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elle doit être. (oo) En obfervant les nations il avoit vu l'or prendre fa fource dans le Pérou, de-là fe répandre dans l'ancien monde, une partie aller s'engloutir dans les Indes, la plus grande portion refter en Europe; là ce fleuve immente emporté d'un mouvement rapide, circuler fans ceffe, mais dans fon cours fe détourner des climats ftériles, & couler par une pente naturelle, fur les pays que l'agriculture rend féconds. Il jugea dès-lors que le produit des terres eft la véritable richeffe, que le trafic peut enrichir de petits Etats, mais que le Com

(oo) La grande faute que l'on reproche à Colbert, c'eft d'avoir donné aux manufactures le premier rang dans Pordre économique. Il protégea beaucoup les arts & métiers qui ne font que les moyens d'ouvrer la matiere premiere, & s'occupa peu de l'agriculture, qui fournit cette matiere premiere à l'Etat. Cependant la fabrication n'eft utile que par le prix qu'elle donne, & le débit qu'elle procure aux produits des terres. Telle étoit la façon de penfer de Sully. C'étoit là une des, branches de fon fyftême. C'eft pourquoi il fit toujours marcher l'agriculture avant l'induftrie. Mais doit-on le louer ou le blâmer de fon oppofition aux Manufactures de foié? Ce procès fut d'abord décidé contre lui. Depuis quelque tems la Nation eft revenue fur fes pas, & aujourd'hui l'on commence à douter. Tous ceux qui jugent de la profpérité d'un Royaume par fon éclat apparent, ceux qui s'imaginent que le luxe eft la grandeur, & qu'une Nationi parée de tiffus d'or & d'argent eft la Nation la plus riche, n'héfi◄ teront pas à condamner Sully: mais ceux qui à travers les furfaces pénétrent dans l'intérieur des Etats, ceux qui pesent, qui calculent, qui mefurent, ceux qui favent que le luxe des foies à parmi nous fait tomber les laines, que l'aviliffement des laines a porté fur le nombre des troupeaux, que la diminution des troupeaux a altéré une des fources de la fécondité, ceux qui favent que l'agriculture en France ne rend aujourd'hui qu'un fixieme de ce qu'elle rendoit alors, & que pour gagner quelques millions à fabriquer & à vendre de belles étoffes, nous avons perdu des milliars fur le produit de nos terres, ceux enfin qui ont calculé que deux millions de Cultivateurs peuvent faire naître un milliar de productions, au lieu que trois millions d'Artiftes ne produiront à l'Etat que 700 millions en marchandises de main d'œuvre, ceux-là fans doute ne feront pas fi prompts à condamner un grand homme,

merce de propriété convient seul à une grande Monarchie; il n'encouragea donc que les Manufactures de laine, foit parce qu'étant liées à la nourriture des troupeaux, elles deviennent encore pour les terres une nouvelle fource de fécondité, foit parce que le principal avantage de l'industrie étant de donner une valeur aux denrées en facilitant la confommation, les Manufactures les plus groffieres font auffi les plus utiles.

Tel qu'un Navigateur, qui, pouffé par les vents à une diftance prodigicufe des terres, s'avance dans l'Océan, & à mesure qu'il en a parcouru une partie, voit un autre horison aussi vafte que le premier s'étendre & fe développer devant lui; tel l'Orateur dans ce grand fujet, découvre fans ceffe de nouvelles matieres qui fe préfentent. Pour les parcourir toutes, il me faudroit la rapidité de ces courfiers immortels, qui en trois pas avoient atteint le bout de l'univers. Le peuple à qui tout ce qui eft grand en impofe, admire les grandes villes & les capitales immenfes ; le fage n'y voit que des colosses faftueux, qui paroiffent fervir à la décoration des Etats, & qui les écrafent fous leur poids. SULLY regardoit comme un des principes du gouvernement économique, de veiller à la diminution de ces grandes maffes. (pp) Il vouloit faire

