périt plus de sept mille hommes des deux armées. Les ducs avec le reste de leurs gens arrivèrent à la ville, ravageant et dévastant tout, et il se fit alors une telle dépopulation qu'on n'avait ouï rien de pareil dans les anciens temps, et qu'il ne resta ni maisons, ni vignes, ni arbres; mais ils coupèrent, brûlèrent et détruisirent tout, emportant des églises ce qui appartenait au service divin, et brûlant les églises mêmes. Le roi Gontran marcha contre son frère avec son armée, mettant en la justice de Dieu toute son espérance. Un soir il envoya son armée qui détruisit une partie de celle de son frère; le matin suivant des envoyés passèrent de l'un à l'autre, et ils firent la paix, se promettant mutuellement que celui qui, d'après le jugement des évêques et des principaux du peuple, serait reconnu avoir dépassé les bornes de la loi, paierait à l'autre une composition, et ils se séparèrent de bon accord. Le roi Chilpéric, ne pouvant empêcher son armée de piller, tua de son épée le comte de Rouen, et ensuite il revint à Paris, chacun laissant le butin qu'il avait fait, et relâchant ses captifs. Ceux qui assiégeaient Bourges ayant reçu l'ordre de retourner chez eux, emportèrent avec eux tant de butin que le pays d'où ils sortirent fut comme qui dirait entièrement vidé d'hommes et de troupeaux. L'armée de Didier et Bladaste entra dans le territoire de Tours, et s'y livra à l'incendie, au pillage, au meurtre, comme on a coutume de le faire en pays ennemi. Ils emmenèrent des captifs, dont ils renvoyèrent ensuite plusieurs après les avoir dépouillés. Cette calamité fut suivie d'une maladie sur le bétail, en sorte qu'il resta à peine une seule bête. C'était une nou velle lorsque quelqu'un avait vu une jument ou aperçu une génisse. Pendant que cela se passait, le roi Childebert se tenait avec son armée, assemblée en un même lieu. Une nuit l'armée se souleva, les petites gens firent entendre de grands murmures contre l'évêque Ægidius et les chefs du roi, et commencèrent à crier et à dire ouvertement : « Otons de devant la « face du roi ces hommes qui vendent son royaume, << soumettent ses cités à la domination d'un autre, et «< livrent à une puissance étrangère le peuple et le << prince. » Tandis qu'ils se livraient à ces clameurs et à d'autres semblables, le matin étant arrivé, ils prirent leurs armes et coururent aux tentes du roi, pour se saisir de l'évêque et des seigneurs, les accabler par la force, les charger de coups, et les mettre en pièces avec leurs épées. L'évêque en ayant été averti, prit la fuite et montant à cheval, se dirigea vers sa ville épiscopale. Le peuple le poursuivit avec de grands cris, jetant après lui des pierres et vomissant des injures. Ce qui le sauva, c'est qu'ils n'avaient pas préparé leurs chevaux. Cependant l'évêque voyant que les chevaux de ses compagnons étaient rendus de fatigue, continua seul son chemin, saisi d'une telle frayeur qu'une de ses bottes étant sortie de son pied, il ne s'arrêta point pour la ramasser, mais arriva ainsi jusqu'à Rheims, où il se mit à couvert dans les murs de la ville. Peu de mois auparavant, Leudaste était venu à Tours, avec la permission du roi, pour y reprendre sa femme et y demeurer. Il nous envoya une lettre souscrite par les évêques, pour que nous le reçussions à la communion; mais comme cette lettre n'était pas accompagnée des ordres de la reine, à cause de laquelle surtout il avait été séparé de la communion, je refusai de le recevoir, disant : « Quand j'en aurai « l'ordre de la reine, je le recevrai sans retard. » J'envoyai donc vers elle, et elle me répondit par écrit en ces mots : « Pressée de beaucoup de gens, je n'ai pu « faire autrement que de lui permettre d'aller à Tours; <«< maintenant, je te prie, ne lui accorde pas la paix, <«<et qu'il ne reçoive pas la communion de ta main jusqu'à ce qu'il ait pleinement accompli ce qu'il << nous doit. » En lisant cet écrit, je craignis qu'on ne le fit périr; j'envoyai donc chercher son beaupère, et lui donnai connaissance de cette lettre, le priant que son gendre se conduisît avee prudence, jusqu'à ce qu'il eût adouci l'esprit de la reine; mais lui, comme il était encore mon ennemi, soupçonnant de l'artifice