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Les liaisons d'idées ont leurs

leurs avantages.

lement comment toutes ces choses sont liées entre elles et à beaucoup d'autres.

D'autres exemplesse présenteront à vous, quand vous aurez occasion de remarquer ce qui arrive dans les cercles. Avec quelque rapidité que la conversation change de sujet, celui qui conserve son sang-froid, et qui connaît un peu le caractère de ceux qui parlent, voit presque toujours par quelle / liaison d'idées on passe d'une matière à une autre. Je me crois donc en droit de conclure que le pouvoir de réveiller nos perceptions; leurs noms ou leurs circonstances, vient uniquement de la liaison que l'attention a mise entre ces choses et les besoins auxquels elles se rapportent. Détruisez cette liaison, vous détruisez l'imagination et la mémoire.

Le pouvoir de lier nos idées a ses inconvéniens inconvéniens et comme ses avantages. Pour les faire apercevoir sensiblement, je suppose deux hommes ; l'un chez qui les idées n'ont jamais pu se lier; l'autre chez qui elles se lient avec tant de facilité et tant de force, qu'il n'est plus le maître de les séparer. Le premier serait sans imagination et sans mémoire, et n'aurait par conséquent l'exercice d'aucune des opérations qui supposent l'une ou l'autre de ces facultés. Il serait absolument incapable de réflexion; ce serait un imbécile. Le second aurait trop de mémoire et trop d'imagination, et cet excès produirait presque le même effet qu'une entière privation de l'une et de l'autre. Il aurait à peine l'exercice de

sa réflexion; ce serait un fou. Les idées les plus
disparates étant fortement liées dans son esprit,
par
la seule raison qu'elles se sont présentées en-
semble, il les jugerait naturellement liées entre
elles, et les mettrait les unes à la suite des autres
comme de justes conséquences.

Entre ces deux excès on pourrait supposer un milieu, où le trop d'imagination et de mémoire ne nuirait pas à la solidité de l'esprit, et où le trop peu ne nuirait pas à ses agrémens. Peut-être ce milicu est-il si difficile que les plus grands génies ne s'y sont encore trouvés qu'à peu près. Selon que différens espris s'en écartent, et tendent vers les extrémités opposées ils ont des qualités plus ou moins incompatibles, puisqu'elles doivent plus ou moins participer aux extrémités qui s'excluent tout-à-fait. Ainsi ceux qui se rapprochent de l'extrémité où l'imagination et la mémoire dominent, perdent à proportion des qualités qui rendent un esprit juste, conséquent et méthodique; et ceux qui se rapprochent de l'autre extrémité, perdent dans la même proportion des qualités qui concourent à l'agrément. Les premiers écrivent avec plus de grâce, les autres avec plus de suite et plus de profondeur. Mais il est à propos de développer plus en détail les vices et les avantages des liaisons d'idées.

Elles se foni volontairement

Ces liaisons se font dans l'imagination de deux manières; quelquefois volontairement, et d'autres ou involontai

rement.

Il y en a qui

sont nécessaires à notre conservation, et que

par cette raison

ment naturelles.

fois elles ne sont que l'effet d'une impression étrangère. Celles - là sont ordinairement moins fortes, de sorte que nous pouvons les rompre plus facilement; on convient qu'elles sont notre ouvrage. Celles-ci sont souvent si bien cimentées, qu'il nous est impossible de les détruire; on les croit volontiers naturelles. Toutes ont leurs avantages et leurs inconvéniens; mais les dernières sont d'autant plus utiles ou dangereuses, qu'elles agissent sur l'esprit avec plus de vivacité.

Il fallait, par exemple, que la vue d'un précipice où nous sommes en danger de tomber réveillât en on juge fausse nous l'idée de la mort. L'attention ne peut donc manquer à la première occasion de former cette liaison; elle doit même la rendre d'autant plus forte, qu'elle y est déterminée par le motif le plus pressant, la conservation de notre être.

Mallebranche a cru cette liaison naturelle, ou en nous dès la naissance. «L'idée, dit-il, d'une grande << hauteur que l'on voit au-dessous de soi, et de << laquelle on est en danger de tomber, ou l'idée << de quelque grand corps qui est prêt à tomber << sur nous et à nous écraser, est naturellement liée << avec celle qui nous représente la mort, et avec «< une émotion des esprits qui nous dispose à la «< fuite et au désir de fuir. Cette liaison ne change jamais, parce qu'il est nécessaire qu'elle soit tou

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jours la même, et elle consiste dans une dispo¬

« sition des fibres du cerveau que nous avons dès << notre enfance 1. >>

Il est évident que si l'expérience ne nous avait pas appris que nous sommes mortels, bien loin d'avoir une idée de la mort, nous serions fort surpris à la vue de celui qui mourrait le premier. Cette idée est donc acquise, et Mallebranche se trompe pour avoir cru que ce qui est commun à tous les hommes est naturel ou né avec nous. Cette erreur est générale; on ne veut pas s'apercevoir que les mêmes sens, les mêmes opérations et les mêmes circonstances doivent produire partout les mêmes effets. On veut absolument avoir recours à quelque chose d'inné ou de naturel qui précède l'action des sens, l'exercice des opérations de l'âme et les circonstances communes.

Mallebranche veut qu'il soit naturel de fuir à la vue d'un danger qui menace notre vie. Cela serait vrai, s'il entendait par naturel ce qui est devenu par l'habitude une seconde nature. Mais il entend par naturel ce que la nature nous donne seule, ou ce qui est antérieur à toute habitude. Or je demande s'il peut être naturel de fuir, lorsqu'on n'a pas encore appris à marcher.

Il y en a qui

sont une source

Si les liaisons d'idées qui se forment en nous par des impressions étrangères sont utiles, elles sont de préjugés. souvent dangereuses. Que l'éducation nous accou

Recherches de la Vér., liv. 11. ch. 3.

De faux juge

mens.

De préventions.

tume à lier l'idée de honte ou d'infamie à celle de survivre à un affront, l'idée de grandeur d'âme ou de courage à celle de s'ôter soi-même la vie, ou de l'exposer en cherchant à en priver celui de qui on a été offensé, on aura deux préjugés : l'un qui a été le point d'honneur des Romains; l'autre qui est celui d'une partie de l'Europe. Ces liaisons s'entretiennent et se fomentent plus ou moins avec l'âge. La force que le tempérament acquiert, les passions auxquelles on devient sujet, et l'état qu'on embrasse, en resserrent ou en coupent les nœuds.

Ces sortes de préjugés étant les premières impressions que nous avons éprouvées, ils ne manquent pas de nous paraître des principes incontestables. Dans l'exemple que je viens d'apporter, l'erreur est sensible, et la cause en est connue; mais il n'y a peut-être personne à qui il ne soit arrivé de faire quelquefois des raisonnemens bizarres, dont on reconnaît enfin tout le ridicule sans pouvoir comprendre comment on a pu en être la dupe un seul instant. Ils ne sont souvent que l'effet de quelque liaison singulière d'idées; cause humiliante pour notre vanité, et que pour cela nous avons tant de peine à apercevoir. Si elle agit d'une manière si secrète, qu'on juge des raisonnemens qu'elle fait faire au commun des hommes.

En général les impressions que nous éprouvons dans différentes circonstances nous font associer

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