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vers lui un homme qui lui dit : « Si cela ne doit pas << tourner à l'avenir contre moi, je t'indiquerai en « quel lieu est le cadavre de Clovis. » Le roi jura qu'on ne lui ferait aucun mal, mais que plutôt on le récompenserait par des présens, Alors il dit : « La «< chose même prouvera, ô roi, la vérité de mes pa<< roles; car lorsque Clovis eut été tué et enterré sous « l'auvent d'un oratoire, la reine, craignant que quel« qu'un ne le trouvât et ne l'enterrât avec honneur, <«< ordonna qu'il serait jeté dans la Marne. Alors je le << trouvai dans des filets que j'avais préparés pour les « besoins de mon métier, qui est de prendre des pois«<sons. Ne sachant d'abord qui c'était, je reconnus « Clovis à la longueur de ses cheveux, et l'ayant pris << sur mes épaules, je le portai au rivage où je l'en<< terrai et le couvris de gazon; voilà que j'ai sauvé «< son corps, fais à présent ce que tu voudras. » Le roi, apprenant ce qu'avait fait cet homme, feignit d'aller à la chasse, et ayant découvert le tombeau, y trouva le corps encore sain et entier. Seulement une partie des cheveux qui se trouvaient en dessous étaient déjà tombés; mais le reste était encore intact et conservait ses longues boucles. Le roi reconnut que c'était celui qu'il cherchait avec tant de soin; ayant donc convoqué l'évêque de la ville, le clergé et le peuple, et fait allumer un nombre infini de cierges, il conduisit le corps, pour y être enterré, à la basilique de SaintVincent, ne donnant pas moins de larmes à la mort de ses neveux qu'il n'en avait répandu lorsqu'il vit ensevelir ses propres enfans. Après quoi il envoya Pappole, évêque de Chartres, demander le cadavre de Mérovée, et l'ensevelit auprès du tombeau de Clovis.

Un des gardiens de la porte vint dire d'un de ses camarades: « Seigneur roi, celui-ci a consenti à re« cevoir une récompense pour te tuer. » Celui qu'il accusait ayant été pris, fut frappé de coups et livré à beaucoup de tourmens, mais sans rien déclarer de la chose sur laquelle on l'interrogeait. Beaucoup de gens disaient que cela avait été fait par fraude et par envie, parce que le roi aimait beaucoup celui de ces gardiens de la porte auquel on avait imputé un tel crime. Ansovald, saisi de je ne sais quel soupçon, quitta le roi sans lui dire adieu. Le roi, revenu à Châlons, ordonna qu'on fit mourir par le glaive Boante qui lui avait toujours été infidèle. Sa maison fut entourée par les hommes du roi, et il périt tué par eux. Le fisc fut mis en possession de ses biens.

Comme ensuite, le roi s'appliquait de toutes ses forces à poursuivre de nouveau l'évêque Théodore,

et

que Marseille était déjà rentrée sous la puissance de Childebert, le duc Rathaire fut envoyé par le roi Childebert, pour examiner en son nom cette affaire; mais lui, négligeant les formes de procédure que lui avait prescrites le roi, fit entourer la maison de l'évêque, l'obligea de donner caution, et de se rendre en présence du roi Gontran, pour être jugé par le synode qui devait avoir lieu à Mâcon, et y être condamné par les évêques; mais la vengeance divine, qui a continué de défendre ses serviteurs de la gueule des chiens furieux, ne s'oublia pas en ceci. L'évêque étant sorti de la cité, Rathaire s'empara des effets de l'église, prit les uns pour lui, et enferma les autres sous la garde de son sceau. Aussitôt qu'il eut agi ainsi, une cruelle maladie s'empara de ses serviteurs, qui moururent épui

