Par le plomb meurtrier le fauvage bleffé, Que n'a point de l'Europe énervé la langueur, Tel dans les champs déferts du vagabond Numide, Des végétaux puiffans dans les forêts éclos, Ses yeux ne voyoient plus qu'un refte de lumiere. Sur fon front éperdu fes cheveux hériffés, Les farouches accens de fa bouche élancés, Son fouffle haletant, & fa bruyante haleine Qui de fes flancs preffés s'échappoit avec peine, Ses membres demi-nuds & d'effroi palpitans, Sous fon corps affoibli fes genoux tremblotans, La pâleur de la mort fur fon vifage empreinte, Portent dans tous les cours la trifteffe & la crainte.. Les Français pour l'entendre, autour de lui preffés Le fang qu'il a verfé, fa course, ses efforts * Des Français replongés dans leur incertitude, Leur apprend que l'Anglais, que ce peuple parjure, Les Sauvages appellent les Français, leurs peres, Devilliers à la fois & citoyen & frere, Tremble fur le deftin d'une tête auffi chere. De noirs preffentimens viennent glacer fon cœur, Et fa tendre amitié redouble fa terreur. Les Français cependant excitent leur audace, A chercher Jumonville, à voler fur fa trace. On fe raffemble, on court à flots impétueux : Tout le Fort retentit de cris tumultueux : Et les Drapeaux de Mars cachés à la lumiere Noircis pendant la paix d'une oifive pouffiere, Déployés tout-à-coup aux regards du Soleil, Annoncent des combats le fatal appareil. De l'airain menaçant, précurfeur des batailles, Les fifflemens aigus rempliffent les murailles : Dans les antres obfcurs des Arfenaux poudreux, Des foudres affoupis on réveille les feux. Le Soldat en fureur fe couvrant de fes armes Embraffe fes enfans & fon époufe en larmes. Dans un lache repos long-tems enféveli, Le fuperbe Courfier par la paix amoli, Aux accens de l'airain qui frappent son oreille, Leve fes crins mouvans, s'enflamme & fe réveille. Inftruits dans leurs déferts de l'horrible attentat, Les farouches humains enfans de ce climat, Viennent de toute part pour hâter la vengeance, Pour joindre leur maffue aux foudres de la France. On les voit à grands flots accourir dans nos murs; Et ceux qui des rochers creufent les flancs obfcurs; Et ceux qui cultivant les humides rivages, Ont dreffé près des lacs leurs cabanes fauvages, Ou qui fans ceffe armés d'inévitables traits, Difputent leur pâture aux tigres des forêts. L'amour pour les Français, l'horreur pour l'Angleterre Enflamme également tous ces fils de la terre. Pour guider au combat ces féroces guerriers, C'est toi qui fus choifi généreux Devilliers, Toi, dans qui la valeur unie à la fageffe, N'eft point ce fol inftinct, cette farouche ivreffe Dont les fougueux accès, fruit de l'emportement ; Ne cherchent que le meurtre & le faccagement; Mais cette fermeté courageufe & tranquille, Qui voit tous les dangers d'un regard immobile, Les cherche par devoir, les brave fans fureur, Active avec prudence & fage fans lenteur. Le Chef à qui Louis, de fes mains fouveraines De cet état naiffant a confié les renes, Embraffe ce héros de fes larmes baigné. O guerrier vertueux, ô frere infortuné » Dit-il, va dans le fang d'un peuple de parjures, De ton Roi qu'on outrage, effacer les injures. Ton bras que l'Ainérique a vu toujours vainqueur, Doit un exemple au monde, à la France un vengeur. Que dis-je? As-tu befoin d'une voix étrangere? Ecoute la nature, & la voix de ton frere. Son fort eft incertain, ton malheur ne l'eft pas ; Tu dois brifer fes fers, ou venger fon trépas. Mais vous, ô noms facrés que l'Univers adore! O nature! ô juftice! ô vertu que j'implore! » Vous paffion du fage, amour du genre humain! Je puis lever au Ciel une innocente main. Je n'ai point le premier enfanglanté la terre, Je n'ai point rallumé le flambeau de la guerre. Si le fang des humains recommence à couler, » Si l'Europe à ce choc doit encor s'ébranler, » Si Si ces divifions, en meurtres trop fécondes, » Doivent franchir les mers & troubler les deux mondes; » L'Anglais, qui le premier a rompu les traités, » L'Anglais feul eft auteur de ces calamités. » Puiffent les cris plaintifs de la terre éplorée, » Porter le défespoir dans fon ame égarée! Et puiffent tous les maux qui vont être foufferts, » Retomber fur fa tête & venger l'univers ! CHANT TROISIEME. M Ais déjà tout eft prêt; nos ardentes cohortes, S'élancent hors des murs & franchiffent les portes. Déja fous les courfiers la campagne gémit: Du bruit des bataillons l'air s'agite & frémit: La pouffiere en volant forme un nuage immenfe: Les tonnerres d'airain, que conduit la Vengeance, Traînés dans les forêts d'un pas pénible & lent, Roulent avec effort fur leur effieu tremblant. : Déja le front couvert de fes voiles funebres; La nuit fur l'Univers ramenoit les ténébres; Et de l'aftre du jour les regards expirans, Ne lançoient qu'un feu pâle & des rayons mourans. Sous la noire épaiffeur d'une forêt antique, S'avançoient ces héros vengeurs de l'Amérique. La nuit qui s'approchoit, augmentant la terreur, En redoubloit encor la ténébreufe horreur; Et le profond filence & la noirceur de l'ombre Imprimoient à ces lieux une majefté fombre. Tout-à-coup, ô prodige! une lugubre voix D'un long gémiffement fait retentir ces bois. F |