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prit, qui est frappé de quelque clarté, la leur attribue, et ne s'aperçoit pas qu'elles sont inintelligibles. Cet exemple fait voir combien il est important de substituer toujours des analises aux définitions des philosophes. Je crois même qu'on devrait porter le scrupule jusqu'à éviter de se servir des expressions dont ils paraissent le plus jaloux. L'abus en est devenu si familier, qu'il est difficile, quelque soin qu'on se donne, qu'elles ne fassent mal saisir une pensée au commun des lecteurs. Locke en est un exemple. Il est vrai qu'il n'en fait, pour l'ordinaire, que des applications fort justes; mais on l'entendrait dans bien des endroits avec plus de facilité, s'il les avait entièrement bannies de son style. Je n'en juge au reste que par la traduction.

Ces détails font voir quelle est l'influence des idées abstraites. Si leurs défauts ignorés ont fort obscurci toute la métaphysique, aujourd'hui qu'ils sont connus, il ne tiendra qu'à nous d'y remédier.

CHAPITRE IX.

Des principes généraux et de la synthèse.

La facilité d'abstraire et de décomposer a intro

Comment les propositions gé

duit de bonne heure l'usage des propositions générales ont êté

me

principes

propres a con

duire à des

eouvertes.

regardées com- nérales. On ne put être long-temps sans s'apercevoir qu'étant le résultat de plusieurs connaissances particulières, elles sont propres à soulager la mémoire et à donner de la précision au discours; mais elles dégénérèrent bientôt en abus, et donnèrent lieu à une manière de raisonner fort imparfaite. En voici la raison.

Les premières découvertes dans les sciences ont été si simples et si faciles, que les hommes les ont faites sans remarquer la méthode qu'ils avaient suivie. Cette méthode était bonne, puisqu'elle leur avait fait faire des découvertes; mais ils la suivaient à leur insçu, comme aujourd'hui beaucoup de personnes parlent bien sans avoir aucune connaissance des règles du langage. Dès qu'ils ne savaient pas la route qu'ils avaient tenue, il ne leur était pas possible de montrer la route qu'il fallait prendre, et il ne leur resta pas d'autres moyens, pour convaincre de la vérité de leurs découvertes, que de faire voir qu'elles s'accordaient avec les propositions générales que personne ne révoquait en doute. Cela fit croire que ces propositions étaient la vraie source de nos connaissances. On leur donna en conséquence le nom de principe; et ce fut un préjugé généralement. reçu, et qui l'est encore, qu'on ne doit raisonner que par principes 1. Ceux qui dans la suite décou

1 Je n'entends point ici par principes des observations confirmées par l'expérience. Je prends ce mot dans le sens ordi

vrirent de nouvelles vérités, parce qu'ils avaient observé comment on pouvait faire des découvertes, crurent, pour donner une plus grande idée de leur pénétration, devoir faire un mystère de la méthode qu'ils avaient suivie. Ils se contentèrent de les exposer par le moyen des principes généralement adoptés; et le préjugé reçu, s'accréditant de plus en plus, fit naître des systèmes sans nombre.

L'inutilité et l'abus des principes paraissent surtout dans la synthèse, méthode où il semble qu'il soit défendu à la vérité de paraître qu'elle n'ait été précédée d'un grand nombre d'axiomes, de définitions et d'autres propositions prétendues fécondes. L'évidence des démonstrations mathématiques et l'approbation que tous les savans donnent à cette manière de raisonner, suffiraient pour persuader que je n'avance qu'un paradoxe insoutenable. Mais les mathématiciens ont tort de faire usage de la méthode synthétique : aussi n'est-ce point à cette méthode que les mathématiques doivent leur certitude. En effet, si cette science avait été susceptible d'autant d'erreurs, d'obscurités et d'équivoques que la métaphysique, la synthèse aurait été tout-à-fait propre à les entretenir et à les multiplier de plus en plus; et si les

naire aux philosophes, qui appellent principes les propositions générales et abstraites sur lesquelles ils bâtissent leurs systèmes.

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Ces principes ne peuvent con

à

découverte.

idées des mathématiciens sont exactes, c'est qu'elles sont l'ouvrage de l'analise. La méthode que je blâme, peu propre à corriger un principe vague, une notion mal déterminée, laisse subsister tous les vices d'un raisonnement, ou les cache sous les apparences d'un grand ordre, qui est aussi superflu qu'il est sec et rebutant. Je renvoie, pour s'en convaincre, aux ouvrages de métaphysique, de morale et de théologie, où l'on a voulu

s'en servir 1.

Il suffit de considérer qu'une proposition génédreucune rale n'est que le résultat de nos connaissances particulières pour s'apercevoir qu'elle ne peut nous faire descendre qu'aux connaissances qui nous ont élevés jusqu'à elle, ou qu'à celles qui auraient également pu nous en frayer le chemin. Par conséquent, bien loin d'en être le principe, elle suppose qu'elles sont toutes connues par

Descartes, par exemple, a-t-il répandu plus de jour sur ses méditations métaphysiques quand il a voulu les démontrer selon les règles de cette méthode ? Peut-on trouver de plus mauvaises démonstrations que celles de Spinosa? Je pourrais encore citer Mallebranche, qui s'est quelquefois servi de la synthèse; Arnaud, qui en a fait usage dans un assez mauvais traité sur les idées et ailleurs; l'auteur de l'Action de Dieu sur les créatures, et plusieurs autres. On dirait que ces écrivains se sont imaginé que pour démontrer géométriquement, ce soit assez de mettre dans un certain ordre les différentes parties d'un raisonnement sous les titres d'axiomes, de définitions, de demandes, etc.

d'autres moyens, ou que du moins elles peuvent l'être. En effet, pour exposer la vérité avec l'étalage des principes que demande la synthèse, il est évident qu'il faut déjà en avoir connaissance. Cette méthode, propre tout au plus à démontrer d'une manière fort abstraite des choses qu'on pourrait prouver d'une manière bien plus simple, éclaire d'autant moins l'esprit qu'elle cache la route qui conduit aux découvertes. Il est même à craindre qu'elle n'en impose en donnant de l'apparence aux paradoxes les plus faux, parce qu'avec des propositions détachées, et souvent fort éloignées les unes des autres, il est aisé de prouver tout ce qu'on veut sans qu'il soit facile d'apercevoir par où un raisonnement pèche : on en peut trouver des exemples en métaphysique. Enfin elle n'abrège pas, comme on se l'imagine communément; car il n'y a point d'auteurs qui tombent dans des redites plus fréquentes et dans des détails plus inutiles que ceux qui s'en servent, sans en excepter les mathématiciens.

Ils donnent lieu à des dé

voles.

Il me semble, par exemple, qu'il suffit de réfléchir sur la manière dont on se fait l'idée d'un monstrations fritout et d'une partie, pour voir évidemment que le tout est plus grand que sa partie. Cependant plusieurs géomètres modernes, après avoir blâmé Euclide parce qu'il a négligé de démontrer ces sortes de propositions, entreprennent d'y suppléer. En effet, la synthèse est trop scrupuleuse

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