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portèrent des présens, et arrêtèrent avec le roi Chilpéric l'époque où, selon la convention qu'il avait faite précédemment, il donnerait sa fille en mariage au fils du roi Leuvigild1. L'époque fixée et toutes choses convenues, l'envoyé reprit sa route. Mais le roi Chilpéric étant sorti de Paris pour se rendre dans le pays de Soissons, il lui survint un nouveau chagrin : son fils, que, l'année précédente, il avait fait régénérer dans les eaux du baptême, fut pris de la dysenterie, et rendit l'esprit. C'était là ce qu'annonçait cette flamme que, comme je l'ai dit plus haut, on avait vu tomber des nuages, Ils revinrent à Paris avec une douleur infinie, ensevelirent leur enfant, et firent courir après l'envoyé, pour qu'il revînt, et prolongeât le terme donné, le roi disant : « Voilà que ma maison « est remplie de deuil; comment pourrai-je célébrer « les noces de ma fille? » Car il voulait envoyer en Espagne une autre fille qu'il avait eue d'Audovère, et qu'il avait mise dans le monastère de Poitiers 3; mais elle s'y refusa principalement à cause de la résistance de sainte Radegonde, qui disait; « Il ne convient pas « qu'une fille dédiée au Christ retourne aux voluptés «< du siècle. »

Tandis que ces choses se passaient, on vint dire à la reine que l'enfant qui lui était mort avait succombé à des maléfices et à des enchantemens, et que le préfet Mummole, que la reine haïssait déjà depuis longtemps, était complice de ce crime. D'où il arriva

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3 Basine qui excita ensuite, dans ce monastère, les désordres que Grégoire de Tours raconte dans le 10o livre.

qu'un homme de la cour du roi, étant à un festin dans la maison de Mummole, se lamentait de ce qu'un enfant qu'il chérissait avait été pris de la dysenterie. Le préfet lui répondit : « J'ai une herbe qui, lorsqu'on «la fait prendre à celui qui est attaqué de la dysen«terie, quelque désespéré qu'il soit, le guérit sur«<le-champ. » Ces paroles ayant été rapportées à la reine, sa fureur s'en accrut, et ayant fait prendre des femmes de la ville de Paris, elle les livra aux tourmens pour les forcer par des coups à déclarer ce qu'elles savaient. Elles avouèrent qu'elles étaient sorcières, et déclarèrent avoir fait mourir beaucoup de gens; ajoutant, ce que je ne voudrais pas qu'on crût en aucune manière : « Nous avons, ô reine, sacrifié <«< la vie de ton fils, pour celle du préfet Mummole.»> Alors la reine les faisant livrer à des tourmens encore plus cruels, fit assommer les unes, brûler les autres, attacher d'autres à des roues qui leur brisaient les os, et se retira avec le roi dans sa maison de Compiègne, où elle lui révéla tout ce qu'elle avait entendu dire du préfet. Le roi envoya des serviteurs ordonner à Mummole de venir le trouver, et après l'avoir interrogé, le fit charger de chaînes et livrer à divers tourmens. On le suspendit à un poteau, les mains liées derrière le dos, et là on le questionna sur les maléfices dont il pouvait avoir connaissance; mais il n'avoua rien de ce que nous avons rapporté plus haut, Cependant il confessa avoir pris souvent, de ces femmes, des onguents et des breuvages dont l'effet devait être de le mettre en grâce auprès du roi et de la reine. Lors donc qu'il fut détaché du poteau, il appela l'exécuteur, et lui dit : « Allez annoncer au

<«< roi, mon seigneur, que je ne sens aucun mal des «< tourmens qu'on m'a infligés. » Le roi ayant entendu ces paroles, dit : « Ne faut-il pas, en effet, qu'il soit « sorcier pour n'avoir reçu aucun mal de ce qu'on «<lui a fait souffrir? » Alors on l'étendit sur des roues, et on le frappa de tant de coups de courroies triplées, que les exécuteurs en étaient fatigués; ensuite on lui entra des bâtons pointus dans les ongles des pieds et des mains, et, comme il était à ce point que l'épée était déjà levée pour lui couper la tête, il obtint de la reine qu'elle lui laissât la vie; mais on lui fit subir une dégradation non moins cruelle que la mort; car l'ayant mis dans un chariot, on le renvoya dépouillé de tout ce qu'il possédait à la ville de Bordeaux où il était né. Mais frappé en route d'une attaque d'apoplexie, il put à peine arriver où il lui était ordonné d'aller, et peu de temps après rendit l'esprit. Après quoi, la reine ayant pris le trésor de son enfant, tant les vêtemens que les autres effets, les étoffes de soie et tout ce qu'elle put trouver, les fit consumer par le feu. On dit qu'il y en avait quatre chariots. Elle fit jeter l'or et l'argent dans une fournaise embrâsée, afin qu'il ne restât rien d'entier qui pût lui rappeler la douleur de la mort de son fils.

