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était un grand nombre des lits de ses clercs. Ses ennemis s'étant méfiés du clerc qui devait l'assassiner, pensèrent à exécuter par eux-mêmes leur perfidie, et tramèrent un autre artifice, soit pour le faire périr violemment, soit pour le charger d'un crime qui le fit exclure du sacerdoce. Tandis que tout le monde reposait vers le milieu de la nuit, ils se précipitèrent dans la chambre à coucher de l'évêque, poussant de grandes exclamations, et disant qu'ils en avaient vu sortir une femme, et qu'ils l'avaient laissée aller pour courir à l'évêque. C'était certainement par le conseil et l'instigation du diable qu'ils imputaient un tel crime à leur évêque, alors âgé de près de soixante-dix ans. Sans perdre de temps, et de concert avec le clerc dont j'ai parlé, ils lièrent l'évêque qui vit ses mains chargées de chaînes par celui dont le cou avait été plusieurs fois délivré par lui de ses liens, et il fut condamné à une prison sévère par l'homme qu'il avait souvent tiré de la fange des cachots. Voyant que ses ennemis procédaient contre lui avec cette violence, il implora avec larmes, dans ses chaînes, la miséricorde du Seigneur ; aussitôt ses gardes se sentirent accablés de sommeil, la volonté du Seigneur détacha ses liens et celui qui avait si souvent délivré les méchans fut délivré sans avoir rien souffert de leur méchanceté; puis, s'échappant, il passa dans le royaume du roi Gontran. Une fois qu'il fut parti, ceux qui avaient comploté contre lui s'adressèrent plus librement au roi Chilpéric pour lui demander l'épiscopat; et, accusant l'évêque de beaucoup de crimes, ils ajoutaient : « Sache, ô roi très-glorieux! que nos paroles sont

« véritables; car, dans la crainte de la mort que lui « ont méritée ses crimes, il a passé au royaume de « ton frère. » Le roi ne les crut point, et leur ordonna de retourner à la ville; et tandis que cela se passait, les citoyens, affligés de l'absence de leur pasteur, et sachant que tout cela s'était fait par envie et par avarice, se saisirent de l'archidiacre et de son associé, auteurs de cette iniquité, et demandèrent au roi de leur rendre leur évêque. Le roi envoya des messagers à son frère, l'assurant qu'il n'avait trouvé l'évêque coupable d'aucun crime. Le roi Gontran, qui était bon et plein de libéralité envers les malheureux, lui fit beaucoup de présens, et lui donna des lettres pour tous les évêques de son royaume, afin que pour l'a mour de Dieu ils eussent soin de l'assister dans son voyage. Alors, parcourant les cités, il en recueillit des prêtres de Dieu tant de choses, soit en vêtemens, soit en or, qu'à peine put-il rapporter tout ce qu'il avait reçu, et en lui fut accomplie cette parole de l'apôtre : « Tout contribue au bien de ceux qui aiment « Dieu; » car ce voyage lui apporta beaucoup de richesses, et son exil le mit dans l'opulence. Retournant ensuite vers ses concitoyens, il en fut reçu avec tant d'honneur qu'ils pleuraient de joie et bénissaient Dieu de ce qu'il avait rendu à son église un tel évêque.

la

Lupintius, abbé de la basilique de Saint-Privas, martyr, dans la cité du Gévaudan, fut mandé par reine Brunehault, et vint la trouver. Il était accusé, dit-on, par Innocent, comte de ladite ville, d'avoir parlé de la reine avec irrévérence. Mais l'affaire ayant

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été examinée, il ne fut trouvé en rien coupable de lèze-majesté, et reçut l'ordre de s'en retourner. Cependant, comme il commençait à se mettre en route, il fut pris par ledit comte et conduit au village de Ponthion, où on lui fit souffrir beaucoup de tourmens. Relâché ensuite pour s'en retourner chez lui, comme il avait tendu ses pavillons sur la rivière d'Aisne, son ennemi vint de nouveau tomber sur lui; et s'en étant rendu maître par la violence, lui coupa la tête, la mit dans un sac rempli de pierres, et la jeta dans la rivière; il y jeta de même le corps attaché à une pierre. Peu de jours après, ce corps fut vu par un berger qui, l'ayant tiré du fleuve, le mit en sépulture; mais tandis qu'il préparait les choses nécessaires à ces obsèques, sans que personne pût savoir à qui apparte-' nait ce corps dont on ne trouvait pas la tête, il arriva tout à coup qu'un aigle enleva le sac du fond du fleuve et le déposa sur le rivage. Remplis d'admiration, ceux qui se trouvaient présens prirent le sac; et s'empressant de chercher ce qu'il contenait, ils y trouvèrent cette tête coupée qu'ils ensevelirent avec le reste des membres. On dit que, par la puissance divine, il parut en ce lieu une grande lumière, et que lorsqu'un malade venait prier à ce tombeau avec dévotion, il s'en retournait guéri.