dans ce conseil que je lui donnais de bonne foi et pour l'amour de Dieu, ne voulut pas agir d'après les avis que je lui faisais donner, et je vis l'accomplissement de ce proverbe que j'avais appris d'un certain vieillard : « Donne toujours de bons « conseils, soit à ton ami, soit à ton ennemi, «ton ami les suivra, et ton ennemi les méprisera. » Méprisant donc celui-ci, il se rendit vers le roi, qui était alors avec son armée dans les environs de Melun, et supplia le peuple d'adresser sa prière au roi pour qu'il voulût le recevoir en sa présence. Le roi donc, prié par tout le peuple, consentit à le voir, et, prosterné à ses pieds, il lui demanda pardon ; mais le roi lui dit : « Tiens-toi sur tes gardes encore quelque « temps, jusqu'à ce que tu aies vu la reine, et qu'elle << t'ait dit les moyens de rentrer en grâce auprès d'elle, car << envers qui tu t'es rendu bien coupable. » Mais lui, imprudent et léger, se fiant sur ce qu'il avait été admis en la présence du roi, lorsque le roi vint à Paris, se rendit un dimanche dans la sainte cathédrale, se jeta aux pieds de la reine, et implora son pardon ; mais elle, frémissant de colère, et détestant sa vue, le repoussa, et versant des larmes, dit : « Puisqu'il «< ne me reste pas de fils qui prenne soin de poursuivre «<mes injures, c'est à toi, mon Seigneur Jésus, que << j'en remets la poursuite. » Et se prosternant aux pieds du roi, elle ajouta : « Malheur à moi qui vois << mon ennemi, et ne puis l'emporter sur lui! » II fut donc repoussé du lieu saint, et on accomplit les cérémonies de la messe. Le roi étant sorti avec la reine de la sainte cathédrale, Leudaste continua son chemin jusqu'à la place, sans se douter de ce qui allait lui arriver. Il parcourait les maisons des marchands, se faisait montrer des pièces d'argenterie, pesait l'argent, et examinait plusieurs joyaux en disant : « J'acheterai «< ceci et ceci, car il me reste beaucoup d'or et d'ar<< gent. >> Comme il disait cela, survinrent soudainement les serviteurs de la reine qui voulurent le lier de chaînes. Ayant tiré son épée, il en frappa l'un d'eux, ce qui irrita les autres; en sorte que, prenant leurs boucliers et leurs épées, ils se jetèrent sur lui. Il y en eut un qui d'un coup lui enleva une partie des cheveux et de la peau de la tête. Comme il fuyait à travers le pont de la ville, son pied se prit entre deux des planches du pont ; il eut la jambe cassée, et fut pris: on lui lia les mains derrière le dos, et il fut remis à des gardes. Le roi ordonna qu'il fût soigné par les médecins, afin que, guéri de ses blessures, il pût être livré aux tourmens d'un supplice journalier; mais, comme on le conduisait à une des métairies du fisc, la pourriture se mit dans ses plaies, et il fut bientôt à l'extrémité. Alors, par l'ordre de la reine, on le coucha par terre sur le dos, et lui ayant mis sous la nuque du cou une énorme barre de fer, on le frappa sur la gorge, et il finit ainsi, par une juste mort, une vie tissue de perfidies. La neuvième année du roi Childebert, le roi Gontran rendit à son neveu une partie de Marseille '. Les envoyés de Chilpéric, revenus d'Espagne, annoncèrent que le royaume de la Manche était cruellement dévasté par les sauterelles, de telle sorte qu'il n'y avait ni arbres, ni vignes, ni forêts, ni fruits, ni aucune verdure, qu'elles n'eussent entièrement détruits; ils dirent que l'inimitié qui s'était élevée entre Leuvigild et son fils augmentait tous les jours de violence. Une grande contagion régnait aussi dans ces cantons, et dévastait beaucoup de pays; mais elle faisait rage surtout dans la ville de Narbonne. Il y avait déjà trois ans qu'elle avait pris dans cette ville, puis elle s'apaisait, et alors le peuple qui avait fui, revenant dans la ville, périssait par la maladie. La ville d'Alby était aussi rudement travaillée du même mal. En ces jours-là, vers le milieu de la nuit, il parut du côté du nord un grand nombre de rayons brillans, d'une grande clarté, qui, se rapprochant et se séparant ensuite, finirent par s'évanouir. On vit aussi dans la partie septentrionale du ciel reluire une telle clarté qu'on la prit pour celle de l'aurore. Il vint de nouveau des envoyés d'Espagne qui ap • En 584. |