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crites de la liturgie, qui les avait reçues des Évangiles. Toute la scène de la résurrection repose sur un chapitre de l'Évangile selon saint Marc. Le plus ancien recueil de ces tirades dialoguées ou tropes paraît remonter au commencement du xe siècle, et a été fait au monastère de Saint-Gall, peut-être par ce moine Totilon dont les Chroniques retracent la puissante activité. Tout simples qu'ils étaient, les tropes contenaient les deux éléments constitutifs du drame, le dialogue et le décor. Le dialogue était en quelque sorte stéréotypé, mais l'imagination s'exerçait librement sur le décor, et ne se faisait pas faute de l'embellir. Il n'y avait pas ce que nous appelons des changements de scène; les lieux où se passait l'action étaient présentés au spectateur, non pas successivement, mais simultanément, et son attention était appelée tour à tour sur les différents compartiments de ce théâtre multiple. Quant aux sujets, l'année les amenait dans son cercle; c'étaient, outre la Nativité et la Passion, l'Adoration des Mages, avec leur étoile attachée au bout d'un fil, le massacre des saints Innocents, avec les gémissements des mères et avec les fureurs d'Hérode, dont Hamlet se souvient encore dans ses recommandations aux comédiens; c'étaient enfin, mais seulement plus tard, des épisodes de la vie des saints, à propos de l'office du jour. Quand la représentation se prolongeait, on la remettait à la fin du service ce fut un premier pas vers une séparation complète. Le drame prenait ordinairement pour point de départ le chant; mais un exemple curieux montre qu'il pouvait également se rattacher au sermon. On a conservé un sermon qui se disait le jour de Noël, et qu'on attribuait faussement à saint Augustin; c'était une véhémente apostrophe aux Juifs, qui restaient sourds à tous les appels de leurs anciens prophètes : « D'après votre loi, » leur disait-on, «< deux témoins suffisent pour certifier la vérité; mais « combien de témoignages se sont produits en faveur de Jésus« Christ! » Le prédicateur évoquait tour à tour Isaïe, Jérémie, Daniel, Moïse, David, citant les passages caractéristiques de chacun. A leur suite se rangeaient le vieux Siméon, Zacharie et Élisabeth, saint Jean-Baptiste, et les païens qui, à leur insu, et peut-être malgré eux, avaient prédit l'avénement du Christ. On citait le vers de Virgile : Jam nova progenies celo demittitur alto (Voici un rejeton nouveau qui descend du haut des cieux). On demandait à Nabuchodonosor ce qu'il avait vu dans la fournaise où il avait fait jeter trois hommes justes, et il répondait : «Ne les ai-je pas fait

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<< enchaîner? Les voici qui marchent dans la flamme, libres de <«<leurs liens, et un quatrième est avec eux, qui ressemble au Fils «< de Dieu. » La série se terminait par la Sibylle, qui, dans une tirade en vers hexamètres, annonçait le retour du Sauveur pour le jugement final. Plus tard le sermon fut coupé en dialogue, et les personnages apparurent avec des emblèmes qui les faisaient reconnaître Moïse avec les tables de la Loi, Jérémie en costume sacerdotal, saint Jean-Baptiste pieds nus et vêtu de bure1. On remonta bientôt, dans la série des patriarches, jusqu'à Adam. Un jeu dramatique, représenté à Ratisbonne en 1194, commençait à la création et à la chute de l'homme, et s'étendait jusqu'aux prophètes. D'autres fois, comme la prophétie se confirmait par le fait prophétisé, on prolongeait l'action jusqu'à la Nativité tel est le contenu d'un manuscrit du XIe siècle, originaire du couvent de Benedictbeuren dans la Haute-Bavière, et où l'on voit d'abord saint Augustin entouré du chœur des prophètes, et à la fin l'Église victorieuse dans sa lutte contre les faux dieux 2.

