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Après que le roi Chilpéric eut mis au tombeau beaucoup d'enfans, il lui naquit un fils '. Le roi, en réjouissance, ordonna de mettre en liberté tous ceux qui étaient gardés, de délivrer de leurs liens ceux qui étaient enchaînés, et de ne point exiger les sommes qu'on avait négligé de payer à son fisc; mais cet enfant donna lieu par la suite à une grande perfidie.

La guerre recommença contre l'évêque Théodore. Gondovald, qui se disait fils du roi Clotaire, était arrivé à Marseille venant de Constantinople. Il faut ici exposer en peu de mots quelle était son origine. Né dans les Gaules, il avait été élevé avec soin, instruit dans les lettres, et, selon la coutume des rois de ce pays, portait les boucles de ses cheveux flottantes sur ses épaules; il fut présenté au roi Childebert par sa mère, qui lui dit : « Voilà ton neveu, le fils du roi << Clotaire : comme son père le hait, prends-le avec « toi, car il est de ta chair. » Celui-ci qui n'avait pas de fils le prit et le garda avec lui. Cette nouvelle ayant été annoncée au roi Clotaire, il envoya des messagers à son frère, pour lui dire: « Envoie ce jeune << homme pour qu'il vienne vers moi 2. » Son frère le lui envoya sans retard. Clotaire l'ayant vu ordonna qu'on lui coupât la chevelure, disant : « Il n'est pas «< né de moi. » Après la mort de Clotaire, le roi Charibert le reçut; mais Sigebert l'ayant fait venir, coupa de nouveau sa chevelure et l'envoya dans la ville

I En 582.

2 Il paraît certain que Gondovald était bien réellement le fils de Clotaire qui l'avait eu d'une femme de condition très-inférieure, et l'avait renié ensuite à cause de quelques soupçons sur la conduite de sa mère.

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d'Agrippine, maintenant appelée Cologne. Ses cheveux étant revenus, il s'échappa de ce lieu et se rendit près de Narsès, qui gouvernait alors l'Italie. Là, il prit une femme, engendra des fils et se rendit à Constantinople. De là, à ce qu'on rapporte, il fut long-temps après invité par quelqu'un à revenir dans les Gaules, et débarquant à Marseille, il fut reçu par l'évêque Théodore qui lui donna des chevaux, et il alla rejoindre le duc Mummole. Mummole occupait alors, comme nous l'avons dit, la cité d'Avignon; mais à cause de cela le duc Gontran se saisit de l'évêque Théodore et le fit garder, l'accusant d'avoir introduit un étranger dans les Gaules, et de vouloir par ce moyen soumettre le royaume des Francs à la domination de l'empereur. Mais Théodore produisit, dit-on, une lettre signée de la main des grands du roi Childebert, et il dit : « Je n'ai rien fait par « moi-même, mais seulement ce qui nous a été com«mandé par nos maîtres et seigneurs. » L'évêque était gardé dans sa cellule, et on ne lui permettait pas d'approcher de l'église. Une certaine nuit, tandis qu'il priait Dieu avec beaucoup d'application, sa cellule resplendit d'une grande lumière, en sorte que le comte qui le gardait fut consterné d'une terrible frayeur. On vit au-dessus de sa tête, pendant deux heures, un globe de la plus vive lumière. Le matin arrivé, le comte fit récit de la chose à ceux qui se trouvaient avec lui. Après cela Théodore fut conduit vers le roi Gontran avec l'évêque Épiphane, qui fuyant les

* Colonia Agrippinensis. Les barbares, supprimant sans doute le dernier mot, avaient fini par l'appeler Colonia tout court.

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Par le duc Gontran-Boson, comme on le verra dans le livre suivant.

Lombards était venu demeurer à Marseille, et qu'on accusait de complicité dans cette affaire. Le roi les ayant examinés ne les trouva coupables d'aucun crime. Cependant il ordonna de continuer à les garder, et dans cet état l'évêque Épiphane mourut après beaucoup de tourmens. Gondovald se réfugia dans une île de la mer, pour y attendre l'événement. Le duc Gontran-Boson partagea avec un des ducs du roi Gontran les trésors de Gondovald, et emporta, dit-on, avec lui en Auvergne une immense quantité d'or, d'argent et d'autres choses.

