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Il dit, & vers ces murs en horreurs fi fertiles, De fon courfier fougueux preffe les flancs agiles. Deux fois en fait le tour, & d'un ceil curieux Mefure avidement ce Fort audacieux. Son regard étincelle, & fon bouillant courage Voudroit au même inftant s'y frayer un paffage. Ainfi dans les déferts des fables Africains, Une lionne horrible & l'effroi des humains A qui dans fon abfence une cruelle adreffe Ravit fes lionceaux, objets de fa tendreffe, Suit les pas du chaffeur, fur le fable imprimés, Et vole jufqu'au lieu qui les tient renfermés. Furieufe, écumante, & de fang altérée De ce coupable azile elle affiege l'entrée, Et les crins hériffés, autour de ces remparts, Promene en rugiffant fes avides regards.

CHANT QUATRIEME.

Dont renfermé le Fort dans leur terrible enceinte.

Eja nos Bataillons précédés par la crainte,

Leur Chef d'un front ferein difpofe le trépas,
Et du foldat fougueux a réglé tous les pas.
Des Anglais inveftis la farouche infolence

Du haut de leurs remparts femble braver la France.
Mais en vain par la haine & la rage animés,
D'un intrépide orgueil leur front paroît armé;
Une fourde terreur étonne leurs courages,
Et dément en fecret ces fuperbes vifages:
Du fang qu'ils ont verfé les formidables cris,
D'un défordre vengeur tourmentent leurs efprits:

Jumonville les glace, & fon ombre irritée
Fait fiffler fes Serpens dans leur ame agitée.

Ces favoris des Arts & du Dieu des combats
Qui portent dans leurs mains l'épée & le compas,
Qui joignent l'art de vaincre avec l'art du Génie;
Et confacrent à Mars les leçons d'Uranie,
Déja contre les murs ont dirigé l'effort

De ces bouches d'airain qui vomiffent la mort.
A l'aide du compas leur main fûre & puiffanté
Sait guider à fon gré la foudre obéiffante
Lui montre les remparts qu'elle doit écrafer,
Et lui prefcrit les lieux qu'il lui faut embrafer.

Dans un ordre effrayant ces fatales machines
Aux remparts ménacés annoncent leurs ruines.
Dans le creux du cylindre avec art entaffé
Par le Soldat poudreux le falpêtre eft preffé:
Et les globes de fer entourés de bitume,
Attendent le moment que le fouffre s'allume.
Le fignal eft donné; les feux étincelans,
De l'amorce embrafée ont paffé dans les flancs
La flamme reflerrée, active, impatiente,
S'agite avec fureur dans fa prifon brûlante;
De l'airain mugiffant elle chaffe à grand bruit
Ces globes meffagers de la mort qui les fuit.
Soudain l'air s'obfcurcit d'une épaiffe fumée;
Un nuage de fouffre enveloppe l'armée ;
La terre épouvantée en frémit de terreur;
L'airain qui les vomit, en recule d'horreur.
Ces tempêtes de fer, cette grêle homicide,
Divife l'air, qui cede à fa course rapide;
Et du Fort ébranlé jufqu'en fes fondemens,
Frappe à coups redoublés les boulevards fumans.

L'Anglais

L'Anglais audacieux, fier au fein des allarmes, Fait du haut de fes murs tonner les mêmes armes. Les éclairs enflammés répondent aux éclairs; La foudre vient heurter la foudre dans les airs. De feux environné, le Soldat dans la plaine Ne reçoit dans fes flancs qu'une brûlante haleine: Enfin le Fort s'entrouvre, & prêt à s'écrouler Son fuperbe rempart commence à chanceller.

Le Français à grands cris appelle la vengeance: D'un cours impétueux vers la brêche il s'avance. Le fier Américain, les bras enfanglantés, Le fuit d'un pas égal & marche à fes côtés, Tel qu'un tigre en fureur à l'afpect de fa proye En marchant il écume, & treffaille de joie. Déja dans fon efprit, des Anglais expirans Il croit fouler aux pieds les membres palpitans. Armé, du plomb fatal & du fer homicide, L'Anglais affecte encor un orgueil intrépide. Son épais bataillon offre un rempart vivant, De piques hériffé, de feux étincellant.

