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donner son péché, et le pape lui répondit : « Quand ce bâton sur <«<lequel je m'appuie poussera des feuilles, tu seras pardonné. » Il s'en alla, désespéré. Trois jours après, on vit le bâton fleurir. Mais on ne put retrouver le Tannhæuser; il était retourné dans la montagne de Vénus. Une vieille ballade ajoute : « Le pape « perdit sa propre âme, pour avoir perdu une âme de pécheur. » Une autre légende, consignée dans le poème de la Lutte des chanteurs à la Wartbourg, met en présence des poètes connus, Wolfram d'Eschenbach, Walther de la Vogelweide, Reimar de Zweter, avec des personnages inconnus, comme Henri d'Ofterdingen, ou même fabuleux, comme le magicien Klingsor. Les sujets proposés sont d'abord l'éloge d'un prince, ensuite des énigmes à résoudre, qui restent obscures, même après que la solution en a été donnée. L'événement est censé se passer devant le landgrave Hermann, dans les premières années du XIIIe siècle, c'est-à-dire à une époque où l'un des chanteurs, Reimar de Zweter, était à peine né. Le poème, qui date de la fin du siècle, est fragmentaire, et paraît n'avoir jamais existé qu'à l'état de fragments. Le style est inculte; c'est une des productions les plus informes du moyen âge 1.

Ed.

1. Der Singerkriec uf Wartburc, édition de L. Ettmüller, Ilmenau, 1830. de Simrock, avec traduction, Stuttgart, 1858. L'origine de la légende a été cherchée jusqu'en Orient. La sentence d'après laquelle le vaincu doit avoir la tête tranchée paraît empruntée à la tradition scandinave : dans l'Edda, le géant Wafthrudnir engage sa vie en disputant à Odin le prix du chant. Richard Wagner a fondu les deux légendes, celle du Tannhæuser et celle de la Lutte des chanteurs, en un seul drame musical.

CHAPITRE VIII

COMMENCEMENTS DE LA POÉSIE DRAMATIQUE

Souvenirs de l'antiquité. - 1. Les comédies de Hrotsuith; la manière dont elle comprend l'imitation de Térence. 2. Origines religieuses du théâtre populaire. Intermèdes figurés dans les cérémonies du culte. Première forme des Jeux de la Passion et des Jeux de Noël. Les Prophètes du Christ. Le Jeu de l'Antéchrist.

Le moyen âge fut obligé de chercher la forme dramatique, comme si l'antiquité grecque et latine n'avait pas existé. On lisait bien les auteurs anciens, on les commentait même, mais les souvenirs de la vie ancienne étaient très obscurcis. Ce que nous appelons la critique historique ou littéraire était dans l'enfance. Chacun accommodait naïvement ce qu'il lisait aux circonstances au milieu desquelles il vivait. On se représentait volontiers une tragédie ou une comédie comme une récitation où le même personnage disait successivement tous les rôles. Une églogue de Virgile était assimilée à une comédie de Térence. Quant à la distinction des genres, on n'en avait que des idées confuses. La tragédie était une pièce dont le commencement était heureux et la fin malheureuse; la comédie, c'était le contraire. La nécessité de la forme dialoguée ne venait qu'en seconde ligne. La Pharsale de Lucain était citée comme une tragédie, et Dante ne faisait qu'emprunter le langage de son temps, lorsqu'il donnait le nom de Divine Comédie à son poème, où, après le spectacle des tourments de l'enfer, il dévoilait devant les yeux de ses lecteurs les joies du paradis.