(pp) Sully regardoit les grandes Villes comme les tombeaux des ats, parce qu'elles ne fe forment jamais qu'aux dépens des campagnes. Il s'attachoit donc à repeupler les bourgs & les villages: Il défiroit fur tout que la Nobleffe habitât dans fes Terres. On a trop loué Riche

lieu

faire aimer à chacun l'heritage de fès peres; il vouloit furtout que le laboureur conçût un noble orgueil de fa profeffion, & préférât l'honneur de regner fur les campagnes, à la honte de vendre fa mifere dans les villes. Le grand nombre des offices a toujours été mis par les hommes d'Etat au nombre des fléaux publics (49) SULLY voit le point où finit la

lieu de ce qu'il avoit attiré tous les grands Propriétaires à la Cour. Cette politique a ruiné l'Etat. Elle a été du moins la premiere époque de la déCadence de l'Agriculture. Un homme qui fouvent eft inutile à Versailles, pourroit être dans fa Terre le bienfaiteur de la Nation. Et croyez - vous que loin du manege & des intrigues son ame n'eût point quelque chofe de plus vigoureux & de plus mâle? Croyez- vous que dans les combats, il eut moins de fang à verfer pour la Patrie? C'étoit bien là le fentiment de ce bon & généreux Henri IV. Ce Roi qui avoit plus de vues politiques, que fembloit n'en promettre d'abord la gaieté franche & militaire déclara aux Nobles qu'il vouloit qu'ils s'accoûtumaffent à vivre chacun de leur bien, & à faire valoir leurs Terres par eux-mêmes. Il rioit de ceux qui venoient étaler à la Cour des habits magnifiques, & qui portoient, difoit-il, leurs moulins & leurs bois de haute futaie fur le dos. Je fais que le luxe infolent & dédaigneux a fait un nom ridicule de ce nom de Gentilhomme de campagne ; mais je fais bien auffi que ces Gentilshommes de campagne, refpectables en effet, feroient alors respectés ; parce que tous feroient utiles, & que plufieurs feroient grands. Je fais que l'honneur françois fe reffufciteroit dans leurs Châteaux, que les ames, en devenant plus fimples, deviendroient plus fortes, que les terres feroient mieux cultivées, les Villages plus riches, l'agriculture plus, en honneur, les fortunes des grandes maisons plus affurées, les revenus de l'Etat plus confidérables. Je fais qu'en moins de so ans peut-être un pareil changement feroit une révolution dans nos mœurs, & qu'on ne verroit plus des hommes fourire avec pitié au nom de vertu, d'héroïsme & de dévouement pour la Patrie.

(qq) La multiplicité effrénée des Offices, dit Sully; eft la marque af furée de la décadence prochaine d'un Etat. Elle furcharge le Peuple par le payement des gages attribués à tant d'Officiers, par la levée des droits qu'ils exigent dans leurs fonctions, par les priviléges qui les exemptent de partager les fardeaux: elle nuit fur tout, parce qu'elle acheve de répandre l'efprit de molleffe, la honte du travail, le goût dés grandes Villes, l'indépendance & l'efprit factieux de corps, enfin la trop grande eftime de l'or, qui procure en même-tems deux chofes qui ne devroient jamais être réunies, de l'oifiveté & des diftinctions. Ce fut en 1603 que Sully travailla à cette grande réforme. Golbert

néceffité, & où commence l'abus ; & il réduit les offices à cette proportion. Le haut prix de l'intérêt de l'argent écrafoit les Nobles fous le poids des dettes, & nourriffoit la pareffe du peuple cet intérêt fut réduit ; (r) les terres reprirent leur valeur ; la claffe active des ci

fit la même opération, qui de fon tems étoit devenue encore plus néceffaire. En 1664 ce Miniftre fit dreffer un Etat général de tous les Officiers du Royaume. On en trouva 45, 780, tandis que 6000 auroient fuffi. Et depuis ce tems - là le nombre en eft encore beaucoup augmenté parmi nous.

:

