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pièces d'or. Le maître de Léon, ayant demandé à son serviteur ce qu'il savait faire, celui-ci répondit : « Je « suis très-habile à faire tout ce qui doit se manger à « la table de mes maîtres, et je ne crains pas qu'on en puisse trouver un autre égal à moi dans cette science. « Je te le dis en vérité; quand tu voudrais donner un « festin au roi, je suis en état de composer des mets « royaux, et personne ne les saurait mieux faire que << moi. » Et le maître lui dit : « Voilà le jour du so<«<leil qui approche (car c'est ainsi que les Barbares ont coutume d'appeler le jour du Seigneur), «ce

jour-là mes voisins et mes parens sont invités à ma « maison; je te prie de me faire un repas qui excite <<< leur admiration et duquel ils disent : Nous n'aurions « pas attendu mieux dans la maison du roi. » Et lui dit : « Que mon maître ordonne qu'on me rassemble « une grande quantité de volailles, et je ferai ce que <«< tu me commandes. » On prépara ce qu'avait demandé Léon. Le jour du Seigneur vint à luire, et il fit un grand repas plein de choses délicieuses. Tous mangèrent, tous louèrent le festin; les parens ensuite s'en allèrent; le maître remercia son serviteur, et celui-ci eut autorité sur tout ce que possédait son maître. II avait grand soin de lui plaire, et distribuait à tous ceux qui étaient avec lui leur nourriture et les viandes préparées. Après l'espace d'un an, son maître ayant en lui une entière confiance, il se rendit dans la prairie, située proche de la maison, où Attale était à garder les chevaux, et, se couchant à terre loin de lui et le dos tourné de son côté, afin qu'on ne s'aperçût pas qu'ils parlaient ensemble, il dit au jeune homme : « Il « est temps que nous songions à retourner dans notre

«< patrie; je t'avertis donc, lorsque cette nuit tu auras << ramené les chevaux dans l'enclos, de ne pas te lais<< ser aller au sommeil, mais, dès que je t'appellerai, << de venir, et nous nous mettrons en marche. » Le barbare avait invité ce soir-là à un festin beaucoup de ses parens, au nombre desquels était son gendre qui avait épousé sa fille. Au milieu de la nuit, comme ils eurent quitté la table et se furent livrés au repos, Léon porta un breuvage au gendre de son maître, et lui présenta à boire ce qu'il avait versé; l'autre lui parla ainsi : << Dis-moi donc, toi, l'homme de confiance de mon <«< beau-père, quand te viendra l'envie de prendre ses «< chevaux et de t'en retourner dans ton pays? » ce qu'il lui disait par jeu et en s'amusant ; et lui, de même en riant, lui dit avec vérité : « C'est mon projet pour «< cette nuit, s'il plaît à Dieu. » Et l'autre dit : « Il faut «< que mes serviteurs aient soin de me bien garder, afin << que tu ne m'emportes rien. » Et ils se quittèrent en riant. Tout le monde étant endormi, Léon appela Attale, et, les chevaux sellés, il lui demanda s'il avait des armes. Attale répondit: « Non, je n'en ai pas, si ce n'est «< une petite lance. » Léon entra dans la demeure de son maître et lui prit son bouclier et sa framée. Celui-ci demanda qui c'était et ce qu'on lui voulait. Léon répondit : « C'est Léon ton serviteur, et je presse Attale « de se lever en diligence et de conduire les chevaux << au pâturage, car il est là endormi comme un ivro<< gne. » L'autre lui dit : « Fais ce qui te plaira ; » et, en disant cela, il s'endormit.

Léon étant ressorti munit d'armes le jeune homme, et, par la grâce de Dieu, trouva ouverte la porte d'entrée qu'il avait fermée au commencement de la nuit

avec des clous enfoncés à coups de marteau pour la sûreté des chevaux ; et, rendant grâces au Seigneur, ils prirent d'autres chevaux et s'en allèrent, déguisant aussi leurs vêtemens. Mais lorsqu'ils furent arrivés à la Moselle, en la traversant, ils trouvèrent des hommes qui les arrêtèrent ; et, ayant laissé leurs chevaux et leurs vêtemens, ils passèrent l'eau sur des planches et arrivèrent à l'autre rive, et, dans l'obscurité de la nuit, ils entrèrent dans la forêt où ils se cachèrent. La troisième nuit était arrivée depuis qu'ils voyageaient sans avoir goûté la moindre nourriture; alors, par la pérmission de Dieu, ils trouvèrent un arbre couvert du fruit vulgairement appelé prunes, et ils les mangèrent. S'étant un peu soutenus par ce moyen, ils continuèrent leur route et entrèrent en Champagne. Comme ils y voyageaient, ils entendirent le trépignement de chevaux qui arrivaient en courant, et dirent : « Couchons<< nous à terre, afin que les gens qui viennent ne nous <«< aperçoivent pas. » Et voilà que tout à coup ils virent un grand buisson de ronces, et passant auprès ils se jetèrent à terre, leurs épées nues, afin que, s'ils étaient attaqués, ils pussent se défendre avec leur framée, comme contre des voleurs. Lorsque ceux qu'ils avaient entendus arrivèrent auprès de ce buisson d'épines, ils s'arrêtèrent, et l'un des deux, pendant que leurs chevaux lâchaient leur urine, dit : « Malheur à moi, de «< ce que ces misérables se sont enfuis sans que je «< puisse les retrouver; mais je le dis, par mon salut, << si nous les trouvons, l'un sera condamné au gibet, « et je ferai hacher l'autre en pièces à coups d'épée.