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Le peu de notions qu'on avait du théâtre latin se groupaient autour du nom de Térence; on le préférait à son émule Plaute,

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sans doute parce qu'on le comprenait mieux; on en faisait des extraits; on lui empruntait des maximes. Mais les sujets de ses pièces ne laissaient pas de scandaliser parfois les âmes pieuses. Il fallait que son influence fût grande, pour que, dès la fin du Xe siècle, on sentît le besoin d'avoir une sorte d'Anti-Térence : car c'est bien là le caractère de l'œuvre qui a rendu célèbre le nom de Hrotsuith, religieuse de Gandersheim, en Saxe. Térence avait laissé six comédies; elle en composa six. Elle les écrivit en prose, ignorant sans doute les lois du trimètre ïambique, et croyant encore en cela imiter le poète latin. Mais c'est surtout l'effet moral de l'ancienne comédie qu'elle voulait détruire : c'est ainsi qu'elle entendait l'imitation. Imiter, c'était, pour elle, suivre le même chemin pour atteindre un but différent. « D'autres, dit-elle, «lisent Térence; moi je veux l'imiter; dans le même genre poétique où l'on présente d'ordinaire les opprobres des femmes «< impudiques, je veux célébrer la chasteté des vierges saintes. >> Elle montre tantôt une jeune pécheresse ramenée dans la voie de l'abstinence par les conseils ou par l'exemple d'un ermite, tantôt la convoitise d'un chef barbare vaincue et réduite au silence par la vertu inébranlable. d'une chrétienne. Toute son œuvre est une glorification de la virginité, et elle se complaît dans cette œuvre. Elle s'édifie elle-même en écrivant, et elle sait qu'elle édifiera ses compagnes. Elle ne résiste même pas au plaisir de les instruire en passant, et de leur faire connaître, quand l'occasion s'en présente, quelque détail de ses lectures, ordinairement fort déplacé. Quant à lui prêter un public composé des évêques et des seigneurs du voisinage, ou même un petit théâtre comme celui de Mme de Maintenon à Saint-Cyr, « les rôles étant tenus par de jeunes sœurs qui avaient obtenu dispense pour s'habiller en hommes1», ce sont de pures fictions. romanesques. Les comédies de Hrotsuith ne franchirent guère le petit cercle des premiers initiés; on n'en trouve aucune mention dans les siècles suivants; Conrad Celtès les publia, au temps de la Renaissance, d'après l'unique manuscrit où elles se sont conservées, et dès lors leur date reculée et leur caractère exceptionnel en ont fait un objet de curiosité érudite. Mais elles n'eurent aucune influence sur le théâtre du moyen âge, qui devait

1. Heinrich, Histoire de la littérature allemande, 1er vol. Villemain, Littérature au moyen âge, 20° leçon.

trouver en lui-même, en dehors de toute imitation antique, les conditions de son développement 1.

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Les comiques latins, et par aventure les tragiques grecs, étaient la lecture des clercs; ils étaient étrangers à la société laïque, aux seigneurs comme aux vilains. Or, un théâtre n'est pas une création savante, ni une fantaisie de lettrés; il n'est pas le divertissement de quelques-uns, il ne peut être que l'organe de tous. Ce n'est donc pas de l'imitation antique que pouvait sortir un dramė réellement populaire.

Il n'y avait qu'une voix, au moyen âge, qui trouvât de l'écho dans toutes les âmes: c'était la voix du prêtre qui annonçait le salut. Un seul lieu réunissait tous les hommes, de quelque condition qu'ils fussent : c'était l'église. Le chevalier avait son manoir, le manant avait son taudis; chacun avait la maison de Dieu. L'un y venait expier ses brigandages, l'autre y cherchait l'oubli de ses misères, et pendant un instant une même pensée de paix les unissait. Le théâtre du moyen âge, comme autrefois le théâtre grec, sortit du culte; mais la ressemblance s'arrête là. L'origine fut la même, l'esprit et le but furent différents.

