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que souffraient les Tourangeaux, il envoya une députation, nous conjurant de ne pas nous livrer au parti du roi Gontran, si nous voulions consulter nos vrais intérêts, et de nous souvenir plutôt de Sigebert, père de Childebert. Nous fìmes dire à notre tour à l'évêque et aux citoyens de Poitiers que, s'ils ne se soumettaient pas à temps au roi Gontran, ils subiraient les mêmes maux, car nous leur fìmes observer que Gontran était maintenant père des deux fils de Sigebert et de Chilpéric, qu'il les avait adoptés, et qu'il possédait ainsi tout le royaume comme avait fait autrefois son père Clotaire. Ils ne se rendirent pas à nos observations, et Gararic sortit de la ville comme pour aller chercher une armée, y laissant Eberon serviteur du roi Childebert.

Sichaire et Wiliachaire, comte d'Orléans, qui demeurait alors à Tours, levèrent une armée contre les habitans de Poitiers; leur pays fut ravagé d'un côté par les Tourangeaux, et de l'autre par les habitans de Bourges. Ils approchaient de la frontière, et avaient déjà commencé à incendier des maisons, lorsque les Poitevins leur envoyèrent des députés disant : « Nous vous prions « d'attendre jusqu'au plaid que doivent tenir ensem<<< ble les rois Gontran et Childebert; que s'il est cons<< tant que le bon roi Gontran possède ce pays, nous << ne ferons aucune résistance: sinon, nous reconnaî<< trons le seigneur que nous devons servir. » Les autres leur répondirent : « Rien ne nous regarde dans «< cette affaire, si ce n'est d'accomplir les ordres du

prince. Si vous ne voulez pas, nous allons conti<«< nuer à ravager tout. » Ils incendièrent donc tout, et emmenèrent le butin et les prisonniers; les parti

sans de Childebert ayant été alors chassés de la ville, les habitans prêtèrent au roi Gontran un serment qu'ils n'observèrent pas long-temps.

Le temps fixé pour le plaid étant arrivé, le roi Childebert envoya vers le roi Gontran l'évêque Ægidius, Gontran-Boson, Sigewald et beaucoup d'autres. Lorsqu'ils furent entrés, l'évêque dit : « Nous « rendons grâce au Dieu Tout-Puissant, ô roi très« pieux, de ce qu'après bien des fatigues il t'a remis << en possession de tes pays et de ton royaume. « Le roi lui dit: « On doit rendre de dignes actions de <«< grâces au Roi des Rois, au Seigneur des Seigneurs << dont la miséricorde a daigné accomplir ces choses; « on ne t'en doit aucune à toi qui, par tes perfides «< conseils et tes fourberies, as fait incendier l'année <«< passée tous mes États; toi qui n'as jamais tenu ta foi <«< à aucun homme, toi, dont l'astuce est partout fa«< meuse, et qui te conduis partout, non en évêque, << mais en ennemi de notre royaume! » A ces paroles, l'évêque, saisi de courroux, se tut. Un des députés dit: << Ton neveu Childebert te supplie de lui faire rendre << les cités dont son père était en possession. » Gontran répondit à celui-ci : « Je vous ai déjà dit que nos trai«tés me confèrent ces villes, c'est pourquoi je ne << veux point les rendre. » Un autre député lui dit : << Ton neveu te prie de lui faire remettre la criminelle Frédégonde, qui a fait périr un grand nombre de «< rois, pour qu'il venge sur elle la mort de son père, << de son oncle et de ses cousins. » Le roi lui répondit : « Elle ne pourra être remise en son pouvoir, parce qu'elle a un fils qui est roi ; je ne crois pas à la vérité

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<«< de tous les crimes que vous lui imputez. » Ensuite

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Gontran-Boson s'approcha du roi comme pour lui peler quelque chose; et, comme il avait répandu que Gondovald venait d'être proclamé roi, Gontran, prévenant ses paroles, lui dit : « Ennemi de notre pays «<et de notre trône, qui précédemment es allé en

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Orient exprès pour placer sur notre trône un Ballo<< mer (le roi appelait ainsi Gondovald), homme tou« jours perfide et qui ne tiens rien de ce que tu pro<«< mets! » Boson lui répondit : « Toi, seigneur et rọi, <<< tu es assis sur le trône royal, et personne n'ose répondre à ce que tu dis; je soutiens que je suis in<< nocent de cette affaire. S'il y a quelqu'un, égal à « moi, qui m'impute en secret ce crime, qu'il vienne

