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Elle a, dans les organes mêmes des sensations, tout ce qui la rend propre à prendre de l'accroissement et des forces; il ne lui faut plus que de la nourriture et de l'action.

Les connaissances en sont l'aliment; mais au défaut de connaissances, elle se nourrit d'idées vagues, d'opinions, de préjugés et d'erreurs, et alors elle se fortifie comme un animal qu'on nourrirait avec des alimens malsains et empoisonnés. Toujours faible, toujours incapable d'action, uniquement mue par des impressions étrangères, elle reste comme enveloppée dans les organes, et elle se trouve embarrassée de ses facultés, qu'elle ne sait pas conduire.

Cette inertie, telle que je la dépeins, ne peut à la vérité avoir lieu que lorsque nous supposons des hommes tout-à-fait imbéciles. Dans les autres la pensée a nécessairement pris des forces, puisqu'ils ont acquis des connaissances; cependant la différence n'est que du plus au moins. Si on n'est pas tout-à-fait imbécile, on peut l'être à certains égards; et on l'est toutes les fois que la pensée se nourrit sans choix de tout ce qui s'offre à elle, et que passive plutôt qu'active elle se meut au hasard. Il faut donc s'assurer des connaissances qui sont l'aliment sain de la pensée; il faut étudier les facultés dont l'action est nécessaire au progrès de ses forces; et quand nous saurons comment elle doit se nourrir, comment elle doit

agir, comment elle doit se conduire, nous connaîtrons l'art de penser. Vous en savez, Monseigneur, déjà quelque chose; mais il nous reste encore des observations à faire sur l'origine et la génération des idées, sur les facultés de l'entendement et sur la méthode. Ce sera le sujet de cet ouvrage.

PREMIÈRE PARTIE.

DE NOS IDÉES ET DE LEURS CAUSES.

Nos sensations sont l'origine de toutes

008 counaissances.

Nos besoins

sont la cause de

ment et de leur progrès.

CHAPITRE PREMIER.

De l'âme, suivant les différens systèmes où elle peut se trouver.

QUEL que soit l'objet de notre pensée, ce n'est jamais qu'elle que nous apercevons, et nous trouvons dans nos sensations l'origine de toutes nos connaissances et de toutes nos facultés.

Il serait inutile de demander quelle est la naleur développe- ture de nos sensations: nous n'avons aucun moyen pour faire cette recherche; nous ne les connaissons que parce que nous les éprouvons. C'est un principe dont nous ne pouvons pas découvrir la cause, mais dont nous pouvons observer les effets. Il doit son activité aux besoins auxquels nous sommes assujettis, et sa fécondité aux circonstances par où nous passons, et qui augmentent le nombre de nos besoins. Les plus favorables sont celles qui nous offrent des objets plus propres à exercer notre réflexion. Les grandes circonstances où se trouvent ceux qui gouvernent les

hommes sont par exemple une occasion de se faire des vues fort étendues; et celles qui se répètent continuellement dans le grand monde donnent cette sorte d'esprit qu'on appelle naturel, parce qu'on ne remarque pas les causes qui le produisent.

sonnemens des

philosophes qui

matière la fa

culté de penser.

Le péché originel a rendu l'âme si dépendante Mauvais raidu corps, que bien des philosophes, confondant Pribuent à la ces deux substances, ont cru que la première n'est que ce qu'il y a dans le corps de plus délié, de plus subtil et de plus capable de mouvement: mais ces philosophes ne raisonnent pas; ils imaginent seulement quelque chose, et chaque mot qu'ils prononcent prouve qu'ils se font des idées peu exactes. Leur suffit-il de subtiliser le corps pour comprendre qu'il est le sujet de la pensée? Sur quoi se fondent-ils lorsqu'ils assurent que des parties de matière, pour être plus subtiles, en sont plus capables de mouvement? Et quel rapport peuvent-ils trouver entre être mû et penser? Qu'est-ce encore que des parties subtiles? Y a-t-il des corps subtils en soi? et ceux qui nous échappent aujourd'hui ne seraient-ils pas grossiers si nous avions d'autres organes? Enfin qu'est-ce qu'un amas, un assemblage de parties subtiles? Un amas, un assemblage! est-ce une chose qui existe? Non, sans doute; l'existence ne convient qu'aux parties subtiles, qu'on suppose amassées ou assemblées. Par conséquent attribuer

C'est seulement dans l'é

la faculté de penser à un amas, c'est l'attribuer à quelque chose qui n'existe pas.

Comme les philosophes donnent cette faculté à quelque chose qui n'existe pas, il leur arrive encore d'entendre par le mot pensée une chose qui n'existe pas davantage. De quelle couleur est la pensée, demandent-ils, pour être entrée dans l'âme par la vue? De quelle odeur, pour être entrée par l'odorat? Est-elle d'un son grave ou aigu pour être entrée par l'ouïe, etc.? Ils ne feraient pas ces questions si par le mot pensée ils entendaient telle ou telle sensation, telle ou telle idée; mais ils considèrent la pensée d'une manière abstraite et générale, et ils en concluent avec raison que cette pensée n'appartient à aucun sens : c'est ainsi que l'homme en général n'appartient à aucun pays.

Quand on raisonne sur des idées aussi vagues, on ne prouve rien. Cependant on voit confusément quelque rapport entre une pensée abstraite qui échappe aux sens et une matière subtile qui leur échappe également, et aussitôt le mot amas, qui n'est lui-même qu'un terme abstrait, paraît montrer le sujet de cette pensée abstraite. Sans songer donc à se rendre un compte exact des raisonnemens qu'on fait, on dit : Un amas de matière subtile peut penser.

Nous avons mis plus de précision dans nos tat actuel que raisonnemens lorsque nous avons considéré la

les sens sont la

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