L'afpect des affaffins teints du fang de fon frere Enflămme Devilliers, redouble fa colere. Remplis de fon courroux, fes fuperbes Soldats Dans les rangs ennemis ont volé fur fes pas. La foif de fe venger, l'emportement, la rage, Frappent à coups preffés, & fement le carnage. La Mort impitoyable errant fur ces débris, Remplit l'air d'alentour de fes lugubres cris: Mille traits aiguifés arment fes mains cruelles: Dans des ruiffeaux de fang elle trempe fes ailes.

Par la flamme & le fer les Anglais terraffes, Déja couvrent les murs de leurs corps entaflés;

Et leurs manes fanglans, dans les royaumes fombres
Des Français égorgés, vont appaifer les ombres.
Sur un épais nuage affife dans les airs,
L'ardente Néméfis fait briller fes éclairs.
Des forfaits des mortels vengereffe implacable,
Elle tient dans fes mains un glaive redoutable;
Et fon fouffle puiffant, ame de ces combats,
Dans le fein des Anglais dirige le trépas.

Ils cedent: c'en eft fait: la terreur qui les glace
Etonne leur courage & dompte leur audace.
Vaincus, chargés de fers, ces monftres défarmés,
D'un refte de fureur font encor enflammés;
Et la férocité que la valeur furmonte,
Sur leur front abbatu fe mêle avec la honte.

Devilliers s'adreffant à fes Soldats vainqueurs » Héros qui m'écoutez, intrépides vengeurs, » Que j'aime à voir vos bras tout fumans de carnage! Fiers foutiens de la France, achevez votre ouvrage. "Affez & trop long-tems ces funeftes remparts,

De leur afpect impur ont fouillé nos regards. » Sous nos puiffans efforts que ces tours fe renverfent; » Que leurs débris épars dans les champs fe difperfent; Qu'un jour dans ces déferts le voyageur conduit

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Y cherche en vain la place où ce Fort fut conftruit; Et ne laiffons enfin fur la terre où nous fommes, » Que le courroux des cieux & la haine des hommes.

Il dit: & le Soldat lui répond par fes cris.
Une ardeur renaiffante enflamme les efprits.
De ce Fort odieux on brife les murailles;
De la terre étonnée on perce les entrailles;
Et dans fes flancs obfcurs les fondemens cachés,
Par mille bras unis font bientôt arrachés.

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On renverse ces toits, ces cabanes cruelles,
Des brigands affaffins retraites criminelles.
A l'aide du falpêtre, élancés dans les airs
Les murs en retombant font trembler ces déferts;
L'Olympe retentit: une affreuse pouffiere,
De les voiles épais obfcurcit la lumiere.
A l'effort du Soldat & du fer destructeur
Les feux joignent encor leur active fureur.
La flamme qui pétille en confumant fa proye,
A replis ondoyans dans les airs fe déploye:
Et ces coupables lieux n'offrent plus aux regards,
Que des monceaux de cendre & des rochers épars,

O malheureux Anglais !-Peuple foible & fuperbe!
Voilà donc vos remparts enfevelis fous l'herbe!
Impuiffans dans la guerre, affaffins dans la paix,
Lâches pour vous défendre, hardis pour les forfaits,
Où font ces grands guerriers, ces Héros magnanimes?
N'êtes-vous courageux qu'à commettre des crimes?
Tremblez: ces premiers coups de nos juftes fureurs,
De maux plus grands encor font les avant-coureurs,
Je vois dans fes projets votre audace trompée,
Des flots de votre fang l'Amérique trempée.
Bradhoc de vos complots finiftre exécuteur,
Des Traités & des Loix facrilege infracteur,
Qui devoit en guidant vos troupes conjurées,
Au Char de l'Angleterre enchaîner nos contrées,
Sur des monceaux de morts, percé de mille coups
Exhale fes fureurs & fon ame en couroux.

*

* Bradhoc, Général Anglais, qui avait fait une invasion dans le Ca, nada avec un corps de troupes confidérable, fut vaincu par une armég de Français & de Sauvages réunis. Il périt lui-même dans le combat,

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