(rr) On a toujours regardé comme une des plus utiles réformes de Sully, la réduction de l'intérêt du denier 10 & 12 au denier 16, en 1601. Le préambule de l'Edit contient d'excellens principes fur cette ma tiere & les plus habiles Ecrivains parmi les Anglois le propoferent depuis comme un modele à imiter chez eux. Le Cardinal de Richelieu en 1634 réduifit l'intérêt du denier 16 au denier 18, & dans fon Edit ne manqua pas de citer celui qui avoit été rendu fous Henri IV. Enfin en 1665 Colbert fit encore une nouvelle réduction du denier 18 au denier 20. Ces trois opérations fous trois regnes différens furent également utiles à l'Etat. Le haut prix de l'intérêt étoit un appât qui engageoit les Particuliers à placer leur argent en contrats de rente, & à vivre dans l'oifiveté, au lieu de s'appliquer à la culture des térres, aux manufactures & au commerce. La réduction força les Citoyens à enrichir l'Etat & à s'enrichir eux-mêmes par le travail elle fut encore un fecours pour les Nobles, qui purent s'acquiter plus aifément de leurs dettes, & pour Ia partie induftrieuse de la Nation qui trouva des fonds. Il eft vrai que le Prince n'eft le maître que de l'intérêt légal de l'argent, c'est-à-dire, cette portion qui eft aliénée à perpétuité par des contrats. A l'égard de l'argent qui refte dans la circulation pour les entreprises d'agriculture, de commerce ou d'industrie, c'eft une marchandife dont le prix doit hauffer ou baiffer, felon qu'elle eft plus ou moins commune. Si l'argent étoit rare, la diminution de l'intérêt légal ne produiroit d'autre effet que de refferrer les bourfes & de faire difparoître les prêteurs. Auffi les trois grands Miniftres qui firent fucceffivement cette réduction, avoient déja commencé à rétablir, par d'autres opérations utiles, l'aifance nationale, fans laquelle ils euffent vainement effayé de réduire l'intérêt. Il faut remarquer que c'eft nous qui avons donné aux étrangers l'exemple de ces fortes de réductions; & aujourd'hui nous fommes obligés de propofer à notre Patrie l'exemple de ces mêmes étrangers. Toutes les Nations voisines payent l'intérêt de l'argent moins cher que nous. Elles ont maintenant fur la France le même avantage que la France avoit autrefois fur elles. C'est pour nous une raifon de plus de faire une réduction, que tant d'autres causes ont tendate néceffaire.

de

toyens trouva des refsources. C'est par le même principe qu'il rembourfa pour cent millions de rentes: fon œil étoit bleffé de voir tant d'hommes payés par l'Etat pour être oififs. Ce grand Miniftre voyoit tout le Corps politique entraîné par l'enchaînement invincible du phyfique avec le moral; (ss) il travailloit donc à réprimer les

(ss) Sully voyoit, avec toute la douleur d'un citoyen, la plaie terrible que le défordre des finances avoit faite aux moeurs. Il avoit là - deffus les principes des anciens Législateurs; & le Surintendant de Paris eût été Licurgue à Sparte, & Caton à Rome. Que nous fommes loin de cette façon de penfer! Politiques d'un jour, nous avons tout réduit en calcul nous avons combiné chaque point de grandeur que la population, le commerce, l'induftrie, les arts peuvent ajouter à un Etat; & nous ne parlons pas des moeurs; des mœurs qui font le reffort principal d'un Gouvernement, la vie & l'ame de ses loix. On fe plaint que tout a dégé. néré. Que peut-on attendre d'un peuple où l'or eft le premier des biens, où l'efprit mercénaire anéantit tout principe noble, où tout eft marchandife, jufqu'à la vertus où dès qu'on a fait une bonne action, s'il s'en fait encore, on fe hâte d'en demander le falaire en argent. Voilà le germe de la deftruction. Point de mœurs, point d'Etat. Que l'or d'une part, & l'honneur de l'autre foient remis chacun à leur place. L'or n'eft qu'un moyen ; vous perdez tout, fi vous en faites une récompenfe. Vos vils métaux ne font que rétrécir les ames; la confidération & l'honneur les élevent & les aggrandiffent. Auffi le fage Miniftre de Henri IV étoit indigné de voir les grands Seigneurs de fon tems, avides, pendant les guerres civiles, d'indépendance & d'autorité, éblouis, pendant la paix, du luxe des Financiers, fe rabaiffer jufqu'à ne défirer plus que de l'argent. Il faut voir avec quelle éloquence de l'ame il s'exprime dans fes Mémoires fur le luxe, fur la molleffe, fur le prix que nos paffions mettent à l'or, fur le dépériffement du vieil honneur, la confufion des Etats, l'abâtardiffement des Races, la fupériorité que la généreufe nobleffe devroit avoir fur les gens de fortune, la barriere qu'il faudroit élever entre ces deux ordrés de citoyens, pour que l'exemple corrupteur d'une opulente oifiveté ne vienne pas frapper de trop près des ames qui ne doivent être occupées que de travaux, de combats, de fang verfé pour la Patrie, de facrifices pour l'Etat & pour le Roi. Son ftyle ators s'éleve & s'enflamme. Ce font par tout les expreffions d'un guerrier philofophe, qui a l'ame également auftere & grande, qui fent la vertu avec tranfport, & qui combat les vices avec la même intrépidité qu'il combatroit les ennemis un jour de bataille. Ces fortes de détails fe trouvent fur tout dans les anciens Mémoires, bien moins agréables fans doute, mais plus utiles que les nouveaux. Ils reffemblent à ces médailles antiques que les connoiffeurs aiment à retrouver, & qui font toujours fupérieures aux plus belles eftampes que l'on a gravées d'après elles.

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