Le drame du moyen âge, n'ayant d'autre but que l'édification, étranger du reste à toute préoccupation d'art, avait en lui-même une tendance à se développer indéfiniment. Tout se tient dans l'économie du salut; le fait de la chute amène celui de la rédemption, et ces deux points extrêmes sont reliés entre eux par une chaîne ininterrompue de prophéties. Même l'avénement du christianisme, au point de vue religieux du XIIIe siècle, ne concluait rien définitivement; ce n'était que le fait central au delà duquel, dans le passé comme dans l'avenir, s'ouvraient des perspectives infinies. La seconde venue du Sauveur ne devait-elle pas confirmer la première? Et, dans l'intervalle, la lutte contre l'Esprit du mal ne devait-elle pas se continuer? Il était convenu que Satan ne serait désarmé qu'au dernier jour. Le drame n'embrassait pas toujours tout le vaste domaine de l'histoire sacrée, mais, en général, il était plutôt porté à se répandre et à s'amplifier qu'à se circonscrire.

Dans le Jeu de l'Antechrist, composé vers 1160, et provenant du monastère de Tegernsee dans la Haute-Bavière, on trouve pour la première fois des allusions aux événements contemporains, singulièrement mêlées à la légende ancienne. La scène représente

1. Voir Sepet, Les Prophètes du Christ, Paris, 1878.

2. Ludus scenicus de nativitate Domini, publié par Schmeller, Stuttgart, 1847.

à la fois le temple de Jérusalem et le trône du Saint-Empire romain. Le drame s'ouvre par l'entrée solennelle des personnages, en partie allégoriques : la Synagogue, avec le roi de Jérusalem; le Paganisme, avec le roi de Babylone; ensuite l'Église, avec la Justice et la Miséricorde; à sa droite, le pape et le clergé; à sa gauche, l'empereur et ses chevaliers. L'empereur soumet, par la persuasion ou par la force, tous les souverains chrétiens; puis il triomphe du roi de Babylone, et il dépose sa couronne dans le temple de Jérusalem. Apparaît l'Antéchrist: c'est comme le second acte du drame. Devant lui marche le chœur des Hypocrites; à sa droite, l'Hypocrisie elle-même; à sa gauche, l'Hérésie. Il séduit le roi de France par des présents, l'empereur par des miracles. Les juifs et les païens lui rendent hommage. En vain les prophètes Énoch et Élie cherchent à ramener le troupeau égaré; ils souffrent le martyre. Mais l'Antéchrist est foudroyé, au moment où il s'apprête à recevoir l'adoration du monde 1. L'unité d'action est sacrifiée à l'unité morale, et la conclusion arrive quand les dernières prophéties sont accomplies, en dépit des puissances de l'enfer.

Dans le Jeu de l'Antéchrist, aussi bien que dans les Prophètes du Christ, le drame n'est déjà plus un simple accompagnement du culte; il est construit d'après un plan; il existe par lui-même. Il ne lui reste plus qu'un progrès à faire pour se rapprocher de la vie c'est d'adopter la langue vulgaire. Cette révolution se fera dans la période suivante.

1. Ludus paschalis de adventu et interitu Antichristi. Zezschwitz, Vom römischen Kaisertum deutscher Nation, ein mittelalterliches Drama, Leipzig, 1877. W. Meyer, Der ludus de Antichristo, Munich, 1882.

CHAPITRE IX

CHRONIQUES EN VERS

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Caractère fabuleux de l'histoire. Le type de l'histoire universelle d'après la Chronique des Empereurs. La Chronique du Monde et l'Histoire des ducs d'Autriche de Jans Enikel; la Chronique du Monde de Rodolphe d'Ems.

Aux époques où la science n'est pas encore venue féconder le champ littéraire, l'historien ne peut parler avec sûreté que des événements dont il a été témoin, ou dont il n'est pas séparé par un trop long intervalle. Tout le passé est couvert, pour lui, d'un voile épais; il ne l'entrevoit qu'à travers les préjugés de son temps, et il ne peut le reconstruire que d'après des idées préconçues. Ce qui préoccupe surtout les historiens allemands du moyen âge, si on peut les appeler du nom d'historiens, c'est de montrer comment le moderne Empire romain se rattache à l'ancien, et comment l'un et l'autre n'ont été institués qu'en vue de l'Empire spirituel, qui finira par englober tous les royaumes terrestres. L'invasion germanique avait jeté un abîme entre l'antiquité et les temps nouveaux : c'est cet abîme qu'ils s'efforcent de combler; et l'on pourrait croire, en les lisant, que, depuis César jusqu'à Charlemagne, rien n'interrompit la marche régulière et presque paisible de la civilisation.

