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Tous ceux qui meurent, font honorés par des larmes. L'ami eft pleuré par fon ami, l'époux eft pleuré par l'époufe, le pere de famille par fes enfans. Un grand homme eft pleuré par le genre humain. Lorfque fa pompe funebre traversoit cette Capitale, quels étoient à fa vue, les fentimens des citoyens ? l'admiration & la douleur. Le corps où avoit habité cette grande ame, quoique froid & inanimé, imprimoit encore le refpect. Semblable à ces Temples qui long-tems ont fervi de demeure à la Divinité, même après qu'ils ont été renverfés, la vue de leurs débris porte encore dans l'aime un fentiment involontaire de Reli, gion. Le vieillard difoit à fes enfans: mes fils, l'homme jufte eft mort. Le foible & le malheureux s'écrioient, nous n'avons plus d'appui,

Des milliers d'hommes meurent & font auffi-tôt remplacés: mais la mort du grand homme laiffe un vuide immenfe dans l'univers, & la nature en deuil eft des fiecles à le remplir. Que du moins l'exemple de l'homme vertueux qui n'eft plus, vive fans ceffe parmi nous, Ap-. prenons de lui à être juftes.

M'eft-il permis, en finiffant, de faire un vœu pour le bonheur de la Patrie Je fouhaiterois qu'au milieu du Palais facré qui fert de Temple à la Justice, on élevât la statue de ce grand homme. Ce feroit parmi nous un monument éternel de religion, de fimplicité & de vertu, Ce marbre muet exerceroit fans ceffe une cenfure utile fur les mœurs du Magiftrat; & lorf que nous ne ferions plus, il annonceroit encore la vertu à nos derniers neveux.

ELOGE

DE RENÉ

DUGUAY-TROUIN,

Lieutenant-Général des Armées Navales, Commandeur de l'Ordre Royal & Militaire de St Louis.

Qui

DISCOURS

a remporté le Prix de l'Académie Françoife en 1761.

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ELOGE

DE RENÉ

DUGUAY-TROUIN,

Lieutenant-Général des Armées

Navales.

E tous les grands fpectacles que le génie de l'homme a donnés au monD de, il n'en eft peut-être aucun de plus admirable que la navigation.

Un être foible & mortel, rampant fur la terre, a ofé créer des édifices mobiles & flottans qu'il a fufpendus fur des abîmes, affervir un élément inconnu & terrible, donner des loix aux vents, & voler aux extrémirés de l'univers, fous un Ciel qui n'étoit point fait pour lui.

Mais telle eft notre deftinée. L'efprit humain eft auffi pervers qu'il eft grand; & le crime à côté du génie, infpire l'admiration avec l'horreur. Les hommes ont abufé de tout; des vé

T

gétaux pour en former des poifons, du fer pour s'égorger, de l'or pour acheter les crimes, des arts pour multiplier les moyens de fe détruire: ils ont abufé fur-tout de l'art de la navigation. Les abîmes ont reçu des combattans; la mer eft devenue un champ de carnage; les vents ont porté la mort. Nos fureurs ont paffé dans un nouveau monde : fous prétexte d'inftruire l'Amérique, nous y avons égorgé plus de trente millions d'hommes, plaie la plus cruelle qui ait été faite au genre humain, & dont le globe fe reffentira jufqu'à

la derniere révolution des fiecles.

Peut-être (a) devons-nous regretter ces tems d'une heureufe ignorance, où nos aïeux moins grands, mais moins criminels, fans induftric, mais fans remords, vivoient pauvres & ver

(a) C'eft un grand problême de favoir fi la Navigation a été plus utile que funefte aux hommes. On peut dire d'un côté qu'elle a fervi à réunir les différentes parties de l'Univers. Ce globe partagé en cent mondes différens, n'a plus formé qu'un feul monde; les Nations fe font communiqué leurs lumieres; la connoiffance de la terre & des cieux a été perfectionnée; les tréfors difperfés par la nature, ont été raffemblés par le commerce. Mais au que de maux font nés de ces biens même! Les peuples, en fe communiquant leurs lumieres, fe font communiqué leurs vices. Le commerce, en multipliant les richeffes, a multiplié les befoins, a fait naître le luxe & corrompu les mours. Enfin, la mer eft devenue une des plus grandes caufes de cette dépopulation fenfible que les Philofophes croyent appercevoir dans le genre humain. Tant d'hommes engloutis par les naufrages depuis le commencement des ficcles; tant de peftes & de maladies cruelles que la nature avoit renfermées dans certains climats, & qui ont été répandues dans le monde entier; tant de pays inondés par des brigands, à qui la mer auroit fervi de barriere; la plus vafte partie du monde, l'Amérique prefqu'entierement dépeuplée; enfin, les combats de mer, fi meurtriers & fi terribles, fur-tout entre les Nations modernes; tout cela dépoferoit contre la Navigation, & devroit la faire regarder comme un des plus grands fléaux qui défolent te genre hamarn.

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