Le but qu'on se proposait en ajoutant des intermèdes figurés aux cérémonies du culte ne fut d'abord que d'augmenter l'effet de la parole et du chant. La messe que le prêtre disait devant l'autel n'était-elle pas déjà une sorte de drame symbolique? Quoi de plus naturel que de dégager le symbole et de reconstituer le fait qui lui avait donné naissance? Cela pouvait même sembler d'autant plus nécessaire, que les paroles latines n'avaient en elles-mêmes aucun sens pour le peuple. En frappant son imagination, on venait en aide à son ignorance. C'était surtout aux

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1. Éditions et traductions. Ed. de Conrad Celtès, Nuremberg, 1501. Éditions modernes de K. A. Barack (Nuremberg, 1858), de J. Bendixen (Lubeck, 1858) et de P. de Winterfeld (Berlin, 1902). Ed. de Ch. Magnin, avec traduction française, Paris, 1845. J. Aschbach (Roswitha und Conrad Celtes, Vienne, 1867) considère Conrad Celtès comme l'auteur des six comédies. Un curieux essai de représenter les pièces de Hrotsuith sur un théâtre de marionnettes a été fait à Paris: voir Anatole France, La Vie littéraire, 3a série, Paris, 1891. Autres ouvrages de rotsuith. Hrotsuith a composé, en outre, plusieurs poèmes latins: un Panegyrique des Ottons, empereurs de la maison de Saxe; une Histoire de la fondation de l'abbaye de Gandersheim, de la Nativité de la Vierge, de l'Ascension du Sauveur. Elle a, entin, versifié plusieurs légendes de saints.

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grandes fêtes de l'année qu'on illustrait ainsi l'office divin. Le jour du vendredi saint, par exemple, une croix était dressée dans le chœur. Le service fini, on l'enveloppait d'un linceul, et on la déposait solennellement à côté de l'autel. La veille de Pâques, on l'enlevait, et, pendant l'office du lendemain, un frère revêtu de l'aube et tenant une palme dans sa main allait s'asseoir près du linceul vide. Trois autres frères, couverts de leur froc et portant des encensoirs, s'approchaient de lui lentement, et le dialogue suivant s'engageait : « Qui cherchez-vous dans ce tombeau1? « Jésus de Nazareth, le Crucifié. - Il n'est pas ici, il est ressus<«< cité, comme il l'a prédit. Allez, dites aux disciples qu'il est sorti « du tombeau. » Et, se tournant vers le chœur, les trois frères répétaient «< Alleluia! Le Seigneur est ressuscité! » D'autres fois, on faisait paraître les saintes femmes, et l'ange qui gardait le sépulcre leur demandait : « Qui cherchez-vous ici, ô chré<< tiennes?» Et il soulevait le linceul, pour montrer que le tombeau était vide. Enfin le Sauveur lui-même apparaissait à MarieMadeleine, qui épanchait ses plaintes devant lui: ce fut plus tard, quand le drame eut pris une certaine liberté, un beau texte à développements lyriques 2.

Une scène semblable se jouait à Noël, avant la messe, de l'aurore. Une crèche était placée derrière l'autel, à côté d'une image de la Vierge. Un enfant apparaissant dans un lieu élevé et figurant un ange annonçait la bonne nouvelle aux bergers. Ceux-ci s'avançaient à travers le chœur, tandis que du haut de la voûte retentissait le Gloria in excelsis. Un prêtre leur demandait : «Que cherchez-vous dans l'étable? Le Sauveur, le Christ, <«<le Seigneur, » répondaient-ils, et, après avoir salué la crèche, ils s'éloignaient en chantant: « Alleluia! »

Si l'on cherchait à donner de l'éclat à ces spectacles, la conception en était fort simple. Non seulement on ne se mettait pas en frais d'invention, mais on se serait fait scrupule d'altérer un texte considéré comme sacré. Tel fut du moins l'esprit primitif du drame ecclésiastique. Les paroles qu'on mettait dans la bouche des personnages costumés étaient littéralement trans

1. Quem quæritis in hoc sepulcro? cte. Tout le dialogue était en latin. 2. Le manuscrit de Fleury-sur-Loire, conservé à la Bibliothèque d'Orléans, introduit même ici un changement de costume. Le Christ apparaît d'abord sous la forme d'un jardinier, ensuite comme le Roi du ciel, tenant une bannière croisée à la main.

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