Le type de l'histoire universelle, telle qu'on la concevait en Allemagne au moyen âge, c'est la Chronique des Empereurs, qui commence à Jules César, et qui s'arrête, dans sa première rédaction, à l'empereur Conrad III. Elle fut continuée plus tard jusqu'à Frédéric II, et enfin jusqu'à Rodolphe de Habsbourg. Elle dérive elle-même d'une chronique plus ancienne, comme nous l'apprennent les premiers vers : « Il existe un livre allemand,

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appelé Chronica, qui nous renseigne sur les papes et sur les «< empereurs, les bons et les mauvais, qui ont vécu avant nous. » Mais l'auteur puise également dans des poèmes; certains passages montrent une analogie frappante avec la Chanson d'Annon. L'empreinte du livre est ecclésiastique; le but est de réagir contre la popularité des récits profanes. « Une coutume funeste, » est-il dit, « a prévalu de nos jours. Des poètes inventent des mensonges, et emploient leur art à les faire accroire aux hommes. Je crains « bien que, pour ce péché, leur âme ne brûle un jour dans l'enfer; <«< car ce n'est pas l'amour de Dieu qui les inspire. Les enfants << apprennent ainsi des erreurs, et les répètent à leur tour, jusqu'à « ce que l'erreur passe enfin pour vérité 1. »

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La Chronique des Empereurs fut une mine féconde où puisèrent à l'envi les historiens du moyen âge. Parmi ceux dont la réputation se maintint le plus longtemps, il suffit de citer l'Autrichien Jans Enikel 2, auteur d'une Chronique du Monde et d'une Histoire des dues d'Autriche, l'une et l'autre écrites en vers; la seconde, bien qu'elle s'étende jusqu'au milieu du XIe siècle, est presque aussi fabuleuse que la première. Le fertile écrivain Rodolphe d'Ems, que nous avons cité pour ses légendes, avait commencé aussi une vaste compilation historique, sous le titre de Chronique du Monde; il ne put la mener que jusqu'au règne de Salomon. Tous ces ouvrages, par les récits merveilleux qu'ils contiennent, confinent de près aux poèmes chevaleresques et légendaires; leur principal intérêt est dans l'originalité du plan et dans la grâce naïve de certains détails 3.

1. Der keiser und der kunige Buoch, oder die sogenannte Kaiserchronik, édition de Massmann, 3 vol., Quedlinburg, 1849-1854. Nouvelle édition, par Edw. Schroeder, dans les Monumenta Germaniæ historica: Deutsche Chroniken, I, Hanovre, 1892. 2. Jans Enikel ou Enenkel, ou Jansen (Jean) Enkel.

3. Chroniques latines. Nous ne tenons compte que des ouvrages en langue vulgaire. Parmi les chroniqueurs allemands qui ont écrit en latin, il faudrait citer surtout Adam de Brême, qui a retracé, dans la seconde moitié du xre siècle, les Gestes des Pontifes de l'Église de Hambourg et leurs efforts pour répandre le christianisme dans les régions septentrionales; son contemporain, Lambert de Hersfeld, dont la Chronique embrasse l'histoire du monde jusqu'à l'époque des empereurs de la maison de Saxe et de leurs querelles avec le Saint-Siège; enfin Otton de Freisingen, fils du margrave Léopold d'Autriche et neveu de l'empereur Henri V, qui a écrit les Gestes de Frédéric Barberousse et une Chronique en huit livres où il reprenait l'histoire du monde depuis l'origine. Les Chroniques de Saint-Gall (Casus monasterii Sancti-Galli), rédigées d'abord en latin, furent plus tard continuées en allemand. Ce n'est que dans la période suivante que nous trouverons des ouvrages historiques en prose allemande.

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