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siècles, soit par la retraite, dans les villes, d'ane partie de la population des campagnes fuyant les dévastations des barbares. D'ailleurs, plus le désordre augmentait, plus l'influence populaire tendait aussi à croître. Dans les temps réguliers, quand l'administration, ses fonctionnaires et ses troupes étaient là, quand la curie n'était pas ruinée et impuissante, le peuple demeurait dans son état ordinaire d'inaction et de dépendance: Mais quand tous les maîtres de la société furent déchus, quand la dissolution fut générale, le peuple devint quelque chose; il prit du moins un certain degré d'activité et d'importance locale.

que

Je n'ai rien à dire des esclaves; ils n'étaient rien pour eux-mêmes; comment auraient-ils pu quelque chose pour la société? C'était d'ailleurs sur les colons que portaient surtout les désastres des invasions; c'étaient les colons les barbares pillaient, chassaient, emmenaient captifs pêle-mêle avec leurs bestiaux. Je dois cependant vous faire remarquer que, sous le régime impérial, la condition des esclaves s'était adoucie. La législation en fait foi.

Essayons, Messieurs, de rapprocher tous ces traits épars de la société civile gauloise au Ve siècle, et de nous la représenter dans son ensemble avec quelque vérité.

Son gouvernement était monarchique, despotique même; et toutes les institutions, tous les pouvoirs monarchiques tombaient, abandonnaient eux-mêmes leur poste. Son organisation intérieure semblait aristocratique; mais c'était une aristocratie sans force, sans consistance, incapable de jouer un rôle public. Un élément démocratique, des municipalités, une bourgeoisie libre y paraissent encore; mais la démocratie y est aussi énervée, aussi impuissante que l'aristocratie et la monarchie. La société toute entière se . dissout et se meurt.

Ici se révèle, Messieurs, le vice radical de la société romaine, de toute société où l'esclavage subsiste sur une grande échelle, où quelques maîtres règnent sur des troupeaux de peuples. En tous pays, en tout temps, quel que soit même le régime politique, au bout d'un intervalle plus ou moins long, par le seul effet de la jouissance du pouvoir, de la richesse, du développement intellectuel, de tous les avantages sociaux, les classes supérieures s'usent, s'énervent; elles ont besoin d'être sans cesse excitées par l'émulation, renouvelées par l'immigration des classes qui vivent et travaillent au-dessous d'elles. Voyez ce qui s'est passé dans l'Europe moderne. Il y a eu une prodigieuse variété de conditions sociales, des degrés

infinis dans la richesse, la liberté, les lumières, l'influence, la civilisation. Et sur tous les degrés de cette longue échelle, un mouvement ascendant a constamment poussé chaque classe, et toutes les classes les unes par les autres, vers un plus grand développement; et aucune n'a pu y demeurer étrangère. Delà la fécondité, l'immortalité pour ainsi dire de la civilisation moderne, sans cesse recrutée et rajeunie.

Rien de semblable n'existait dans la société romaine; les hommes y étaient divisés en deux grandes classes, séparées par un intervalle immense; point de variété, point de mouvement ascendant, point de démocratie véritable : c'était en quelque sorte, une société d'officiers, qui ne savait où se recruter,, et ne se recrutait point en effet. Il y eut bien, du Ier au IIIe siècle, comme je l'ai dit tout à l'heure, un mouvement de progrès dans le menu peuple; il gagna en liberté, en nombre, en activité. Mais ce mouvement fut beaucoup trop lent, beaucoup trop peu étendu, pour que le peuple pût arriver à temps, et en renouvelant les classes supérieures, les sauver de leur propre décadence.

A côté d'elles s'était formée une autre société, plus jeune, plus énergique, plus féconde, la société ecclésiastique. Ce fut à celle-là que se rallia

le peuple. Aucun lien puissant ne l'unissait aux sénateurs, ni peut-être aux curiales; il se groupa autour des prêtres et des évêques. Etrangère à la société civile payenne, dont les maîtres ne lui avaient point fait sa place, la masse de la population entra avec ardeur dans la société chrétienne, dont les chefs lui tendaient les bras. L'aristocratie sénatoriale et curiale n'était qu'un fantôme : le clergé devint l'aristocratie réelle; il n'y avait point de peuple romain; il y eut un peuple chrétien. C'est de celui-là que nous nous occuperons dans notre prochaine réunion.

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