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CHAPITRE XIII.

Cerimonie de l'entreveue des roys.

Il n'est subiect si vain qui ne merite un reng en cette rapsodie. A nos regles communes, ce seroit une notable discourtoisie, et à l'endroict d'un

pareil, et plus à l'endroict d'un grand, de faillir à vous trouver chez vous quand il vous auroit adverty d'y debvoir venir : voire, adioustoit la royne de Navarre Marguerite à ce propos, que c'estoit incivilité à un gentilhomme de partir de sa maison, comme il se faict le plus souvent, pour aller au devant de celuy qui le vient trouver, pour grand qu'il soit; et qu'il est plus respectueux et civil de l'attendre pour le recevoir, ne feust que de

peur de faillir sa route; et qu'il suffit de l'accompaigner à son partement. Pour moy i'oublie souvent l'un et l'aultre de ces vains offices; comme ie retranche en ma maison autant que ie puis de la cerimonie. Quelqu'un s'en offense, qu'y feroy ie? Il vault mieulx que je l'offense pour une fois,

ie que moy touts les iours; ce seroit une subiection continuelle. A quoy faire fuit on la servitude des courts, si on l'entraisne iusques en sa taniere? C'est aussi une regle commune en toutes assemblees, qu'il touche aux moindres de se trouver les pre

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miers à l'assignation, d'autant qu'il est mieux deu aux plus apparents de se faire attendre.

Toutesfois, à l'entreveue qui se dressa du pape Clement' et du roy François à Marseille, le roy, y ayant ordonné les apprests necessaires, s'esloingna de la ville, et donna loisir au pape de deux ou trois iours pour son entree et refreschissement, avant qu'il le veinst trouver. Et de mesme, à l'entree aussi du pape2 et de l'empereur à Bouloigne, l'empereur donna moyen au pape d'y estre le premier, et y surveint aprez luy. C'est, disent-ils, une cerimonie ordinaire aux abouchements de tels princes, que le plus grand soit avant les aultres au lieu assigné, voire avant celuy chez qui se faict l'assemblee; et le prennent de ce biais, que c'est à fin que cette apparence tesmoigne que c'est le plus grand que les moindres vont trouver, et le recherchent, non pas luy eulx.

Non seulement chasque païs, mais chasque cité, et chasque vacation 3, a sa civilité particuliere. I'y ay esté assez soigneusement dressé en mon enfance, et ay vescu en assez bonne compaignie, pour n'ignorer pas les loix de la nostre françoise, et en tiendrois eschole. l'ayme à les ensuivre, mais non pas si couardement que ma vie

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2

Septième du nom en 1533. C.

* Du même pape Clément VII, et de Charles-Quint, sur la fin de l'année 1532. La réflexion suivante est de GUICCIARDIN, liv. XX, pag. 535. C.

3 Chaque état, chaque profession.

en demeure contraincte: elles ont quelques formes penibles, lesquelles pourveu qu'on oublie par discretion, non par erreur, on n'en a pas moins de grace. I'ay veu souvent des hommes incivils

par trop de civilité, et importuns de courtoisie. C'est au demourant une tresutile science

que

la science de l'entregent. Elle est, comme la grace et la beaulté, conciliatrice des premiers abords de la societé et familiarité; et par consequent nous ouvre la porte à nous instruire par les exemples d'aultruy, et à exploicter et produire nostre exemple, s'il a quelque chose d'instruisant et communicable.

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CHAPITRE XIV:

On est puny pour s'opiniastrer à une place

sans raison.

La vaillance a ses limites, comme les aultres vertus; lesquels franchis, on se treuve dans le train du vice: en maniere que par chez elle on se peult rendre à la temerité, obstination et folie, qui n'en sçait bien les bornes, malaysees en verité

Montaigne plaçoit ici, dans l'édition de 1588, le chapitre intitulé, Que le goust des biens et des maulx despend, en bonne partie, de l'opinion que nous en avons. Il en a fait, depuis, le quarantième de ce premier livre. J. V. L.

à choisir sur leurs confins. De cette consideration est nee la coustume que nous avons aux guerres, de punir, voire de mort, ceulx qui s'opiniastrent à deffendre une place qui par les regles militaires ne peult estre soustenue. Aultrement, soubs l'esperance de l'impunité, il n'y auroit poullier' qui

n'arrestast une armee.

Monsieur le connestable de Montmorency, au siege de Pavie, ayant esté commis pour passer le Tesin, et se loger aux fauxbourgs sainct Antoine, estant empesché d'une tour au bout du pont, qui s'opiniastra iusques à se faire battre, feit pendre tout ce qui estoit dedans2; et encores depuis, accompaignant monsieur le Dauphin au voyage delà les monts, ayant prins par force le chasteau de Villane, et tout ce qui estoit dedans ayant esté mis en pieces par la furie des soldats, horsmis le capitaine et l'enseigne, il les feit pendre et estrangler pour cette mesme raison: 3 comme feit aussi le capitaine Martin du Bellay, lors gouverneur de Turin en cette mesme contree, le capitaine de Sainct Bony, le reste de ses gents ayant esté massacré à la prinse de la place 4.

Mais d'autant que le iugement de la valeur et foiblesse du lieu se prend par l'estimation et contrepoids des forces qui l'assaillent (car tel s'opi

'Poulailler (bicoque).

Mémoires de MARTIN DU BELLAY, liv. II, fol. 82. C.

3 Mém. de GUILLAUME Du Bellay, liv. VIII, fol. 402. C. ID., ibid., liv. IX, fol. 425. C.

niastreroit iustement contre deux couleuvrines, qui feroit l'enragé d'attendre trente canons), où se met encores en compte la grandeur du prince conquerant, sa reputation, le respect qu'on luy doibt; il y a danger qu'on presse un peu la balance de ce costé là : et en advient par ces mesmes termes, que tels ont si grande opinion d'eulx et de leurs moyens, que ne leur semblant raisonnable qu'il y ait rien digne de leur faire teste, ils passent le coulteau partout où ils treuvent resistance,

fortune leur dure; comme il se veoid par les formes de sommation et desfi que les princes d'orient, et leurs successeurs qui sont encores, ont en usage, fiere, haultaine et pleine d'un commandement barbaresque. Et au quartier par où les Portugalois escornerent les Indes, ils trouverent des estats avecques cette loy universelle et inviolable, que tout ennemy vaincu par

le

roy en presence, ou par son lieutenant, est hors de composition de rançon et de mercy.

Ainsi sur tout il se fault garder, qui peult, de tumber entre les mains d'un iuge ennemy, victorieux et armé.

autant que

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