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' Il faut probablement lire la Meuse qui coule en effet entre Trèves et Rheims.

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dit

C'était leur maître, le barbare, qui parlait ainsi; il venait de la ville de Rheims, où il avait été à leur recherche, et il les aurait trouvés en route si la nuit ne l'en eût empêché. Les chevaux se mirent en route et repartirent. Cette même nuit les deux autres arrivèrent à la ville, et y étant entrés, trouvèrent un homme auquel ils demandèrent la maison du prêtre Paulelle. Il la leur indiqua; et comme ils traversaient la place, on sonna Matines, car c'était le jour du Seigneur. Ils frappèrent à la porte du prêtre et entrèrent. Léon lui dit le nom de son maître. Alors le prêtre lui : «Ma vision s'est vérifiée, car j'ai vu cette nuit << deux colombes qui sont venues en volant se poser « sur ma main : l'une des deux était blanche et l'autre «< noire. » Ils dirent au prêtre : « Il faut que Dieu « nous pardonne; malgré la solennité du jour, nous <«< vous prions de nous donner quelque nourriture, «< car voilà la quatrième fois que le soleil se lève depuis. « que nous n'avons goûté ni pain ni rien de cuit. » Ayant caché les deux jeunes gens, il leur donna du pain trempé dans du vin, et alla à Matines. Il y fut suivi par le barbare qui revenait cherchant ses esclaves; mais, trompé par le prêtre, il s'en retourna, car le prêtre était depuis long-temps lié d'amitié avec le bienheureux Grégoire. Les jeunes gens ayant repris leurs forces en mangeant, demeurèrent deux jours dans la maison du prêtre, puis s'en allèrent; ils arrivèrent ainsi chez saint Grégoire. Le pontife, réjoui en voyant ces jeunes gens, pleura sur le cou de son neveu Attale. Il délivra Léon et toute sa race du joug de la

Cette phrase semble indiquer que Léon était nègre; on ne peut douter qu'il n'y eût déjà, sous les Romains, des esclaves noirs dans la Gaule.

servitude, lui donna des terres en propre, dans lesquelles il vécut libre le reste de ses jours avec sa femme et ses enfans.

Sigewald, qui habitait l'Auvergne, y faisait beaucoup de mal, car il envahissait les biens de plusieurs; et ses serviteurs ne s'épargnaient pas le vol, l'homicide, et divers crimes qu'ils commettaient par surprise; et personne n'osait murmurer contre eux. Il arriva que, par une audace téméraire, il s'empara du domaine de Bolgiac, que le béni Tétradius, évêque, avait laissé à la basilique de Saint-Julien. Aussitôt qu'il fut entré dans la maison, il perdit la raison, et se mit au lit. Alors, par le conseil du prêtre, sa femme le plaça dans un chariot, pour le transporter dans une autre demeure, où il reprit la santé; et, arrivant à lui, elle lui raconta ce qui s'était passé; ce qu'ayant entendu, il fit un vœu au saint martyr de rendre le double de ce qu'il avait pris. J'ai rapporté cet événement dans le livre des miracles de saint Julien.

Denis, évêque de Tours, étant mort, Ommatius gouverna l'église pendant trois années : il avait été nommé par l'ordre du roi Clodomir, dont nous avons parlé ci-dessus. Lorsqu'il passa de cette vie à l'autre, Léon administra pendant sept mois. C'était un homme trèsadroit, et habile dans la fabrique des ouvrages de charpente. Après sa mort, les évêques Théodore et Procule, venus de Bourgogne, et nommés par la reine Clotilde, gouvernèrent trois ans l'église de Tours. Eux morts, ils furent remplacés par Francille, sénateur. La troisième année de son épiscopat, tandis que les peuples célébraient la brillante nuit de Noël, le

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