sés de la fièvre. Son fils périt du même mal, et il l'ensevelit avec de grands gémissemens dans un des faubourgs de Marseille, et sa maison fut frappée d'une telle plaie que, sorti de la ville, à peine pensait-on qu'il fût en état de regagner son pays. L'évêque Théodore fut retenu par le roi Gontran, mais le roi ne lui fit point de mal.. C'est un homme d'une éminente sainteté, assidu à l'oraison, et de qui Magneric, évêque de Trèves, m'a raconté ce qui suit : « Lorsque les << années précédentes on l'avait amené au roi Childe« bert, il était si rigoureusement gardé que, quand «< il arrivait à une ville quelconque, on ne lui permet<< tait de voir ni l'évêque ni aucun des citoyens. Il vint «< à Trèves, et on annonça à l'évêque qu'on l'avait « déjà fait entrer dans la barque qui devait l'emmener << en secret. L'évêque affligé se leva, et le suivant en << toute diligence, parvint à l'atteindre, tandis qu'il <«< était encore sur le rivage. Il demanda aux gardes pourquoi ils en usaient avec cette cruauté de ne pas << lui permettre de voir son frère. Cependant il le vit, « l'embrassa, et après lui avoir donné quelques vête<< mens il le quitta. Il se rendit ensuite à la basilique <«< de Saint-Maximin, et se prosterna devant le sépul<«< cre, se rappelant ces paroles de l'apôtre Jacques : priez l'un pour l'autre, afin que vous soyez gué« ris. Après avoir long-temps offert au Seigneur sa «< prière et ses larmes pour qu'il daignât venir au << secours de son frère, il sortit de la basilique, et voilà « qu'une femme agitée et tourmentée de l'esprit d'er<< reur, commença à appeler l'évêque, et à lui dire : « O scélérat, devenu plus méchant par les années,

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qui offres à Dieu tes oraisons pour notre ennemi « Théodore! voilà que nous cherchons tous les jours «< comment nous pourrons le chasser de la Gaule, où «< chaque jour il souffle le feu contre nous; et toi tu «< ne te lasses pas de prier pour lui. Il te vaudrait « mieux de t'occuper diligemment des soins de ton église, pour empêcher le bien des pauvres de dé« périr, que de t'appliquer de cette sorte à prier pour «< celui-ci. » Et elle ajoutait : « Malheur à nous qui << ne pouvons parvenir à le chasser! » Et quoiqu'on ne doive pas croire aux paroles du démon, on vit cependant quelle était la sainteté de cet évêque, dont le démon se plaignait à grands cris. Mais revenons à ce que nous avons commencé.

Le roi fit partir des envoyés pour aller trouver son neveu Childebert, qui demeurait alors au château de Conflans, ainsi nommé parce que le Rhin et la Moselle viennent se joindre en ce lieu; et comme il avait été convenu que les évêques des deux royaumes se rassembleraient dans la ville de Troyes en Champagne, et que les évêques du royaume de Childebert ne s'y étaient pas rendus, Félix l'un des envoyés, après avoir salué le roi et lui avoir montré ses lettres, lui dit : << Ton oncle, ô roi, te demande avec instance pour« quoi tu as révoqué ta promesse, en sorte que les « évêques de ton royaume à qui vous aviez ordonné « de venir au concile, ne s'y sont pas rendus. Peut« être des hommes méchans ont-ils fait naître entre << vous quelque germe de discorde. » Le roi gardant le silence, je répondis : « Ce n'est pas merveille qu'on « sème la zizanie entre les peuples; mais entre ces

I Coblentz.

« deux rois, où celui qui voudrait la répandre trou<< verait-il à en déposer le germe ? Personne n'ignore « que le roi Childebert n'a d'autre père que son oncle, «< et nous n'avons pas entendu dire jusqu'à présent «< que celui-ci se dispose à avoir un autre fils. Que « Dieu ne permette donc pas qu'aucun germe de dis«< corde croisse entre ceux qui doivent également s'ai<«< mer et se soutenir. » Le roi Childebert, ayant ensuite parlé en secret à l'envoyé Félix, le pria et lui dit : « Je supplie mon seigneur et père de ne faire souf« frir aucune injure à l'évêque Théodore, car s'il le « faisait, il en naîtrait aussitôt du scandale entre nous, << et nous serions divisés par les empêchemens de la <«< discorde, nous qui devons demeurer en paix, et << nous soutenir avec affection. » L'envoyé partit après avoir obtenu réponse sur ce point et sur plusieurs

autres.

Durant notre séjour avec le roi dans le susdit château, une fois que nous avions été retenus jusqu'à la nuit à la table du prince, le repas fini, nous nous levâmes, et nous étant rendus au bord du fleuve, nous y trouvâmes une barque qui avait été préparée pour nous. Comme nous y montions, une troupe de gens de toutes sortes vint s'y précipiter, et la barque se trouva remplie tant d'hommes que d'eau; mais la puissance du Seigneur se montra en ceci, non sans un grand miracle; car, bien que la barque fût remplie jusqu'au bord, elle ne put enfoncer. Nous avions avec nous les reliques du bienheureux Martin et de plusieurs autres Saints, et c'est par leurs vertus que nous croyons avoir été sauvés. La barque revint au rivage d'où nous étions partis; on la vida d'hommes et d'eau,

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