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« mes forces. » Les habitans crurent à ces paroles, et, après avoir renfermé dans la ville tout ce qu'ils purent rassembler, ils se préparèrent à faire résistance. Dans ce temps, le roi Gontran envoya à Gondovald, au nom de la reine Brunehault, une lettre où on lui écrivait de congédier son armée, d'ordonner à chacun de retourner dans son pays, et d'aller passer ses quartiers d'hiver à Bordeaux. Cette lettre était une ruse pour savoir à fond ce que faisait Gondovald.

Étant demeuré dans la ville de Comminges, Gondovald parla aux habitans, disant : « Voilà que << l'armée approche déjà, sortons pour lui résister. >> Quand ils furent sortis, les guerriers de Gondovald s'étant emparés des portes et les ayant fermées, chassèrent ainsi le peuple et, de concert avec l'évêque du lieu, s'emparèrent des vivres et de tout ce qu'ils purent trouver dans la ville. Il y avait une si grande quantité de vivres et de vins que, s'ils avaient fait une défense courageuse, ils auraient pu se soutenir pendant un grand nombre d'années sans manquer d'alimens.

Les généraux du roi Gontran avaient entendu dire que Gondovald était arrêté sur le rivage au-delà de la Garonne avec une nombreuse troupe, et qu'il gardait avec lui les trésors qu'il avait enlevés à Rigonthe. Alors ils se précipitèrent à la nage avec leurs chevaux dans la Garonne, et quelques soldats de leur armée se noyèrent. Arrivés sur le bord et cherchant Gondovald, ils trouvèrent des chameaux chargés de beaucoup d'or et d'argent, et des chevaux fatigués qu'il avait laissés dans les chemins. Instruits qu'il demeurait renfermé dans la ville de Comminges, et lais

sant là leurs chariots et autres bagages avec le menu peuple, les plus braves guerriers, après avoir passé la Garonne, se préparèrent à poursuivre Gondovald.

S'étant hâtés, ils arrivèrent à la basilique de saint Vincent, située près de la frontière de la cité d'Agen, où on dit que le martyr consomma son sacrifice pour le nom de Jésus-Christ. Ils la trouvèrent remplie des trésors des habitans qui espéraient que des chrétiens ne violeraient pas la basilique d'un si grand martyr. On en avait fermé les portes avec un grand soin. L'armée s'approcha promptement. Ne pouvant ouvrir les portes du temple, ils y mirent le feu. Lorsque les portes furent consumées, ils pillèrent toutes les richesses et tous les meubles qu'ils purent trouver, aussi-bien que les ornemens sacrés. Mais la vengeance divine effraya un grand nombre de soldats; car, par la volonté de Dieu, plusieurs eurent les mains brûlées, et il en sortait une épaisse fumée comme d'un incendie. Quelques-uns, possédés du démon, couraient comme des furieux, invectivant contre le martyr. Plusieurs, éloignés de leurs compagnons, se percèrent de leurs propres lances. Le reste de l'armée continua sa marche non sans une grande crainte. Que dirai-je ? on arriva à Comminges, et toute l'armée campa dans la campagne environnante. Ayant dressé les tentes, ils demeurèrent dans cet endroit. Ils ravagèrent tout le pays d'alentour. Lorsque quelques soldats, pressés davantage par l'aiguillon de l'avidité, s'écartaient loin des autres, ils étaient égorgés par les habitans.

Un grand nombre montaient sur la colline, et parlaient souvent avec Gondovald, lui prodiguant des

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injures et lui disant : « Es-tu ce peintre qui, dans le << temps du roi Clotaire, barbouillait dans les ora<< toires les parvis et les voûtes? Es-tu celui que les << habitans des Gaules appellent souvent du nom de « Ballomer? Es-tu celui qui, à cause de ses préten

