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demandent pas des connaissances plus exactes : nous sentons, c'est assez pour nous conduire.

Les idées distinctes et les vérités nécessaires nous présentent au contraire des connaissances exactes et des rapports appréciés. Elles dévoilent l'essence des choses qu'elles considèrent, elles en développent les propriétés. C'est ce qu'on voit en mathématiques, en morale et en métaphysique. Mais l'objet de ces sciences est abstrait.

Nous n'avons aucun moyen pour pénétrer dans la nature des substances. Nous ne le pouvons pas avec le secours des sens, puisqu'ils ne nous font voir que des amas de qualités qui supposent toutes quelque chose que nous ne connaissons pas : nous ne le pouvons pas avec le secours des abstractions, qui n'ont d'autre avantage que de nous faire observer l'une après l'autre les qualités que les sens nous offrent à la fois. Si nous voulons juger des essences des choses sensibles, nous ne pouvons donc que nous tromper.

CHAPITRE III.

De la connaissance que nous avons de nos perceptions.

Premier degré de connais

Les objets agiraient inutilement sur les sens, l'âme n'en prendrait jamais connaissance, si elle ance. n'en avait pas la perception. Ainsi le premier et

Comment il peut être plus ou

le moindre degré de connaissance, c'est d'aper

cevoir.

Mais puisque la perception ne vient qu'à la suite moins étendu. des impressions qui se font sur les sens, il est certain que ce premier degré de connaissance doit avoir plus ou moins d'étendue, selon qu'on est organisé pour recevoir plus ou moins de sensations différentes. Prenez des créatures qui soient privées de la vue; d'autres qui le soient de la vue et de l'ouïe, et ainsi successivement; vous aurez bientôt des créatures qui étant privées de tous les sens ne recevront aucune connaissance. Supposez au contraire, s'il est possible, de nouveaux sens dans des animaux plus parfaits que l'homme. Que de perceptions nouvelles! Par conséquent combien de connaissances à leur portée auxquelles nous ne saurions atteindre, et sur lesquelles nous ne saurions même former des conjectures.

Comment des perceptions que

nous ne remar

fluent dans no

On serait naturellement porté à croire que nous quons pas in- ne sommes pas toujours avertis de la présence des tre conduite. perceptions qui se font en nous; c'est que souvent nous le sommes si faiblement, qu'à peine nous souvenons-nous de les avoir éprouvées. Il nous arrive même de les oublier tout-à-fait, et ce n'est qu'en réfléchissant sur les situations, où nous nous sommes trouvés, que nous jugeons des impressions qu'elles ont dû faire sur notre âme. Or si par la conscience d'une perception on entend une connaissance réfléchie qui en fixe le souvenir, il est

évident que la plupart de nos perceptions échappent à notre conscience : mais si on entend par là une connaissance qui, quoique trop légère pour laisser des traces après elle, est cependant capable d'influer et influe en effet sur notre conduite au moment que la perception se fait éprouver, il n'est pas douteux que nous n'ayons conscience d'une multitude de perceptions qui paraissent ne pas nous avertir de leur présence. Des exemples éclairciront ma pensée.

Que quelqu'un soit dans un spectacle, où une multitude d'objets paraissent se disputer ses regards, son âme sera assaillie de quantité de perceptions dont il est constant qu'elle prend connaissance, mais peu à peu quelques-unes lui plairont et l'intéresseront davantage : il s'y livrera donc plus volontiers. Dès lors il commencera à être moins affecté par les autres : la conscience en diminuera même insensiblement jusqu'au point que, quand il reviendra à lui, il ne se souviendra pas d'en avoir pris connaissance : l'illusion qui se fait au théâtre en est la preuve. Il y a des momens où la conscience ne paraît pas se partager entre l'action qui se passe et le reste du spectacle. Il semblerait d'abord que l'illusion devrait être d'autant plus vive, qu'il y`aurait moins d'objets capables de distraire : cependant chacun a pu remarquer qu'on n'est jamais plus porté à se croire le seul témoin d'une scène intéressante, que quand le spectacle est bien rem

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Nous ne re

marquons pas le

nom

plus grand no

ceptions.

pli. C'est peut-être que le nombre, la variété, et la magnificence des objets remuent les sens, échauf fent, élèvent l'imagination, et par là nous rendent plus propres aux impressions que le poëte veut faire naître. Peut-être encore que les spectateurs se portent mutuellement, par l'exemple qu'ils se donnent, à fixer la vue sur la scène. Quoi qu'il en soit, il me semble que l'illusion se détruirait ou diminuerait sensiblement, si les objets dont on ne croit pas s'apercevoir cessaient d'y concourir.

Qu'on réfléchisse sur soi-même au sortir d'une lecture, il semblera qu'on n'a eu conscience ou qu'on n'a été averti que des idées qu'elle a fait naître. Mais on ne se laissera pas tromper par cette apparence, si on fait réflexion que, sans la conscience de la perception des lettres, on n'en aurait point eu de celle des mots, ni par conséquent de celle des idées.

Non seulement nous oublions ordinairement

Bre de nos per- une partie de nos perceptions, mais quelquefois nous les oublions toutes. Quand nous ne fixons point notre attention, en sorte que nous recevons les perceptions qui se produisent en nous, sans être plus avertis des unes que des autres, la conscience en est si légère, que si l'on nous retire de cet état, nous ne nous souvenons pas d'en avoir éprouvé. Je suppose qu'on me présente un tableau fort composé, dont à la première vue les parties ne me frappent pas plus vivement les unes que les

autres, et qu'on me l'enlève avant que j'aie eu le temps de le considérer en détail, il est certain qu'il n'y a aucune de ses parties sensibles qui n'ait produit en moi des perceptions; mais la conscience en a été si faible que je ne puis m'en souvenir. Cet oubli ne vient pas de leur peu de durée : quand on supposerait que j'ai eu pendant long-temps les yeux attachés sur ce tableau ; pourvu qu'on ajoute que je n'ai pas rendu tour à tour plus vives la conscience des perceptions de chaque partie, je ne serai pas plus en état, au bout de plusieurs heures, d'en rendre compte qu'au premier instant.

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Ce qui se trouve vrai des perceptions qu'occasionne ce tableau, doit l'être par la même raison de celles que produisent les objets qui m'environnent. Si agissant sur les sens avec des forces presque égales, ils produisent en moi des perceptions toutes à peu près dans un pareil degré de vivacité; et si mon âme se laisse aller à leur impression, sans chercher à avoir plus conscience d'une perception que d'une autre, il ne me restera aucun souvenir de ce qui s'est passé en moi. Il me semblera que mon âme a été pendant tout ce temps dans une espèce d'assoupissement, où elle n'était occupée d'aucune pensée. Que cet état dure plusieurs heures ou seulement quelques secondes, je n'en saurais remarquer la différence dans la suite des perceptions que j'ai éprouvées, puisqu'elles sont également oubliées dans l'un et l'autre cas.

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