Æthérius, évêque de Lisieux, dont nous avons parlé, fut expulsé de sa ville, et y rentra de la manière suivante : il y avait un clerc de la ville du Mans abandonné à la luxure, aimant les femmes, et livré à la gourmandise, à la fornication, et à toute espèce de vices immondes. Il voyait souvent une certaine prostituée à qui il fit couper les cheveux, lui fit

prendre un babit d'homme et l'emmena avec lui dans une autre ville où n'étant pas connu, il pourrait éviter le soupçon d'adultère. C'était une femme de race libre et née d'honnêtes parens. Ses proches ayant découvert long-temps après ce qui s'était passé, voulurent venger la honte de leur famille, et ayant trouvé le clerc, ils l'enchaînèrent, l'enfermèrent et firent brûler la femme. Ensuite, excités par la perverse soif de l'or, ils tâchèrent de vendre le clerc, c'est-à-dire de trouver quelqu'un qui le rachetât; autrement il était dévoué à une mort certaine. Ces choses ayant été rapportées à Æthérius, ému de compassion, il donna vingt pièces d'or, et le sauva ainsi de la mort qui le menaçait. Après avoir reçu la vie de cette manière, le clerç se donna pour docteur dans les lettres, et promit à l'évêque, s'il lui confiait des enfans, de les rendre accomplis dans cette science; l'évêque joyeux de cette promesse rassembla les enfans de la cité et le chargea de les instruire. Il était honoré des citoyens; le pontife lui avait donné des terres et des vignes, et il était invité dans les maisons des parens dont il instruisait les enfans. Mais revenant à ses anciennes habitudes et oubliant tout ce qu'il avait souffert, il s'éprit de concupiscence pour la mère d'un des enfans qu'il instruisait. Cette femme pudique ayant déclaré la chose à son mari, ses parens assemblés infligèrent au clerc de rudes tourmens et voulurent le tuer. L'évêque, de nouveau touché de pitié, le délivra après l'avoir doucement réprimandé, et le rétablit dans ses honneurs; mais rien ne put jamais tourner vers le bien l'esprit léger de cet homme, et, au lieu de cela, il devint l'en

nemi de celui qui l'avait plusieurs fois racheté de la mort. Il s'allia à l'archidiacre de la cité qui, se jugeant digne de l'épiscopat, fit le complot d'assassiner l'évêque. On paya un clerc qui devait le frapper d'une hache, et tous ces gens commençaient déjà à tenir des discours, à parler bas, à lier des intrigues, offrant des récompenses pour engager, si l'évêque mourait, à mettre l'archidiacre à sa place. Mais la miséricorde de Dieu l'emporta sur leur perfidie, et sa bonté se hâta de réprimer la cruauté des méchans. Un jour que l'évêque rassemblait ses ouvriers dans un champ qu'il voulait faire labourer, le clerc dont j'ai parlé le suivait avec une hache, sans qu'il y prît garde aucunement. Cependant, s'en étant aperçu,

Pourquoi donc, lui dit-il, me suis-tu si assidûment <«< avec cette hache ? » L'autre saisi de frayeur se jeta à ses genoux, disant : «< Prends courage, ô prêtre de << Dieu; car tu sauras que j'ai été envoyé par l'archi« diacre et le précepteur pour te frapper de cette «< hache. J'ai plusieurs fois voulu le faire, et ma main << s'est levée pour frapper le coup; mais aussitôt mes << yeux étaient couverts de ténèbres, mes oreilles ces«<saient d'entendre, et tout mon corps était ébranlé << par un tremblement. Mes mains demeuraient sans « force, et je ne pouvais accomplir ce que j'avais projeté; mais lorsqu'ensuite j'abaissais le bras, je ne << sentais plus aucun mal. J'ai reconnu que Dieu était «< avec toi, car je n'ai pu te nuire en aucune ma« nière. » Lorsqu'il eut dit ces paroles, l'évêque se prit à pleurer et imposa silence au clerc. Puis, retourné à sa maison, il se coucha pour souper. Après quoi il alla se reposer dans son lit, autour duquel

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