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publiquement et qu'il parle. Pour toi, très-pieux roi, << remets le tout au jugement de Dieu; qu'il décide <«< lorsqu'il nous aura vu combattre en champ clos. >> A ces paroles, comme tout le monde gardait le silence, le roi dit : « Cette affaire doit exciter tous les guerriers « à repousser de nos frontières un étranger, dont le « père a tourné la meule, et, pour dire vrai, son père « a manié la carde et fait de la laine. » Et, quoiqu'il se puisse bien faire qu'un homme s'occupe de deux métiers, un des députés répondit à ce reproche du roi : « Tu prétends donc que cet homme a eu deux pères, «<l'un cardeur et l'autre meûnier. Cesse, ô roi, de «< parler si mal, car on n'a point ouï dire qu'un seul <«< homme, si ce n'est en matière spirituelle, puisse << avoir deux pères. » Comme ces paroles excitaient le rire d'un grand nombre, un autre député dit : « Nous << te disons adieu, ô roi! puisque tu ne veux pas rendre « les cités de ton neveu, nous savons que la hache est << entière qui a tranché la tête à tes frères; elle te

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« fera bientôt sauter la cervelle; et ils se retirèrent après ce bruyant débat. A ces mots le roi, enflammé de colère, ordonna qu'on leur jetât à la tête pendant qu'ils se retiraient du fumier de cheval, des herbes pourries, de la paille, du foin pourri et la boue puante des rues de la ville. Couverts d'ordures, les députés se retirèrent, non sans essuyer un grand nombre d'injures et d'outrages.

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Pendant que la reine Frédégonde résidait dans une église de Paris, Léonard, un de ses domestiques, qui arrivait de la ville de Toulouse, étant venu vers elle, lui raconta les injures et les outrages auxquels sa fille était en proie, lui disant : «< Comme par votre « ordre j'ai voyagé avec la reine Rigonthe, j'ai vu <«< son abaissement et comment elle a été dépouillée << de ses trésors et de tous ses biens m'étant échappé « par la fuite, je viens annoncer à ma maîtresse ce qui a été fait. » A ces paroles, Frédégonde, entrant en fureur, ordonna qu'on le mît à nu dans l'église même, et qu'après l'avoir dépouillé de ses vêtemens et d'un baudrier qu'il avait reçu en présent du roi Chilpéric, on le chassât de sa présence. Elle fit pareillement battre, dépouiller et mutiler les cuisiniers et boulangers, et tous ceux qu'elle sut de retour de ce voyage. Elle essaya de noircir auprès du roi, par d'odieuses accusations, Nectaire, frère de l'évêque Baudégésile, affirmant qu'il avait enlevé beaucoup de choses des trésors du roi mort. Elle disait qu'il avait pris dans l'office des peaux et des vins, et demandait qu'on le chargeât de chaînes et qu'on le plongeât dans une obscure prison; mais la douceur du roi et la protection de Baudégésile empê

chèrent qu'il n'en fût ainsi. Faisant tant d'insolentes actions, cette reine ne craignait pas Dieu, dans l'église duquel elle cherchait un asile. Elle avait alors auprès d'elle le juge Odon, qui, du temps du roi Chilpéric, l'avait conseillée dans une multitude de crimes. Ce fut lui qui, de concert avec le préfet Mummole, soumit à un tribut public un grand nombre de Francs qui, dans le temps du roi Childebert l'ancien, en avaient été exempts. Après la mort du roi, les Francs le dépouillèrent et le mirent à nu, de manière qu'il ne lui resta que ce qu'il put emporter sur lui. Ils incendièrent sa maison; ils lui auraient même ôté la vie s'il ne s'était réfugié dans l'église avec la reine.

Elle reçut avec colère l'évêque Prétextat que les habitans de Rouen, après la mort du roi, rappelèrent de l'exil et rétablirent dans sa ville avec une grande joie et en grand triomphe. Après son retour, il se rendit dans la ville de Paris et se présenta au roi Gontran, le priant d'examiner avec soin son affaire. La reine prétendait qu'on ne devait pas recevoir un homme qui avait été éloigné du ministère pontifical par le jugement de quarante-cinq évêques. Comme le roi voulait convoquer un synode à ce sujet, Ragnemode, évêque de Paris, donna cette réponse au nom de tous les évêques : « Sachez que les évêques « lui ont infligé une pénitence, mais qu'ils ne l'ont point absolument écarté de l'épiscopat.» Ayant été reçu par le roi et admis à sa table, il retourna ensuite dans sa ville.

Promotus, que le roi Sigebert avait créé évêque de Châteaudun, en avait été écarté après la mort du

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