La huitième année du roi Childebert, le 31 janvier, au moment où dans la ville de Tours, on venait, le jour du Seigneur, de donner le signal des Matines, et lorsque le peuple se levait pour se réunir dans la cathédrale, le ciel étant couvert de nuages, il en tomba avec la pluie un grand globe de feu, qui parcourut dans les airs un long espace, et donna tant de lumière qu'on distinguait toutes choses comme en plein jour. Après quoi il rentra dans le nuage, et l'obscurité succéda à la clarté. Les eaux grossirent au-delà de la coutume, et causèrent autour de Paris une telle inondation de la Seine et de la Marne, que beaucoup de bateaux périrent entre la Cité et la basilique SaintLaurent.

Le duc Gontran étant retourné, comme je l'ai dit, en Auvergne avec ses trésors, alla vers le roi Childebert; et, lorsqu'il en revenait avec sa femme et ses filles, le roi Gontran le prit et le retint, disant : <«< C'est sur ton invitation que Gondovald est venu << dans les Gaules, et tu étais allé jadis à Constanti«nople dans cette vue; » le duc Gontran répondit :

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« C'est ton duc Mummole qui l'a reçu et l'a retenu « dans Avignon. Permets que je t'amène Mummole, «<et alors je serai disculpé des choses dont on m'ac«cuse. » Le roi lui dit : « Je ne te permettrai pas de «< t'en aller sans que tu aies subi la peine que tu méri<< tes pour le crime que tu as commis. » Lui, se voyant près de la mort, dit : « Voilà mon fils, prends-le, et « qu'il te serve d'ôtage pour ce que je promets au roi << mon Seigneur, et si je ne t'amène pas Mummole, <«< que je perde mon enfant. « Alors le roi lui permit de s'en aller et retint son petit enfant. Gontran prit avec lui des gens d'Auvergne et du Velay, et s'en alla à Avignon; mais Mummole avait artificieusement fait préparer sur le Rhône de mauvaises barques. Ils y montèrent sans se douter de rien, et lorsqu'ils arrivèrent au milieu du fleuve, les barques chargées s'engloutirent. Dans ce péril les uns s'échappèrent en nageant, plusieurs s'étant saisis des planches mêmes des barques furent ainsi portés sur le rivage, d'autres moins avisés périrent dans le fleuve. Le duc Gontran arriva cependant à Avignon. Mummole, depuis qu'il était entré dans cette ville, avait eu soin de détourner une partie des eaux du Rhône pour la défense de cette petite portion de la ville qui n'était pas enfermée par le fleuve ; il avait fait creuser en ce lieu des fossés d'une grande profondeur, et pour tendre un piége à l'ennemi avait fait recouvrir cette eau, Gontran étant arrivé, Mummole dit de dessus le mur: «< S'il agit de bonne foi, qu'il vienne d'un côté «< du rivage et moi de l'autre, et me dise de là ce ༥ qu'il a à me dire. » Mais lorsqu'ils furent arrivés chacun de son côté, le bras du fleuve se trouvant

entre eux deux, Gontran lui dit : « Si tu le permets, « j'irai à toi, parce qu'il y a des choses dont nous «< devons conférer plus secrètement ; » à quoi Mum, mole répondit : « Viens et ne crains rien. »

Gontran s'avança avec un de ses amis, qui était chargé du poids d'une cuirasse. Lorsqu'ils arrivèrent sur le fossé dans lequel on avait fait entrer l'eau du fleuve, l'ami fut englouti dans l'eau et ne reparut plus, Gontran plongea aussi, et la rapidité du courant l'emportait; mais un de ceux qui étaient présens lui tendit la lance qu'il tenait à la main, et le ramena au rivage.

Alors, après s'être dit mutuellement beaucoup d'injures, Mummole et lui s'en allèrent chacun de son côté. Tandis que Gontran assiégeait cette ville avec l'armée du roi Gontran, Childebert, apprenant ces nouvelles, fut ému de colère de ce que cela s'était fait sans son ordre, et il envoya Gondulphe, dont j'ai parlé plus haut, qui fit lever le siége et conduisit Mummole en Auvergne; mais peu de jours après il revint à Avignon.

Le roi Chilpéric alla à Paris la veille de la fête de Pâques, et, pour éviter les malédictions prononcées dans le traité qu'il avait fait avec ses frères contre celui qui entrerait à Paris sans le consentement des autres, il y entra précédé des reliques d'un grand nombre de saints. Il y célébra très-joyeusement les fêtes de Pâques, et y fit baptiser son fils, que Ragnemode, évêque de cette ville, tint sur les fonts de baptême. Il lui fit donner le nom de Théodoric.

Le référendaire Mare, dont nous avons parlé plus haut, après avoir amassé de grands trésors par les injustes contributions levées sur le peuple, se sentant

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