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PREFACE.

'Académie Françoise, après avoir couronné fi juftement Mr MARMONTEL, le 12 Janvier, a donné le premier acceffit à cet Ouvrage. Elle cut même la bonté de déclarer, par la bouche de Mr DU CLOS fon Sécrétaire, qu'elle regrettoit de n'avoir point un Prix à lui donner. Une approbation auffi flatteufe, de la part d'un Corps tel que l'Académie Françoife, a determiné l'Auteur à donner fon Ouvrage au Public.

Le but de cette Epître eft de rendre le Peuple refpectable aux yeux des autres, & de le confoler lui-même. Cette portion du genre humain, qui eft comptée pour fi peu de chofe, a été long-tems efclave en Europe. Elle eft libre au jourd'hui, au moins dans la plupart des États 3 mais elle eft pauvre & avilie. Ce n'étoit pas ainfi que le Peuple étoit libre à Sparte & à Ro me. Cet aviliffement de la plus grande partie du genre humain, eft un des effets les plus fus neftes de notre luxe, & de la prodigieufe iné galité dans la diftribution des richeffes.

L'Auteur de cette Epître envifage le Peuple dans fes travaux, dans fes vertus, & dans la portion de bonheur qu'il peut avoir. Partout c'est le petit nombre qui jouit, & le grand nombre qui travaille. Les premieres têtes des États donnent les ordres pour le gouvernement; c'eft le Peuple qui exécute. Ce font fes

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bras qui font mouvoir ces machines fi vaftes & fi compliquées.

On fçait qu'il y a des vices parmi le Peuple. Il doit y en avoir; ce font des hommes. Mais la voix de la Nature y eft mieux entendue; les grandes paffions y font moins vives; les crimes qui défolent la terre y font plus rares. Il a de moins tous les vices que produifent la diffimulation & l'intrigue.

Mais le Peuple eft-il heureux? & où trouver des hommes qui le foient! Le Peuple du moins a deux avantages qui contrebalancent bien des maux; la paix & la fanté. Les fruits des excès les orages des paffions lui font preíqu'inconnus, fur-tout dans les Campagnes, où le poifon des grandes Villes n'a pas pénétré. J'ofe même dire que fes plaifirs font plus vifs. Ils ne font ni émouffés par l'habitude, ni l'ouvrage de l'art, comme les plaifirs factices des Riches & des Grands.

Enfin, quand même dans ce jugement entre les deux parties de l'humanité, je n'aurois pas tenu la balance bien égale, j'aime mieux qu'elle ait penché du côté du Peuple. Ce que la voix d'un Écrivain obfcur peut lui accorder de trop, eft un bien foible dédommagement de tout ce qu'on lui ôte dans la fociété.

EPITRE

AU PEUPLE.

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OI qu'un injufte orgueil condamne à la baffeffe,
Toi qui né fans ayeux & vivant fans molleffe
Portes feul dans l'Etat le fardeau de la loi,
Et fers par tes travaux ta Patrie & ton Roi,
D'utiles Citoyens refpectable affemblage,

Que dédaignent les Cours, mais qu'eftime le Sage;
Peuple, j'ofe braver cet infolent mépris:
D'autres flattent les Grands; c'eft à toi que j'écris.

A l'afpect de ces Grands dont l'éclat t'importune, Je t'entends de tes cris fatiguer la fortune, Accufer ta mifere, envier leur fplendeur; Apprends à t'eftimer, & connois ta grandeur,

C'est toi qui des États foûtenant la puiffance, Répands fur ces grands corps la gloire & l'abondance. En tous lieux, en tous tems, foit qu'un Monarque heureux Gouverne par l'honneur un Peuple belliqueux; Soit que le Citoyen, libre & digne de l'être, Vive foumis aux loix, fans efclave & fans maître; Soit que le defpotifme, entourré de bourreaux, Sous les pieds d'un feul homme enchaîne fes égaux;

Tes bras, tes mouvemens, ta féconde induftrie
Multipliant partout les germes de la vie,
Par des travaux actifs animent l'univers :
Cent Rois aux Nations n'ont donné que des fers.

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Le Conquérant détruit; tu conferves le monde, Il ravage la terre, & tu la rends féconde. La trifte humanité ne doit qu'à tes fecours Ces puiffans végétaux, les foûtiens de nos jours. Cet Art, dit-on, eft vil; oferoit-on le croire? Bienfaiteur des humains, quel titre pour la gloire! Ta bêche & ta charue, utiles inftrumens, Brillent plus à mes yeux que ces fiers ornemens, Ces clefs d'or, ces toifons, ces mortiers, ces couronnes, Monumens des grandeurs, femés autour des Trônes. Cet Art eft le premier; il nourrit les mortels. Dans l'enfance du monde il obtint des autels.

De ces champs fortunés que ta main rend fertiles, Pour t'admirer encor, je paffe dans les villes, La terre avec orgueil les porte sur son sein. Là dans tout fon éclat brille le genre humain. Là tous les Arts unis, & ceux que nos miferes A l'humaine foibleffe ont rendus néceffaires ; Et ceux qu'un luxe utile, enfant des doux loifirs Fit naître pour charmer le befoin des plaifirs, Aux regles du génie afferviffant l'adreffe Font par mille canaux circuler la richeffe. Ces Arts font ton ouvrage, & reproduits cent fois, Pour le bonheur du monde ils naiffent à ta voix, Dompté fous tes marteaux, le fer devient docile. Tu façonne le bois, & tu paîtris l'argile; Par tes favantes mains la toifon des brebis, Le lin, la foye & l'or font tiffus en habits,

La fange des métaux, fous tes doigts épurée,
Brille aux befoins publics noblement confacrée ;
Et le marbre poli s'éleve jufqu'aux cieux,

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Pour les Palais des Rois ou les Temples des Dieux.

Tu ne te bornes pas au bien de ta patrie. Le monde entier jouit de ta noble industrie. Par les nœuds du commerce embraffant l'univers, Tes mains forment un pont fur l'abîme des mers.

Si les Princes armés fe difputent la terre, Tu fais par ta valeur les deftins de la guerre. Tes corps font les remparts des Etats défolés ; C'est-toi qui raffermis les Trônes ébranlés.

Que je méprise un Grand qui, fier de fa Noblesse, Dort inutile au monde, au fein de la molleffe; Un ftupide Craffus, énervé de langueur Qui fatigue mes yeux d'un luxe fans pudeur! Nous admirons l'éclat; vains juges que nous fommes ! Le véritable honneur eft d'être utile aux hommes. Envain les préjugés ont ofé t'avilir,

Peuple; pour ton pays tu fçais vivre & mourir.

Il eft, il est encore un plus rare avantage. La tranquille innocence eft ton heureux partage. Les Rois ont des états, les Grands ont des honneurs, Le Riche a des tréfors, & le Peuple a des mœurs. Ce fiecle malheureux foule aux pieds la nature. Les noms de Fils, d'Epoux feroient-ils une injure? La dignité barbare, au cœur dur, à l'œil fier, En prononçant ces noms croiroit s'humilier. C'est vous, qui de vos cœurs leur prêtez la baffeffe, Ingrats, & la nature a toujours fa nobleffe.

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