tions, a si souvent été tondu et exilé par les rois <«< des Francs ? Fais-nous au moins savoir, ô le plus mi«< sérable des hommes, qui t'a conduit dans ces lieux? « qui t'a donné l'audace extraordinaire d'oser appro«< cher des frontières de nos seigneurs et rois? Si quel<< qu'un t'a appelé, dis-le positivement; voilà la mort « étalée devant tes yeux; voilà la fosse que tu as cher«< chée long-temps, et dans laquelle tu viens te pré«< cipiter. Dénombre-nous tes satellites ou déclare« nous ceux qui t'ont appelé. » Gondovald, entendant ces paroles, s'approchait et disait du haut de la porte: «Que mon père Clotaire m'ait eu en aver«<sion, c'est ce que personne n'ignore; que j'aie « été tondu par lui et ensuite par mes frères, c'est «< ce qui est connu de tous. C'est ce motif qui m'a «< fait retirer en Italie auprès du préfet Narsès; là j'ai << pris une femme et engendré deux fils; ma femme « étant morte, je pris avec moi mes enfans et allai << à Constantinople; j'ai vécu jusqu'à ce temps ac<< cueilli par les empereurs avec une extrême bienveil« lance. Il y a quelques années Gontran-Boson étant << venu à Constantinople, je m'informai de lui, avec <«< empressement, des affaires de mes frères, et je sus « que notre famille était très-affaiblie et qu'il n'en << restait que Childebert fils de mon frère et Gontran «< mon frère; que les fils du roi Chilpéric étaient << morts avec lui et qu'il n'avait laissé qu'un petit en

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fant; que mon frère Gontran n'avait pas d'enfans, <«<et que mon neveu Childebert n'était pas un puis<«< sant guerrier. Alors Gontran-Boson, après m'a<< voir exactement exposé ces choses, m'invita en « disant : Viens, tu es appelé par tous les principaux du royaume de Childebert, et per« sonne n'ose s'opposer à toi, car nous savons «< tous que tu es fils de Clotaire; et il n'est resté « personne dans les Gaules pour gouverner ce « royaume, à moins que tu ne viennes. Ayant fait <«< des présens à Gontran-Boson, je reçus son serment « dans douze lieux saints, afin de venir ensuite avec « sécurité dans ce royaume. Je vins à Marseille où « l'évêque me reçut avec une extrême bonté, car <«< il avait des lettres des principaux du royaume de <«< mon neveu; je m'avançai de là vers Avignon au

près du patrice Mummole. Gontran, violant son ser«<ment et sa promesse, m'enleva mes trésors et les << retint en son pouvoir. Reconnoissez donc que je <<< suis roi comme mon frère Gontran; cependant si << votre esprit est enflammé d'une si grande haine, <«< qu'on me conduise au moins vers votre roi, et s'il « me reconnaît pour son frère, qu'il fasse ce qu'il << voudra. Si vous ne voulez pas même cela, qu'il << me soit permis de m'en retourner là d'où je suis « venu. Je m'en irai sans faire aucune injure à per<«< sonne. Pour que vous sachiez que ce que je dis «< est vrai, interrogez Radegonde dè Poitiers et Ingil<«< trude de Tours, elles vous affirmeront la vérité « de mes paroles. » Pendant qu'il parlait ainsi, un grand nombre accueillait son discours avec des injures et des reproches.

Le quinzième jour avait brillé sur ce siége, et Leudégésile préparait de nouvelles machines pour détruire la ville les chariots étaient chargés de béliers, de claies et de planches, à couvert desquels l'armée s'avançait pour renverser les remparts; mais, en avançant, ils étaient si accablés de pierres que tous ceux qui approchaient des murs succombaient bientôt; on jetait sur eux des marmites pleines de poix et de graisse enflammée, et d'autres remplies de pierres. La nuit étant venue mettre fin au combat, les assiégeans s'en retournèrent dans leur camp. Gondovald avait avec lui Chariulf, homme riche et puissant, des magasins et des celliers duquel la ville était remplie, et qui par ses biens nourrissait presque tous les citoyens. Bladaste voyant ce qui se passait, et craignant que Leudégésile, après avoir remporté la victoire, ne les livrât à la mort, mit le feu à la maison épiscopale. Tandis que les assiégés accouraient tous pour apaiser l'incendie, il s'échappa par la fuite. Le lendemain matin, l'armée se prépara de nouveau au combat. Ils firent des faisceaux de broussailles pour combler le fossé profond situé du côté de l'Orient; mais cette invention ne fit aucun mal. L'évêque Sagittaire faisait souvent tout armé le tour des remparts, et souvent du haut du mur il jetait des pierres de sa propre main contre les assiégeans.

Ceux-ci voyant que rien ne pouvait réussir envoyèrent secrètement des députés à Mummole, disant: << Reconnais ton seigneur, et renonce enfin à «< cette perversité. Quelle est en effet ta folie de te « soumettre à un homme inconnu ? Ta femme et tes « enfans ont déjà été mis en captivité Tes fils, à ce

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