Théodose, évêque de Rhodez, qui avait succédé à saint Dalmate, quitta la lumière du jour. Les différends et les querelles qui s'élevèrent dans cette Église pour l'épiscopat en vinrent à ce point qu'elle fut presque entièrement dépouillée des vases sacrés et de tout ce qu'elle possédait de meilleur. Avec l'aide de la reine Brunehault, on fit rejeter le prêtre Transobade, et on

élut Innocent, comte du Gévaudan. Dès qu'il fut en possession de l'épiscopat, il commença à tourmenter Ursicin, évêque de la ville de Cahors, disant qu'il retenait des choses qui appartenaient au diocèse de Rhodez; d'où il arriva que leurs discordes journalières allèrent toujours croissant. Quelques années après, le métropolitain, réuni avec ses suffragans dans la cité d'Auvergne, rendit un jugement portant que l'église de Rhodez reprendrait les paroisses qu'on se rappelait lui avoir appartenu; ce qui fut accompli.

Remi, évêque de Bourges, mourut, et, après sa mort, la plus grande partie de sa ville fut consumée par un grand incendie, et là périt ce qui avait échappé aux calamités de la guerre. Après cela, par la faveur du roi Gontran, Sulpice fut élu évêque de cette ville. On rapporte que beaucoup de gens offrant au roi des présens pour en obtenir l'épiscopat, il leur répondit : « Il n'est pas dans l'habitude de notre gouvernement « de vendre le sacerdoce, et il ne vous convient pas << de l'acheter par des présens, car nous devons crain« dre d'encourir l'infamié d'un gain honteux, et vous «< d'être comparés à Simon-le-magicien ; mais confor«<mément à la prescience de Dieu, Sulpice sera votre « évêque; » et ainsi amené au clergé, il monta au siége de cette église. C'est un homme de grande noblesse, des premiers sénateurs de la Gaule, très-instruit dans les belles-lettres, sans égal dans l'art des vers. Ce fut lui qui provoqua le synode dont nous avons parlé relativement aux paroisses du diocèse de Cahors.

Il vint d'Espagne un envoyé, nommé Oppila, apportant au roi Chilpéric beaucoup de présens. Le roi

d'Espagne craignait que Childebert ne fit marcher une armée pour venger l'injure de sa sœur, car Leuvigild ayant pris son fils Erménégild qui avait épousé la sœur de Childebert, l'avait fait renfermer, et sa femme était demeurée entre les mains des Grecs. Cet envoyé étant donc arrivé à Tours le saint jour de Pâques, nous lui demandâmes s'il était de notre religion; il répondit qu'il croyait ce que croient les catholiques, et venant avec nous à la cathédrale, assista aux cérémonies de la messe; mais il ne reçut point de nous la paix et ne participa point au sacrifice. Nous reconnûmes par là qu'il avait fait un mensonge en se disant catholique; néanmoins je l'invitai à ma table, et lui ayant demandé ce qu'il croyait, il répondit : « Je crois « le Père, le Fils et le Saint-Esprit unis dans une même << puissance. » Je lui dis: «< Si tu crois ce que tu affir« mes, quel motif t'a donc empêché de participer au sacrifice que nous avons offert à Dieu ? » Et il me dit : « Parce que vous ne répondez pas comme vous «<le devez au gloria, car nous disons, d'après l'apô« tre Paul: Gloire à Dieu le Père par le Fils; et vous <«< dites, Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit; et << de même que les docteurs de l'Église enseignent que « le Père a été annoncé dans ce monde par son Fils, « Paul dit : Au Roi des siècles, immortel, invisible, « à l'unique Dieu soit honneur et gloire dans les « siècles des siècles 1! » Et je lui répondis : « Il n'y a « pas un catholique, je pense, qui ne sache que le « Père a été annoncé par son Fils, mais en même << temps qu'il a annoncé son Père sur la terre, il a attesté << sa propre divinité par ses miracles. Il a fallu que Dieu Ire Epit. de S. Paul à Timothée, chap. I, v. 17.

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