merveilleux, ce fut de représenter en personne la sortie de la déesse Vénus du sein de la mer Adriatique à Venise, et de la faire voyager en grande pompe jusqu'en Bohême, où un tournoi fut donné en son honneur. Il rétablit aussi la Table ronde, en 1240; il prit le nom du roi Arthur, et ses amis ceux des compagnons du roi.

Ulric de Lichtenstein fut un de ces hommes qui veulent réaliser ; leur idéal et l'introduire dans la vie. Certains d'entre eux ont payé leur erreur de leur vie; le werthérisme et le romantisme firent plus tard des victimes célèbres. La folie d'Ulric lui coûta moins cher; elle ne fit que le ruiner. Tandis qu'il courait les grands chemins sous le costume de Vénus, ses voisins, autrefois ses meilleurs amis, dit-il, surprenaient et démantelaient ses manoirs; le château de Lichtenstein fut détruit en 12682.

1.

« Dô ich ein kleinez kindel was,

« do hort ich ofte daz man las,

« und hört ouch die wisen sagen,
daz niemen wol bi sinen tagen

« erwerben möhte werdekeit,

« wan der ze dienest wær bereit

⚫ guoten wiben sunder wanc

« die heten hohen habedanc...

- Édition de K. Lachmann: Ulrich von Lichtenstein, Berlin, 1811; Vrouwen dienest, p. 3, v. 5 et suiv.

2. Le Frauendienst fut terminé en 1255; deux ans après, Ulric de Lichtenstein composa le Livre des Dames (Der vrouwen buoch), une suite de conversations galantes entre un chevalier et une dame.

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