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peine pouvons-nous faire usage des nombres, surtout dans les combinaisons fort composées'.

Il s'est aperçu que les noms sont nécessaires

pour

les idées faites sans modeles, mais il n'en a pas saisi la vraie raison. « L'esprit, dit-il, ayant << mis de la liaison entre les parties détachées de << ses idées complexes, cette union, qui n'a aucun << fondement particulier dans la nature, cesserait << s'il n'y avait quelque chose qui la maintînt 2. »> Ce raisonnement devait, comme il l'a fait, l'empêcher de voir la nécessité des signes pour les notions des substances: car ces notions ayant un fondement dans la nature, c'était une conséquence que la réunion de leurs idées simples se conservât dans l'esprit sans le secours des mots.

Il faut bien peu de chose pour arrêter les plus grands génies dans leurs progrès: il suffit, comme on le voit ici, d'une légère méprise qui leur échappe dans le moment même qu'ils défendent la vérité. Voilà ce qui a empêché Locke de découvrir combien les signes sont nécessaires à l'exercice des opérations de l'âme. Il suppose que l'esprit fait des propositions mentales dans lesquelles il joint ou sépare les idées sans l'intervention des mots 3. Il prétend même que la meilleure voie pour arriver à des connaissances, serait de consi

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dérer les idées en elles-mêmes; mais il remarque qu'on le fait fort rarement: tant, dit-il, la coutume d'employer des sons pour des idées a prévalu parmi nous. Après ce que j'ai dit, il est inutile que je m'arrête à faire voir combien tout cela est peu exact.

Les idées abs

trailes sont des

CHAPITRE VIII.

De la nécessité et des abus des idées générales.

Abstraire, c'est proprement tirer, séparer une idées partielles. chose d'une autre, dont elle faisait partie; par conséquent les idées abstraites sont des idées partielles séparées de leur tout.

Elles ne sont Il y a deux sentimens sur ces idées : les uns les

pasinnées: elles

ne sont pas toutes

l'ouvrage de l'es prétendent innées, les autres assurent qu'elles

prit.

Les sens nous donnent

sont l'ouvrage de l'esprit. Ceux-là se trompent; ceux-ci sont peu exacts. L'action des sens suffit à la production de quelques idées abstraites; l'esprit concourt avec eux à la production de plusieurs; enfin aidé de celles qu'il a reçues des sens et de celles auxquelles il a contribué, il en forme par lui-même un grand nombre.

En effet nos sens décomposent chaque objet. idees abs- La vue en sépare les couleurs, l'ouïe les sons, etc.,

traites.

' Liv. Iv, ch. 6, sect. 1.

et notre âme ne reçoit que des idées partielles. Le toucher est le seul sens qui forme ces collections où nous trouvons des idées complexes. C'est lui qui réunit dans différens tous, ces idées qui viennent à nous séparément.

Ainsi, dans le principe, l'âme ne compose ni ne décompose; elle reçoit séparément les idées que les sens séparent; elle reçoit ensemble celles que le toucher réunit.

Avec la seule vue, on n'a que l'idée abstraite de quelque couleur; avec l'ouïe seule, on n'a que l'idée abstraite de quelque son; mais si on fait usage de la vue, de l'ouïe et du toucher, on a l'idée complexe d'un tout solide, coloré, sonore. Voilà tout l'artifice des idées que nous nous formons des objets sensibles. Les sens commencent, le concours de l'esprit ou de la réflexion survient, et les idées se multiplient.

Quant aux idées abstraites que nous acquérons des opérations de notre âme, il suffit de savoir comment toutes nos facultés spirituelles ne sont que la sensation même qui se transforme différemment pour comprendre que les sens nous donnent les idées abstraites d'attention, de comparaison, de jugement, etc.; mais ils ne les donnent qu'autant qu'ils sont aidés par la réflexion de l'esprit.

Comment nous idees abstraites

nous faisons des

des facultés de l'ame.

Comment nous nous en

Toutes nos idées ne sont que différentes combinaisons de ces deux premières espèces. Si nous faison de toutes nous bornons à juger des qualités sensibles que

espèces.

Celles où il entre des combi

prement l'ouvrage de l'esprit.

nos sens aperçoivent dans les objets, soit immédiatement, soit par le secours de quelque instrument, nous nous faisons toutes les idées abstraites de mathématique et de physique.

Si nous jugeons par analogie des qualités spirituelles qui appartiennent aux objets, nous découvrons les facultés intérieures des animaux.

Si nous jugeons de la cause par les effets, nous nous élevons par la considération de l'univers à la connaissance de Dieu.

Enfin, si nous considérons toutes nos facultés relativement à la fin à laquelle nous connaissons par la raison que Dieu nous destine, nous nous formons des idées de religion naturelle, de principes de morale, de vertus, de vices, etc.

C'est dans les idées abstraites, qui sont le fruit de naisons sont pro- différentes combinaisons, qu'on reconnaît l'ouvrage de l'esprit. Ainsi les idées abstraites de couleur, de son, etc., viennent immédiatement des sens; celles des facultés de notre âme sont dues tout à la fois aux sens et à l'esprit ; et les idées de la Divinité et de la morale appartiennent à l'esprit seul. Je dis à l'esprit seul, parce que les sens n'y concourent plus par eux-mêmes; ils ont fourni les matériaux, et c'est l'esprit qui les met en œuvre.

Les idées gé

nérales ne sont

En faisant des abstractions, nous découvrons Sommaire idées des rapports de ressemblance et de différence entre les objets. De là les idées générales qui ne sont que des idées sommaires et des expressions

abrégées. Triangle dit sommairement tous les triangles de quelque espèce qu'ils soient. Un nom abstrait devient une idée générale ou sommaire toutes les fois qu'il est la dénomination de plusieurs choses qui ont des qualités communes. Couleur, son, odeur, etc., sont tout à la fois idées abstraites, et idées sommaires ou générales : idées abstraites parce que ce sont des idées partielles que nous séparons des objets; idées sommaires, parce que chacune désigne un certain nombre de sensations qui viennent à l'âme par le même organe. C'est sous ce point de vue qu'il faut considérer les idées abstraites et générales, sans quoi on leur donnerait plus de réalité qu'elles n'en ont. Toutes ces idées sont absolument nécessaires. Les hommes étant obligés de parler des choses selon qu'elles différent ou qu'elles conviennent, il a fallu qu'ils pussent les rapporter à des classes distinguées par des signes.

Mais il faut remarquer que c'est moins par rapport à la nature des choses, que par rapport à la

Nous déterminons les genres et les espèces d'apres des con

naissances sou

faites.

manière dont nous les connaissons, que nous en vent bien impars déterminons les genres et les espèces, ou, pour parler un langage plus familier, que nous les distribuons dans des classes subordonnées les unes aux autres. Voilà pourquoi il y a souvent beaucoup de confusion dans ces sortes d'idées; et c'est pourquoi encore elles donnent souvent lieu à des disputes frivoles. Si nous avions la vue assez perçante

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