Imágenes de página
PDF
ePub
[ocr errors]
[ocr errors]

PREEA CE.

E fujet de ce Poëme eft l'affaffinat de Mr de Jumonville en Amérique Jumonville en Amérique, & la vengeance de ce meurtre. Comme les événemens fur lef quels cet Ouvrage eft fondé, pourroient n'être pas connus de tout le monde, je vais d'abord en retracer une légere idée. On y verra, pour ainfi dire, le fond du tableau; & par-là, on fera mieux en état de diftinguer les traits étrangers que l'imagination a ajoutés à l'hiftoire.

La Paix d'Aix-la-Chapelle faite en 1748, fembloit avoir pacifié l'Europe; mais le germe de toutes les guerres, l'ambition & l'intérêt fubfiftoient encore. Cette nation politique, ambitieufe & hautaine, ennemie de la France, autant par haine que par fyftême, auffi avide de s'aggrandir, qu'indifférente fur le choix des moyens, cherchoit dans l'exécution même du Traité de Paix, de nouvelles femences de guerre. Les limites des Colonies cauferent entre la France & l'Angleterre de très - grandes difcuffions, pour lesquelles on nomma respectivement des Commiffaires, Mais tandis que les Anglois faifoient femblant de négocier avec la France pour terminer ces reftes de divifions, déja la guerre étoit réfolue dans leur confeil, Maîtres des plus riches contrées dans l'Amérique feptentrionale, leur ambition dévoroit encore les forêts du Canada. Enlever ce pays à la Fránce, aggrandir leur commerce, & se frayer

un paffage dans nos Ifles, dont le Canada eft le plus fort boulevard, c'étoit pour eux trois puiffans motifs qui les excitoient à l'invafion. La juftice & les Traités s'y oppofoient: mais parmi les hommes, le fort de la Juftice, c'eft d'être toujours écrasée par l'intérêt; & les Traités n'ont jamais été un frein pour l'ambition.

En 1753, les Anglois, fans aucun prétexte, & dans le tems qu'on étoit en pleine paix, franchiffent les Monts Apalaches, qui féparent leurs Colonies d'avec les nôtres. Ils s'avancent en corps d'armée fur les Terres de la domination de France, & conduifent avec eux plufieurs pieces de canon. Mr de Contrecœur, Officier François, commandoit un corps de troupes qui avoit été pofté fur les bords de l'Oyo, pour éclairer la conduite des Sauvages voifins. Il apprend que les Anglois s'étoient avancés jufqu'à la riviere de Malenguélé, & qu'ils s'y fortifioient. Il crut que fon devoir l'obligeoit de s'y oppofer. Mais avant d'employer la force, cet Officier qui craignoit de rallumer la guerre, voulut tenter les voies juridiques. Il envoya au Commandant Anglois, un Officier diftingué, avec une Lettre dans laquelle il le fommoit de-retirer fes troupes de deffus les Terres de la domination Françoife. Les Anglois feignirent d'abord de fatisfaire à cette fommation; mais en effet, craignant d'être bien-tôt attaqués, ils fe hâterent d'achever le Fort qu'ils avoient commencé à bâtir; ils l'appellerent le Fort de la Néceffité,

Mr de Contrecœur étoit incertain fi les An

glois s'étoient retirés. Pour s'en affurer, il fit partir le 29 Mai Mr de Jumonville, Officier François plein de mérite, & lui donna une efcorte de trente hommes pour l'accompagner. Il avoit ordre de découvrir fi les Anglois étoient encore fur les Terres de France; & s'il les rencontroit, de notifier à leur Commandant une feconde fommation de fe retirer. Cet Officier part avec fon escorte. Il étoit encore à une certaine distance du Fort; tout-à-coup il eft environné d'Anglois qui font fur lui un feu terrible. Il fait figne de la main au Commandant; il montre fes dépêches; il demande à être entendu; le feu ceffe, on l'entoure, il annonce fon caractére & fa qualité d'Envoyé; il lit la fommation dont il eft porteur; il n'étoit encore qu'à la moitié de fa lecture, les Anglois l'affaffinent. Telle eft la réponse qu'une nation, prétendue philofophe, a fait au difcours d'un Envoyé François, dont la perfonne étoit confacrée par un titre regardé dans tous les ficcles & dans tous les pays, comme inviolable. Le feu recommence auffi-tôt. La troupe qui efcortoit Jumonville eft enveloppée. Huit hommes de cette escorte font tués & tombent à côté du corps fanglant de leur chef. Le refte forcé de fe rendre eft fait prifonnier. Un feul Canadien fe fauve & vient porter l'horrible nouvelle. Mr de Contrecœur crut alors qu'il ne devoit point différer à venger l'outrage fait à la France & au Roi fon maître. Les Sauvages indignés de l'horreur d'un tel crime, qui peutêtre eft inconnu chez eux, viennent en foule la maffue en main pour lui offrir leurs fervices.

Tous refpirent la vengeance. Tous veulent pu nir les affaffins des François leurs bienfaiteurs. Ce détachement part du Fort du Quefne; il est commandé par Mr de Villiers, frere de Mr de Jumonville. Cet Qfficier, qu'animoit en mêmetems & la nature & l'amour de la patrie, avoiť à venger & le meurtre d'un frere, & l'infulte faite à la France. Les Sauvages lui fervent de guides. Il arrive le 3 Juillet au lieu où s'étoit commis l'affaffinat. Il le trouve encore teint du fang de fon frere; il voit les corps des François encore étendus. Quel fpectacle! bientôt le Fort des Anglois eft invefti & attaqué; le feu dure avec la plus grande violence pendant trois heures de fuite. Le Fort s'ébranle, & la garnifon n'a plus de défenfes.

Les ordres de Mr de Villiers portoient expreffément de ne faire des actes d'hoftilités, qu'autant qu'il en faudroit pour chaffer les Anglois du Fort qu'ils avoient bâti, & pour évacuer les Terres de France. On vouloit éviter tout ce qui pourroit caufer une rupture entre les deux Couronnes : & tandis que les Anglois, par le plus grand de tous les crimes, fe teignoient du fang d'un Envoyé François ; les François refpectoient le fang même de ces affaffins. Mr de Villiers fidele à ce plan de modération & d'humanité, fait crier aux affiégés que s'ils veulent parler, il fera ceffer le feu. Auffi-tôt il fe préfente un Capitaine Anglois pour capituler. Les articles furent bientôt fignés. On permit aux Anglois de fortir du Fort avce les honneurs de la guerre, & une piece

ed

« AnteriorContinuar »